L’attachante épouse du fondateur de la poutine

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Par Lise Tremblay
L’attachante épouse du fondateur de la poutine
Fernande Michaud-Roy est l’épouse du fondateur de la poutine au Québec, Jean-Paul Roy. Ils ont géré le Roy Jucep durant 30 ans. (Photo : Ghyslain Bergeron)

PORTRAIT. Fernande Michaud-Roy n’est pas une femme comme les autres. Oui, elle est l’épouse de feu Jean-Paul Roy, le fondateur de la poutine au Roy Jucep. Mais elle est surtout celle qui a donné une âme à ce restaurant devenu une référence à la grandeur du Québec.

Écouter le récit de Fernande Michaud-Roy, 87 ans, est comme tendre l’oreille à un grand classique de la chanson française. Impossible de s’en lasser.

«J’ai raconté l’histoire de la poutine plein de fois. Ça ne me tente plus vraiment. Je préfère jouer au golf. Je joue quatre fois par semaine avec mes amies. Vous savez, je suis membre du Club de golf de Drummondville depuis 1964. Mais bon, je vais faire une exception. Je vais vous la raconter, mais ce sera la dernière fois.»

Comment ne pas tomber sous le charme de cette dame ricaneuse, pleine de vie?

«C’est nous autres qui avons parti ça, mon mari et moi. En 1964, on a ouvert le Jucep et on faisait le service à l’auto. Un jour, on était allé en voyage en Floride, à Fort Lauderdale, et on avait arrêté manger dans un milkbar. Il y avait des marquises et des autos se stationnaient en dessous. On avait pris des photos et mon mari a décidé de faire ça à Drummondville. C’est comme ça qu’on a commencé à faire le service à l’auto.»

De son propre aveu, l’histoire de la poutine est «simple comme bonjour».

La dame est âgée de 87 ans. On la voit ici observer une photo de son mari, qui est décédé il y a 14 ans. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Les filles prenaient les commandes et elles devaient écrire sur leurs feuilles «frites, fromage et un plat de sauce». C’était long à écrire! Il a donc fallu qu’on trouve une solution pour que ça aille plus vite. À l’époque, on avait avec nous un cuisinier qui s’appelait Gilles Dubé. Son surnom était «ti-pout». Mon mari a fait une réunion avec les serveurs et les cuisiniers pour leur dire qu’il fallait absolument trouver un nom pour aider les serveuses. Et c’est là qu’une d’elles a dit : «Ti-pout fait de la poutine». On est tous partis à rire et c’est comme ça que ç’a commencé! Au début, les gens pensaient que «poutine» venait du mot «pouding», mais ce n’était vraiment pas ça», raconte Mme Fernande Michaud-Roy, dans un rire communicatif.

Son mari Jean-Paul Roy, considéré comme l’inventeur de la poutine au Québec, était reconnu pour ses talents de cuistot. «Quand il était garçon, il a travaillé durant six ans à l’hôtel Mont-Royal à Montréal. Sa sauce était réellement bonne. Le monde venait en acheter à coup de galons», poursuit la dame.

À cette époque, les Roy achetaient tout leur fromage en grains à Saint-Cyrille-de-Wendover. «On a toujours pris notre fromage chez Lemaire. C’est le meilleur.»

Avec l’inscription du mot «poutine» au menu du Jucep, le restaurant du boulevard Saint-Joseph est rapidement devenu très populaire, par la magie du bouche-à-oreille. Les gens venaient de partout au Québec pour découvrir le trio frites, fromage et sauce. Le restaurant pouvait écouler jusqu’à 7800 poches de pommes de terre par année.

«C’était tout le temps plein. On avait de l’ouvrage! Je vais dire comme on dit : on a eu un bon public. En tout cas, je peux vous dire qu’il s’en vendait de la poutine! De la poutine double… en voulez-vous de la poutine? En vla! Dans le temps, on était quasiment tout seuls sur le boulevard Saint-Joseph et puis on fermait tard la fin de semaine. Après le cinéma puis les courses automobiles, ça venait manger au Jucep. On fermait à 4h30 du matin les samedis. Il avait tellement de monde qu’on a dû engager une police de sécurité pour faire le trafic parce que parfois, la bagarre prenait entre les autos. Il y a des gens qui étaient réchauffés par l’alcool, je pense. Il fallait faire de l’ordre dans le stationnement. Ç’a été toute une aventure.»

