Une erreur lors du forage à l’origine de la fermeture de l’autoroute 20

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Par Louis-Philippe Samson
Une erreur lors du forage à l’origine de la fermeture de l’autoroute 20
La cheminée en bordure des voies en direction ouest était la plus grande des trois et comportait une section en porte-à-faux. (Photo : MTQ)

AUTOROUTE 20. Une erreur dans la méthode utilisée pour forer sous l’autoroute 20 a été à l’origine des affaissements qui ont forcé sa fermeture, paralysant ainsi Drummondville, les 23 et 24 avril dernier.

Ces informations ont été fournies à L’Express par le ministère des Transports du Québec (MTQ), dans le cadre d’une demande d’accès à l’information prévue par la loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (A-2.1) du Québec.

Afin d’installer une nouvelle conduite d’aqueduc sous les quatre voies de l’autoroute 20 à la hauteur de la sortie 181 vers le boulevard Foucault, un entrepreneur drummondvillois en génie civil, forage dirigé et excavation, soit les Entreprises Delorme, avait été mandaté pour effectuer les travaux de forages sans tranchée. La firme Avizo Experts-Conseils a également été impliqué dans le processus de planification de ces travaux. Cette conduite, d’une longueur de 50 mètres et située à 4,7 mètres sous la chaussée, était installée pour alimenter en eau potable la Ferme des Voltigeurs qui se préparait à agrandir son usine. Une fois les travaux terminés, la Ville de Drummondville devenait propriétaire des installations qui s’intégraient à son réseau d’aqueduc municipal.

Les travaux de forage avaient été réalisés dans la semaine précédant l’incident. (Photo : archives, Emmanuelle LeBlond)

Au moment des travaux, les Entreprises Delorme ont utilisé la technique du forage dirigé. Celle-ci ne demande pas l’utilisation d’une gaine d’acier pour soutenir la paroi du forage, est-il indiqué dans un courriel rédigé par l’ingénieur du MTQ, Maxime Bolduc, qui œuvre à la Direction de la géotechnique et de la géologie (DGG).

«C’est plutôt la boue de forage injectée dans le trou qui applique une certaine pression hydraulique sur les parois du trou et la bentonite, mélangée au fluide de forage, vient en quelque sorte colmater ou solidifier la périphérie annulaire du trou de forage. Or, la foreuse avait été placée au fond du puits de départ, à la profondeur d’installation prévue pour la conduite. Ce faisant, la foreuse creusait directement à l’horizontale, ne permettant pas à la boue de forage de procurer les effets stabilisateurs précédemment mentionnés», a écrit dans le courriel de M. Bolduc, le soir du 23 avril.

Surexcavation

L’ingénieur poursuit en proposant que les trois cheminées sont le «résultat de surexcavations importantes et non contrôlées […] dû au manque de stabilisation des parois du trou». M. Bolduc explique ensuite que le forage aurait dû être fait de façon parabolique et non horizontal afin de générer la pression nécessaire pour soutenir les parois.

«Il nous est impossible de garantir qu’aucune surexcavation ne s’est produite ailleurs sous les voies de circulation en raison de la technique sans tranchée employée et de la méthode de travail qui nous a été expliquée par des représentants de l’entrepreneur. Il est possible que la structure de chaussée et le pavage, par leur rigidité, masquent temporairement des cavités présentes sous les chaussées. Par conséquent, il a été convenu de conserver l’autoroute fermée tant et aussi longtemps que les travaux correctifs proposés par le maître d’œuvre du chantier, soit l’excavation des sols jusqu’à la conduite et la réparation de l’infrastructure routière, ne sont pas complétés», a ajouté l’ingénieur dans son message.

Maxime Bolduc a conclu son courriel en ne recommandant aucune surveillance supplémentaire une fois les travaux complétés puisque le danger serait éliminé par les travaux correctifs qui ont été effectués.

Dans son message, M. Bolduc a également précisé les dimensions des trois cheminées qui sont apparues en bordure de l’autoroute. La cavité du côté des voies en direction est mesurait 1,7 mètre sur 2,3 mètres, avec une extension latérale en porte-à-faux de 6,5 mètres et dont la profondeur atteignait 1,2 mètre. Celle du terre-plein central avait des dimensions de 2,3 mètres par 2,6 mètres et une profondeur de 1,3 mètre. Finalement, la cheminée des voies en direction ouest faisait un mètre par 1,3 mètre et une profondeur d’un mètre.

L’autoroute Jean-Lesage a été fermée pendant plus de 36 heures. (Photo : archives, gracieuseté)

Avant de lancer les travaux de forage, la Ferme des Voltigeurs avait mandaté la firme Englobe Corp. pour réaliser une étude géotechnique le long du tracé de la nouvelle conduite d’aqueduc, dont le rapport final a été déposé en mai 2021. Dans ce document, Englobe notait que les sols à proximité de l’autoroute Jean-Lesage sont «majoritairement composés de sable contenant des proportions variables de silt et de gravier.»

