Chanter de l’opéra dans la langue de Tremblay

Photo de Claude-Hélène Desrosiers
Par Claude-Hélène Desrosiers
Chanter de l’opéra dans la langue de Tremblay
Monique Pagé, Chantal Dionne, Chantal Lambert, Florence Bourget et Catherine St-Arnaud. (Photo : Véronique Duplain)

MUSIQUE. Le 2 novembre, Albertine en cinq temps – L’opéra fera un arrêt à la Maison des arts de Drummondville. Les chanteuses lyriques qui en font partie sont comme des poupées russes, présentant Albertine à 30, 40, 50, 60 et 70 ans. Chantal Lambert (Albertine à 70 ans) et Catherine St-Arnaud (Albertine à 30 ans) ont échangé avec L’Express sur cette production unique en son genre.

Chantal Lambert, soprano intronisée au Panthéon canadien de l’Art lyrique, se croyait à la retraite, du haut de ses 65 ans. La vie lui réservait des surprises. Pendant la pandémie, Nathalie Deschamps, metteuse en scène, lui a proposé de faire partie d’un collectif de femmes qui allait écrire le livret d’un opéra basé sur la pièce Albertine en cinq temps. Elle n’a pas hésité une seconde. «J’ai toujours aimé écrire, j’écris énormément. Pour avoir participé à la création d’autres opéras à l’Opéra de Montréal, j’ai vu à quel point le métier de librettiste est un métier en soi et que ça prenait pratiquement une chanteuse pour évaluer la prosodie».

Ce n’était que le début. Elle se fait proposer de chanter le rôle d’Albertine à 70 ans. «Je n’en revenais pas! Si l’on m’avait dit quand j’étais une jeune chanteuse qu’à 65 ans, j’aurais le bonheur de créer une œuvre mythique comme celle-là!» Pour Catherine St-Arnaud aussi, ça a été une grande joie de se faire offrir ce rôle. Celle qui est en début de carrière, d’ailleurs un peu tronquée par la pandémie, est pleine de gratitude.

La voix, évidemment, traverse le temps de façon très variable. Selon Mme Lambert, la ménopause, entre autres, peut avoir pour conséquence d’enlever un peu de vernis à la voix. «J’ai été longtemps sans faire de spectacle devant public. Je me suis toujours dit qu’en vieillissant je me garderais une petite gêne, que je ne m’imposerais pas aux gens si ce n’est plus beau». Un récital qu’elle prépare à 60 ans lui redonne le goût de chanter. «Quand Nathalie Deschamps m’a proposé de faire Albertine à 70 ans, je me disais que si elle a des vulnérabilités vocales ce serait parce qu’il s’agit d’une femme qui est passée dans le tordeur. Je n’ai pas eu la pudeur de me demander si ça serait écoutable. Cela dit, je me suis vraiment investie dans la compréhension de mon instrument et ça aussi, c’est une autre victoire personnelle parce que j’ai l’impression d’avoir continué de grandir dans ma voix», partage-t-elle.

Pour Catherine St-Arnaud, être entourée de ces chanteuses est très inspirant. Avoir des modèles de femmes plus âgées sur scène est un ravissement, puisqu’il n’y en a à peu près pas. «Ça donne espoir. Je vais toutes les faire, les Albertine! C’est ça mon projet de vie! Je veux toutes les chanter. Ça me démontre qu’il est possible de garder la voix jusqu’à la soixantaine et d’être en forme. Ce n’est pas une petite voix de pitié qu’on entend, c’est une vraie voix de chanteuse lyrique qui est saine, qui est belle et qui est un véhicule incroyable d’émotions. Dans leurs voix, il y a toute leur expérience de vie, leur humanité. Je continue d’apprendre à chaque spectacle en les regardant», dit-elle avec passion.

Chanter en joual les émotions d’Albertine

Pour ces chanteuses habituées de travailler en langues étrangères, il fallait s’approprier cette nouvelle façon de chanter, en joual. «C’est comme une plasticine qu’on modèle; évidemment il y a certaines voyelles qui sont plus confortables que d’autres dans certaines tessitures», explique Chantal Lambert.

Elles ont pu compter sur l’expertise de Michelle Labonté, une comédienne qui a de l’expérience dans le répertoire de Tremblay, pour les coacher. «Les sons sont un peu différents, les nasales ne sont pas tout à fait pareilles. Ce sont des zones où on ne va pas souvent. C’est plutôt quelque chose dont on essaie de se débarrasser lorsqu’on apprend à chanter pour ne pas trop apporter nos sonorités locales dans notre voix lyrique», continue Mme St-Arnaud. Finalement, les deux sopranos ont trouvé libérateur de le faire en joual.

«Ce que j’aime dans cet opéra, c’est qu’on a le droit d’être vulnérable, on a le droit d’être un peu tout croche, et on a le droit d’être vieille. C’est énorme, quand même», exprime Chantal Lambert.

La metteuse en scène Nathalie Deschamps a souvent utilisé la métaphore de la poupée russe pour comparer ces rôles de la même femme à différents âges. «Je suis un peu la somme de toutes ces parties-là d’Albertine, alors c’est vraiment riche», s’exclame Mme Lambert.

Catherine St-Arnaud insiste sur le fait qu’il s’agit d’un spectacle accessible à tous. «Il ne faut pas avoir peur de l’opéra pour assister au spectacle. Il y a plein de gens qui n’ont jamais vu d’opéra ou qui avaient des préjugés qui sont venus et ils ont adoré le spectacle. Ils ont été bouleversés. Tout autant que les mélomanes avertis, qui eux aussi ont aimé ça. Ce spectacle est rassembleur, humain. Tout le monde peut reconnaître quelqu’un dans le personnage d’Albertine. La musique est touchante, elle vient nous chercher jusque dans nos tripes».

Si l’opéra est un genre particulier, les émotions, elles, sont universelles.

Albertine en cinq temps – L’opéra sera présenté le 2 novembre à la Maison des Arts.

 

À lire également: L’univers de Michel Tremblay transposé sur la scène opératique

 

Simple et toujours gratuit

Meta (Facebook et Instagram) bloque désormais vos nouvelles de L’Express en réponse à la loi C-18.

Pour rester connecté à la source, L’Express vous invite à télécharger son application. Vous pourrez ainsi continuer de lire vos nouvelles gratuitement, et ce, en temps réel. N’oubliez pas d’activer les notifications!

Apple : https://apps.apple.com/ca/app/lexpress-de-drummondville/id1575799821?l=fr-CA

Androïd : https://play.google.com/store/apps/details?id=ca.journalexpress.app&hl=fr

Partager cet article