Fernande Michaud-Roy (Jucep). (Photo Ghyslain Bergeron)

Durant ces années mémorables, le Jucep comptait plus de 40 employés. Chacun était considéré à sa juste valeur.

«On avait tellement de bons employés. Quand on a vendu le restaurant, certains travaillaient pour nous depuis 25 ans. On était choyés. Le laveur de vaisselle était aussi important que le cuisinier. On prenait soin de notre monde. On était honnête avec nos employés», exprime Fernande Michaud-Roy, qui vit aujourd’hui à la résidence Jazz.

Des années plus tard, elle estime que le succès du restaurant à l’allure rétro est attribuable à la qualité de nourriture qui était servie.

«Le manger était vraiment très bon, affirme-t-elle. On faisait tout dans le restaurant : nos tourtières, nos tartes, nos sauces et même nos confitures aux fraises. On avait un chalet à Saint-Léonard-d’Aston sur le bord de la rivière. L’été, on faisait un grand jardin. Je me rappelle que l’automne, on récoltait 50 poches d’oignons qu’on se servait par la suite au restaurant. On cueillait aussi nos fraises. C’était des vraies fraises rouges du Québec! On faisait toutes nos confitures pour les déjeuners et nos tartes. On avait aussi une petite cabane à sucre. Le sirop d’érable qu’on faisait servait pour les crêpes et les pains dorés. Une fois, du monde de Québec est venu manger au Jucep. Ils avaient laissé leur auto en face chez M. Gougeon, puis ils sont venus déjeuner au restaurant. Ils nous ont dit que c’était la première fois qu’ils mangeaient de la bonne confiture maison. Ils n’en revenaient pas!»

À cette époque, Fernande Michaud-Roy ne calculait pas ses heures. En plus d’avoir pris soin d’un enfant, elle touchait à tout au restaurant. Elle préparait les déjeuners, aidait dans la cuisine, lavait les tables et se chargeait de la comptabilité du mieux qu’elle le pouvait.

Le couple a géré le Jucep durant 30 ans, soit de 1964 à 1985. À travers les années, le restaurant a été agrandi et modernisé. Avant cela, les Roy détenaient le Roi de la patate, un autre restaurant qui a été très populaire à Drummondville durant ces années. Il était situé sur la rue Lindsay, au centre-ville.

Jean-Paul Roy est décédé le 16 août 2007 à l’âge de 74 ans des suites d’un AVC. Toute sa vie, la poutine, sa création, a constitué une grande source de fierté.

Si la paternité de la poutine a fait l’objet de plusieurs débats tant à Drummondville que du côté de Warwick, on peut certainement avancer aujourd’hui que le temps aura finalement donné raison à M. Roy.

Jean-Paul Roy, le fondateur de la poutine au Québec. (Photo d’archives – L’Express)

C’est qu’en avril dernier, l’auteur Sylvain Charlebois a publié un livre, intitulé «Poutine nation», qui expose les origines et l’évolution extraordinaire de ce plat. Au fil des rencontres qu’il a réalisées, M. Charlebois a pu mettre un terme à cet éternel débat à savoir où la première poutine a été créée. Il a conclu que le mot «poutine» est né à Warwick en 1957, mais que le produit a réellement pris naissance à Drummondville. Il affirme : «Je crois que Fernand Lachance de Warwick est le père de la poutine et que Jean-Paul Roy en est l’inventeur».

Qu’en pense aujourd’hui Mme Michaud-Roy?

«Mon mari disait toujours : ils diront ce qu’ils voudront, on ne se chicanera pas avec personne, mais la poutine a été inventée à Drummondville. À Warwick, ils mettaient juste des patates et du fromage dans un sac. Il n’y avait pas de sauce.»

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, la poutine est un mets apprécié et très populaire. D’ailleurs, notre interlocutrice en mange encore régulièrement. Et elle adore ça!

«Un jour, un journaliste de Montréal a démoli la poutine. Foglia qu’il s’appelait. Je m’en rappellerai toujours. Il a écrit un article sur le journal et ça n’avait tellement pas de bon sens. Il disait que la poutine ressemblait presque à du «renvoyage» ou quelque chose du genre. Je vous dis que j’aimerais bien ça le revoir aujourd’hui, ce journaliste-là. La poutine, il s’en vend partout et c’est bon. Et vous savez quoi? La poutine ne mourra jamais!

C’est ce qu’on appelle clouer le bec à un chroniqueur.

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