La compacité des sols du côté des voies en direction est a été observée comme dense ou très dense par la firme tandis que ceux des voies en direction ouest montraient la présence de gravier grossier et de cailloux. Au moment des prises de données par Englobe, des eaux souterraines avaient été localisées à moins de deux mètres de la surface de chaque côté de l’autoroute.

Dans un rapport des événements, rédigé par l’ingénieur Sébastien Rheault, de la direction générale de la Mauricie – Centre-du-Québec du MTQ, celui-ci rapporte que «malgré cet événement déplorable, les Entreprises Delorme ont fourni un effort remarquable pour mobiliser la machinerie, les matériaux et les sous-traitants nécessaires à l’exécution des travaux. En permanence, ils ont fait preuve de diligence avec un souci de réaliser des travaux de qualité.»

Sébastien Rheault signale dans son rapport que la finalité des travaux correctifs est temporaire. Ainsi, un suivi du comportement de la chaussé se doit d’être fait dans les mois suivant leur conclusion.

Par ailleurs, cette section de l’autoroute 20 comporte une dalle de béton sous la couche d’asphalte. Les travaux d’urgence ont retiré une section de cette dalle qui n’a pas été remplacée en raison de la contrainte de temps. Selon les documents fournis, des travaux pour corriger la situation de façon permanente pourraient avoir lieu dans le futur.

L’Express a demandé aux Entreprises Delorme s’ils désiraient donner leur point de vue sur la situation. Ceux-ci ont poliment décliné cette proposition.

 

Chronologie des événements*

30 mars au 7 avril 2021 : travaux de reconnaissance par la firme Englobe Corp. à la demande de la Ferme des Voltigeurs. Ce sont 15, dont les deux en bordure de l’autoroute, des 25 forages géotechniques qui ont été effectués à ce moment.

Mai 2021 : dépôt du rapport final de la firme Englobe Corp. à la Ferme des Voltigeurs.

Juin 2021 : permission de voirie accordée par le ministère des Transports du Québec (MTQ) à la Ville de Drummondville et à la firme de consultants AVIZO Expert-Conseil pour la réalisation des travaux dans son emprise.

22 avril 2022 : les travaux de forage en bordure de l’autoroute 20 à la hauteur du kilomètre 181 par les Entreprises Delorme sont en cours de réalisation. Un tuyau de 24 pouces de diamètre est installé sous les voies de circulation.

23 avril 2022

En matinée : un employé des Entreprises Delorme se présente sur le chantier afin de remplir les réservoirs d’essence des pompes qui maintiennent à sec les puits d’accès au forage. Il observe à ce moment la formation des trois affaissements en bordure des voies de circulation.

12 h : fermeture complète de l’autoroute Jean-Lesage entre les sorties du boulevard Foucault et du boulevard Saint-Joseph par la Direction générale de la Mauricie–Centre-du-Québec (DGMCQ) du MTQ. La circulation est déviée vers les rues Montplaisir, Saint-Georges et le boulevard Saint-Joseph à Drummondville.

15 h : arrivée des ingénieurs du MTQ sur les lieux.

Le pavage des voies de circulation a pu commencer en soirée le 24 avril. (Photo : archives, MTQ)

16 h 30 : une rencontre par vidéoconférence entre des gestionnaires et membres du personnel de la DGMCQ, de la Direction de la géotechnique et de la géologie (DGG) et de la Direction générale du laboratoire des chaussées (DGLC) afin d’entendre les explications de l’ingénieur Maxime Bolduc.

17 h 30 : une rencontre par vidéoconférence a lieu entre la DGMCQ, les Entreprises Delorme, l’assureur de ce dernier, la firme AVIZO Expert-Conseil et la Ville de Drummondville dans l’objectif de déterminer les prochaines actions à poser afin de rouvrir l’autoroute à la circulation le plus rapidement possible.

20 h 30 : arrivée sur place de l’ingénieur Sébastien Rheault, qui a été mandaté par la directrice générale de la DGMCQ, Marie-Ève Turner, d’agir en tant que chargé de projet et de superviser les travaux correctifs.

23 h : Les Entreprises Delorme présentent leur plan de méthode de travail pour rétablir la situation. Celui-ci consiste à excaver le remblai de l’autoroute dans les deux directions.

24 avril 2022

5 h : début des travaux de sciage de l’asphalte existant. Une section de plus de 10 mètres est retirée.

6 h : retrait de la couche d’asphalte existante. Découverte d’une cavité sous la dalle de béton qui constitue la structure de la chaussée. Les vibrations des travaux entraînent des affaissements de la chaussée.

8 h : début de l’excavation du remblai. Découverte d’une poche d’eau qui s’était emmagasinée dans le remblai.

Après-midi : début de remblayage des tranchées avec des matériaux granulaires autorisés par le MTQ.

17 h : préparation finale de la chaussée avant le pavage.

18 h : début des travaux de pavage des voies en direction ouest.

20 h : réinstallation des glissières de sécurité.

21 h : début des travaux de pavages des voies en direction est.

22 h : réouverture des voies en direction ouest à la circulation.

25 avril 2022

1 h 30 : réouvertures des voies en direction est à la circulation.

*Heures approximatives

 

 

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