Errer entre les images avec Léna Mill-Reuillard

Photo de Claude-Hélène Desrosiers
Par Claude-Hélène Desrosiers
Errer entre les images avec Léna Mill-Reuillard
Léna Mill-Reuillard. (Photo : Ghyslain Bergeron)

ARTS VISUELS. Dans son exposition solo Airer, Léna Mill-Reuillard nous propose de réfléchir à la façon dont on habite un lieu. Œuvre morcelée en six écrans, elle s’inscrit un peu à contre-courant par sa lenteur et étonne par sa forme.

DRAC présente cet été cette exposition de Léna Mill-Reuillard, son projet le plus ambitieux à ce jour, dont le commissariat est assuré par Florence-Agathe Dubé-Moreau. L’artiste offre une expérience immersive où le public est amené à déambuler librement entre six écrans afin de saisir l’entièreté de l’image qui y est fragmentée. «C’est une œuvre qui est techniquement une prouesse, c’est extrêmement abouti», estime la commissaire.

De fait, Léna Mill-Reuillard est également directrice de la photographie au cinéma. Elle est fascinée par l’image, par la réflexion autour de celle-ci. Elle est aussi intéressée par le pouvoir de la narration. Au grand écran, l’image peut développer une esthétique pour porter le récit. En arts visuels, la narration reste présente, car si l’artiste ne raconte pas une histoire à proprement parler, elle crée un univers visuel qui entraîne le spectateur dans un certain état d’esprit.

Au cinéma, on est happé physiquement par l’image, plus grande que nature, pour nous permettre d’entrer dans l’histoire. «J’ai essayé de détourner cette idée-là pour amener une image à s’étirer dans l’espace, à prendre possession de l’espace, pas nécessairement seulement par l’image projetée, mais aussi par l’entre-image, les espaces qui sont entre les images. On peut se projeter, comme spectateur, on peut retirer des ficelles, reconstituer, pour voir ce qui se passe». Le spectateur se promène entre les images pour recréer sa propre image.

Florence-Agathe Dubé-Moreau, croit que la force de Airer est d’agir sur notre corps. «Comme les projections sont très grandes, quand on voit Léna elle est à peu près de notre grandeur. On est presque conviés dans cette maison. L’œuvre s’ouvre à nous. On est invités à s’y inscrire directement».

Habiter un lieu

(Photo : Ghyslain Bergeron)

Le projet a été amorcé dans le cadre d’une résidence de création à la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement, située à Saint-Edmond-de-Grantham. Très influencée par le lieu, qui est singulier, elle s’en est imprégnée. «L’architecture me parlait, par exemple la manière dont les fenêtres s’inscrivent dans l’architecture». De jour, on regarde le paysage dehors, puis, avec la pénombre, l’intérieur se reflète dans la fenêtre. «C’est très particulier, parce que le lieu se referme sur lui-même, se dédouble à un certain point, entre le réel et l’image qui nous est projetée par les fenêtres. J’ai été happée par ce phénomène lumineux, par toute cette idée du renfermement sur soi, et aussi du regard qu’on peut porter sur l’intérieur», raconte-t-elle.

La commissaire de l’exposition souligne les tensions sur lesquelles joue habilement l’artiste visuelle. «C’est une très longue vidéo d’une heure dans laquelle on suit Léna. Elle documente une architecture atypique et difficile à comprendre parce qu’elle est morcelée dans l’espace. Quand on se promène, on suit Léna, elle nous accompagne, on essaie de comprendre ou elle est, ce qu’elle fait… Au fur et à mesure que la vidéo avance, il y a un brouillage entre l’espace intérieur qu’on voit, et l’espace extérieur qui nous enveloppe simultanément. Cela invite à des questions plus larges», explique-t-elle. Y a-t-il quelque chose d’autre qui se passe entre les images, entre les projections, entre les moments où Léna apparaît ou disparaît, entre ce qui est caché et révélé?

Le positionnement du corps dans l’œuvre

Dans sa pratique, Léna Mill-Reuillard propose des œuvres activées par le spectateur, ou par sa propre présence dans l’œuvre. «Je vais créer des déplacements, des altérations visuelles sur l’image. Je fais différentes actions dans le lieu qui l’amènent à se modifier, de par la lumière, principalement, mais parfois je tends des surfaces papier qui modifient la perception de l’espace aussi». Ainsi, elle provoque un autre questionnement : comment le corps se positionne-t-il dans l’image et dans l’espace? Comment la présence du corps altère-t-elle le lieu?

«Mon but, c’est aussi de transposer l’espace dans la galerie pour que les gens puissent vivre cet espace-là physiquement, par leurs déplacements. Chacun va se mouvoir de manière différente et va créer sa propre narration à travers l’œuvre». C’est une lecture plurielle qui s’ouvre aux visiteurs, en interprétant l’image d’une façon diverse. «Je souhaite que le spectateur le vive comme il le souhaite, et comme il arrive. C’est une longue boucle, les gens vont arriver à des moments différents, c’est intéressant qu’ils le vivent différemment. On prend le moment qui est. J’aime bien cette idée-là».

Une œuvre qui n’aura pas deux lectures identiques : Mme Dubé-Moreau la qualifie de multiple, d’ouverte dans son sens et dans ses possibilités d’interprétation.

Contemplation et lenteur

L’idée de la contemplation est très présente dans son travail. «J’aime prendre le temps de regarder les choses et de voir comment le temps et la lumière modifient l’espace. J’aime contempler les microvariations qui se produisent. La contemplation pour moi est une manière de se poser, de vivre les choses».

Florence-Agathe Dubé-Moreau. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Florence-Agathe Dubé-Moreau abonde dans ce sens. «C’est une œuvre qui est très lente, qui s’expérimente dans la durée. Ça nous invite à nous poser nous-mêmes puis à vivre et absorber cette œuvre-là».

Il est intéressant de savoir que la vidéo a été tournée au tout début de la pandémie, alors que l’appel au confinement résonnait dans les chaumières québécoises. «Ce n’est pas une clé de compréhension essentielle pour l’œuvre, mais collectivement, après avoir vécu l’isolement, le repli sur nous-mêmes, il y a quelque chose de très parlant dans cette œuvre. On la voit qui se promène, elle déambule, mais il y a aussi le fait d’être seule, dans la forêt», raconte Florence-Agathe Dubé-Moreau.

Vernissage-événement

On peut assister au vernissage de Airer le samedi 8 juillet dès 13 h. L’artiste et la commissaire seront présentes pour échanger avec le public. Une prise de parole officielle aura lieu à 14 h. Puis, dès 15 h, les gens seront invités à poursuivre l’événement à la Fondation Grantham afin de découvrir le magnifique lieu qui a inspiré l’exposition. Sur place, Léna Mill-Reuillard et Florence-Agathe Dubé-Moreau échangeront sur le projet d’exposition lors d’une discussion animée par Josianne Poirier, directrice artistique de la Fondation Grantham. Un service de navette sera disponible gratuitement à partir de DRAC vers la Fondation Grantham à 15 h. Le retour à DRAC est prévu vers 17 h 15. Réserver votre place dans la navette : https://www.eventbrite.ca/e/billets-vernissage-evenement-airer-de-lena-mill-reuillard-samedi-8-juillet-663683504227. L’événement est gratuit et ouvert à tous.

Rappelons enfin que l’exposition aura lieu du 8 juillet au 20 août.

 

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