Des courtepointes pas comme les autres

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Par Emmanuelle LeBlond
Des courtepointes pas comme les autres
Isabelle Dupras fait de la courtepointe contemporaine depuis environ dix ans. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Isabelle Dupras s’illustre dans une pratique artistique qui est peu commune : la courtepointe contemporaine. Dans son atelier, elle conceptualise, découpe, assemble et pique, tout en s’appropriant cet objet issu du patrimoine culturel.

C’est avec grand bonheur que la Drummondvilloise a ouvert les portes de son lieu de création. Plusieurs stations de travail divisent l’espace. Entreposage de tissus, table à dessin, machine à coudre et mur d’assemblage, tout y est.

L’artiste travaille sur une œuvre commémorative, Colette. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Au moment de la visite de L’Express, une courtepointe était en cours de réalisation. De multiples morceaux de tissus étaient épinglés sur un mur en styromousse, ce qui lui permet d’avoir une vue d’ensemble de son travail. Plusieurs couleurs composaient cette courtepointe, pour former une œuvre à la fois dynamique et vivante.

Isabelle Dupras a un lien particulier avec sa création. «Dans ma pile de tissus, je suis tombée sur un pantalon à Colette. En fouillant davantage, j’ai trouvé d’autres tissus qui s’agençaient bien ensemble. Les couleurs m’interpelaient», indique-t-elle, en précisant que cette courtepointe est une œuvre commémorative.

Colette Morin est une courtepointière qui a marqué le parcours de l’artiste. Isabelle Dupras voue une grande affection à cette dame qui a consacré sa vie à la pratique.

«C’est la mère de ma meilleure amie. Elle fait des courtepointes depuis toujours. Je me suis mariée en 2000. Elle ne m’a pas fait de cadeau de noce. En 2003, elle m’a finalement offert une courtepointe splendide. J’ai voulu la remercier. Je me suis dit que j’allais lui acheter un livre de courtepointe un peu spécial. En feuilletant mon cadeau, j’ai eu un déclic», raconte-t-elle, alors qu’un intérêt est né.

Isabelle Dupras en pleine création. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Isabelle Dupras a réalisé que la courtepointe était un art qui pouvait s’inscrire dans la branche du contemporain. «C’est l’époque où les réseaux sociaux commençaient. J’ai passé des heures à regarder les courtepointes des autres et à me décider à faire ma première. J’avais trois morceaux d’assemblés et j’envoyais ça à ma meilleure amie pour qu’elle les montre à Colette», se remémore-t-elle, avec un sourire.

C’est à l’âge de 43 ans qu’elle s’est lancée dans cette aventure. Dès le début de sa pratique, Isabelle Dupras avait une conscience environnementale développée en utilisant des tissus recyclés. Sa deuxième courtepointe était composée de jeans recyclés, recouvrant la banquette de sa camionnette.

En 2016, la Drummondvilloise a vendu son entreprise pour consacrer plus de temps à ses créations. «Je travaillais trois jours par semaine et je faisais de la courtepointe quatre jours par semaine. J’en ai mangé.»

Entre-temps, Colette Morin a rendu l’âme, à l’âge de 72 ans. Quand ses filles ont vidé son appartement, elles ont dénombré une cinquantaine d’oeuvres terminées. Il y avait également une montagne de tissus. Isabelle Dupras a eu la chance d’en hériter. Encore aujourd’hui, elle profite de ce généreux don qui nourrit ses créations.

Un hommage à Réjean Pétrin, Cosmos. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Raconter des histoires

Toutes les œuvres d’Isabelle Dupras racontent des histoires. Cosmos est inspirée d’une sculpture de l’artiste Réjean Pétrin, tandis que Roadkill Bingo dénonce le jeu du même nom qui consiste à repérer des victimes animales et des objets sur la route.

Même si l’artiste sort des sentiers battus par son art, elle respecte tout de même les techniques traditionnelles. «La courtepointe est ancrée dans un patrimoine qui a des codes. Il faut que les assemblages soient parfaits. Il faut que les coutures ne paraissent pas. Il faut que tes points soient impeccables», énumère-t-elle.

Elle est consciente que les Québécois ont un attachement particulier envers cette pratique artistique. «Le monde a un capital de sympathie par rapport à ce que je fais parce que les courtepointes nous touchent. Presque tout le monde a une grand-mère ou une tante qui en faisaient. Ils sont capables de s’y identifier.»

L’artiste a plusieurs projets sur la table. Présentant sa première exposition solo au centre de diffusion Axart en 2019, elle sera de retour avec une exposition en collaboration avec son conjoint en novembre 2022. D’ailleurs, l’une de ses créations s’envolera aux États-Unis, à l’occasion d’une exposition internationale.

«La courtepointe que je propose fait partie de ma série sur les oiseaux du Québec. Urubu représente un vautour à tête rouge. C’est une exposition sur les animaux», explique-t-elle.

Urubu. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Isabelle Dupras carbure aux idées créatives. «Certaines personnes piquent à la main. Pour moi, ça serait une torture. J’ai besoin que ça aille vite. Il y a déjà d’autres projets qui attendent en ligne. On dirait que mes idées évoluent plus vite que ma pratique. Je n’ai pas besoin de chercher de l’inspiration. Ça se bouscule», termine celle qui est d’ailleurs récipiendaire de l’Ordre de Drummondville en 2020.

Un amour pour l’horticulture

Isabelle Dupras a été pendant plus de 20 ans propriétaire d’une pépinière à Ulverton. L’architecte paysagiste s’est même distinguée en remportant le prix Henry-Teuscher, accordé par le Jardin botanique de Montréal, en 2013, soulignant sa contribution significative à l’avancement de l’horticulture québécoise.

À cette époque, la notion du patrimoine lui tenait tout autant à cœur. «On vendait des plantes indigènes du Québec. C’étaient des plantes qui poussaient naturellement au Québec. Il n’y a personne qui en faisait. Je voulais travailler avec ça parce que ça évoquait notre paysage. C’était notre patrimoine naturel.»

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