Une seconde vie après la prostitution

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Par Frederic Marcoux
Une seconde vie après la prostitution
Catherine s’est prostituée pendant près de 20 ans, avant de finalement tourner la page. (Photo : Photo Ghyslain Bergeron)

(NOTE DE LA RÉDACTION) L’Express présente aujourd’hui un dossier sur l’industrie du sexe, un univers bien présent à Drummondville, mais qui nous apparaît fort discret voire invisible. Des gens de la région qui travaillent ou – qui ont travaillé – dans ce secteur méconnu de la communauté ont accepté de briser le silence.

«La prostitution, c’était un enfer. Chaque fois que je me réveillais, je me disais : “Qu’est-ce que je vais faire? Je ne suis pas morte calvaire”.»

Étudiante en Sciences infirmières à l’Université de Montréal et détentrice d’une mineure en administration, Catherine (nom fictif), âgée de la vingtaine, a plein de projets en tête avec ses deux jeunes garçons. La Drummondvilloise les voit de façon sporadique, puisqu’ils passent beaucoup de temps avec leur père respectif. Incapable de trouver un remède à la schizophrénie qui l’habite, elle est forcée de mettre ses études sur la glace. Sans un sou, après avoir perdu l’accès à ses prêts et bourses, la jeune femme est ensuite arrêtée et passe une fin de semaine en prison pour une contravention impayée. Catherine n’a jamais consommé de drogues. La prison, un milieu qu’elle qualifie de «toxique» avec «ces racailles», viendra bouleverser sa vie.

«À ma sortie de la prison, j’ai rencontré à Québec une fille que j’avais vue quand j’ai passé ma fin de semaine là-bas. Elle m’a demandé de l’héberger; j’ai accepté. La fille faisait de la prostitution de rue et se piquait à la cocaïne, je n’avais jamais vu ça. Elle m’a proposé de faire ça avec elle et son chum pour me faire 40$ rapidement. C’est de même que j’ai commencé à me prostituer», raconte Catherine.

Une période sombre

Aux yeux de la Drummondvilloise, la région de Québec n’offre aucun espoir pour une prostituée. Le rêve d’une vie meilleure est réduit à néant dans la Vieille Capitale. Après un bref passage en prison pour une autre amende non payée, Catherine profite de la situation pour être transférée à Montréal.

«Québec, c’est la pire ville pour la prostitution, révèle-t-elle. Il y a quatre rues dans la basse ville où tu peux faire 50 clients par nuit si tu veux. Ça n’arrête pas, c’est pire qu’à Montréal. Il n’y a pas de pot. Les gens se piquent; c’est la grosse misère noire».

Catherine

Dans la métropole, Catherine laisse la prostitution de côté après s’être fait «menacée de mort par de dix pimps noirs» qui voulaient la forcer à travailler pour eux.

«C’était la débandade à Montréal. J’étais pieds nus, en plein hiver dans la slush et je vivais en dessous du pont Champlain. […] À un moment donné, je vais voir un pusher, je braillais parce que je venais de me faire crosser par un ami. Je lui ai demandé ce que je devais faire pour me sortir de là. Il m’a dit : “entoure-toi de bonnes personnes”. Cela n’a pas pris trois heures et j’étais rendue à l’hôpital pour demander l’aide.»

Désespérée, elle revient à Drummondville pour se rapprocher de ses fils et pour améliorer son sort.

Sa vie change le 20 février 2017

À Drummondville, Catherine se retrouve dans une ville où la compétition est moindre qu’ailleurs au Québec dans le monde de la prostitution. La demande pour ses services est toutefois bien présente. Catherine sillonne les rues de la ville et accoste certains automobilistes. Plusieurs clients sont sympathiques, tandis que certains autres sont violents; Catherine évite ces derniers dans la mesure du possible.

À son arrivée dans la région, en 2012, elle se sent mal. Ses enfants vieillissent et savent quel est son travail. Elle veut trouver une solution, mais le seul emploi qu’elle connaît pour payer son loyer est celui de prostituée.

«Mes fils ont un courage incroyable. Quand je souffrais de la schizophrénie en 2003, mes enfants m’ont vu plus magané qu’au moment où j’étais dans la rue. Ils m’ont beaucoup aidé à Drummondville», confie-t-elle, en mentionnant qu’un de ses garçons lui a déjà sauvé la vie, en se présentant par hasard à son appartement, tard le soir, alors qu’un client avait posé un couteau sur sa gorge. Son fils, assez costaud, avait expulsé l’homme en question.

En février 2017, en raison de la consommation de drogues, la santé de Catherine se détériore au point où le 20 février, un médecin lui annonce qu’il lui reste quelques semaines à vivre et qu’elle avait une place réservée aux soins palliatifs.

«Mon cœur était à 7% de ses capacités. Le médecin m’a donc dit qu’il lançait la serviette. J’avais de l’eau sur les poumons. C’était le jour de l’anniversaire d’un de mes fils. Quand j’ai vu leur réaction, après l’annonce du médecin, je me suis dit que je ne pouvais pas les abandonner et que je ne consommerais plus jamais. Je les ai assez déçus. J’ai décidé de les utiliser comme un phare dans ma vie. Je vais vivre pour mes enfants. […] Ça faisait presque 20 ans que je me laissais rabaisser et que je creusais ma tombe», laisse-t-elle tomber.

Après avoir demandé au médecin de «faire un miracle», contre toute attente, les capacités cardiaques de Catherine passent de 7% à 32% en quelques jours. Trois jours après l’événement, elle obtient son congé de l’hôpital. Depuis plus d’un an, Catherine ne consomme plus. Elle profite du soutien de La Piaule à Drummondville. Présentement en période de réhabilitation, animée par une joie vivre, Catherine prévoit dénicher un travail dans les prochains mois.

Qu’est-ce que la Catherine de 2018 dirait à la jeune femme qu’elle était à l’époque?

«Vas-y, t’es capable, lance la dame âgée de 43 ans. Ce n’est pas plate vivre. C’est beau être à jeun. Tu ne t’ennuieras pas. Le monde va être derrière toi. Il ne faut pas avoir peur de mordre dans la vie.»

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