Par Jean-Claude Bonneau
Si on vous parle des «réfugiés de la mer», plusieurs feront référence à des familles qui, pendant une guerre qui a duré vingt ans, évitent la persécution au Vietnam en s’échappant par bateaux jusqu’à un camp de réfugiés en Malaisie, avant de trouver une nouvelle terre d’accueil. Pour de centaines de ces familles, cette nouvelle terre d’accueil avait pour nom le Canada et… Drummondville.
Le 19 juin 1979, profitant de programmes de parrainage, 13 «réfugiés de la mer» arrivaient à Drummondville, souhaitant plus que jamais entreprendre une nouvelle vie et, pour plusieurs, fonder une famille.
De ces 13 Vietnamiens qui ont reçu un accueil chaleureux tant de la part de leurs parrains-marraines que des responsables de l’organisme La Source (à l’époque dirigée par Renée Biron) ou de certains membres d’organismes gouvernementaux comme Paul Ladora qui ont vu à leur intégration, Vi Hung Truong est le seul qui demeure toujours à Drummondville. Mais, on peut affirmer sans se tromper que toutes ces personnes n’ont jamais oublié l’accueil des Drummondvillois et ont su garder le contact avec ceux et celles qui leur avaient pavé le chemin d’une vie nouvelle.
40 ans plus tard, place aux retrouvailles
Que sont devenus ces réfugiés de la mer depuis ce premier pas en sol drummondvillois, eux qui ont été confrontés à la langue, au climat et à la recherche d’un emploi?
Certains demeurent maintenant dans les régions de Montréal et de Toronto, d’autres ont immigré ailleurs au Canada ou aux États-Unis. Mais encore aujourd’hui, tout un chacun a un point névralgique en commun : Drummondville.
Si bien qu’il y a quelques semaines, la moitié de tout ce beau monde s’est retrouvée chez nous, en compagnie des parrains et marraines de l’époque, d’amis qu’ils se sont faits et des gens qui leur ont fourni toute l’assistance nécessaire pour amorcer un nouveau chapitre de leur vie… lors de grandes retrouvailles qui se sont déroulées à l’Hôtel et Suites Le Dauphin.
Même si ces «réfugiés de la mer» ont toujours gardé le contact entre eux, il était agréable de voir toute l’atmosphère qui régnait lors de ces retrouvailles, de voir combien chaleureuses étaient les accolades.
Pour la famille de Jacques et Irène Gauthier, comme pour plusieurs autres familles, cette soirée valait tout son pesant d’or.
C’était la même chose pour les Renée Biron, Paul Ladora et tous les autres qui ont accueilli ces réfugiés en 1979. Dans une allocution qu’elle a fort bien rendue, Johane Gauthier Galli, se faisant la porte-parole de la communauté drummondvilloise, ne s’est pas gênée pour affirmer qu’elle se souviendra toute sa vie de ce mois de juin 1979.
«Au printemps 1979, nous avions entendu dire que Drummondville accueillerait des réfugiés de la mer qui fuyaient le Vietnam. En juin 1979, nous avons su que le premier groupe de réfugiés était arrivé et qu’ils étaient logés à La Source. Mes amies et moi avons donc décidé d’aller les voir. Je me rappelle clairement de la scène. Des hommes et des garçons étaient sur le perron et nous les entendions discuter. Nous sommes passées devant l’école, puis nous avons décidé de retourner leur dire bonjour. Certains parlaient un peu le français, d’autres non, mais nous avons tout de même réussi à devenir amis».
Parmi eux, il y avait Chi Liem Duong et son frère Chi Hao, les deux Duke, le jeune et le vieux, Dominic, Phu, Manhem et son fils, et plusieurs autres.
«À 16 ans, j’avais lu que les gens qui arrivaient à Drummondville avaient déjà beaucoup vécu, a indiqué Johane Gauthier Galli. Mais à seize ans, je ne comprenais pas l’ampleur de tout ce qu’ils avaient vécu : qu’ils fuyaient une situation extrêmement difficile, qu’ils avaient laissé des proches, et qu’ils avaient vécu de très grandes difficultés pour arriver ici. Pour nous, cette histoire débutait en 1979, mais pour nos nouveaux amis, c’était la continuation d’une histoire qui avait commencé de nombreuses années plus tôt».
Lors de l’activité retrouvailles, la résilience des réfugiés a été soulignée.
«Vous êtes arrivés avec presque rien : dans les quarante dernières années, vous vous êtes construit une vie et vous avez grandement contribué à notre pays. Vous vous êtes intégrés à vos communautés, vous vous êtes mariés, vous avez eu des enfants. Certains d’entre vous sont même devenus mes frères. Je veux reconnaître tous vos efforts, votre travail, votre détermination qui vous ont menés où vous êtes aujourd’hui», a mentionné Mme Gauthier Galli, devant un auditoire drummondvillois qui se rangeait totalement derrière elle.
Très reconnaissants
De son côté, Chi Liem Duong, qui se décrit comme le frère d’adoption de Johane Gauthier Galli, était, tout comme ses congénères, très émotif lors de cette soirée. Il a tenu à souligner toute sa reconnaissance envers les gens qui l’avait accueilli.
«Il y a 40 ans, je suis arrivé à Drummondville en tant que réfugié. Je ne connaissais ni le français ni l’anglais. Plusieurs personnes, tant du secteur privé que du secteur public, m’ont aidé à démarrer ma vie au Canada. Certains d’entre vous m’ont aidé à trouver un emploi, à apprendre le français et à répondre à mes besoins quotidiens. Au fil du temps, je me suis habitué à ma nouvelle vie. À mon arrivée, j’avais l’air différent et j’étais seul avec mon frère. Mais vous m’avez tous fait sentir comme chez moi. Vous m’avez traité comme une famille et m’avez appris le mode de vie canadien. Ce pays regorge d’opportunités pour les personnes désireuses de refaire leur vie et après 40 ans, je n’ai jamais regretté ma décision de venir m’installer au Canada. Sans vous, je ne serais pas où je suis aujourd’hui. Maintenant, mes enfants peuvent recevoir une meilleure éducation et grandir dans un monde meilleur», a donné à entendre Chi Liem.
Toujours à Drummondville
Quant à Vi Hung Truong, qui demeure toujours à Drummondville et qui compte bien finir ses jours ici, il a également vécu cette soirée de retrouvailles avec beaucoup d’émotion.
«Tout cela me rappelle de beaux souvenirs. Lorsque je suis arrivé à Drummondville avec mon frère et ma soeur, j’avais 18 ans. Je ne parlais ni français ni anglais, mais j’ai été accueilli à bras ouverts. Ce que je suis venu chercher au Canada, c’était la paix, la liberté et j’ai trouvé tout ça à Drummondville. Je suis vraiment très reconnaissant envers toutes les personnes qui ont facilité mon adaptation, même si au début, ça n’a pas toujours été facile. En 40 ans, il s’en est passé de belles choses ici. J’ai fait mes études au Cégep de Drummondville, j’ai un emploi chez Métalus, j’ai fondé une famille et j’entends bien prendre ma retraite ici.»
À son tour, M. Hung Truong a donné au suivant et a parrainé d’autres membres de sa famille en 1989, soit sa sœur, son mari et leurs trois enfants.
Vi Hung Truong apprécie le Québec et particulièrement Drummondville… bien que les autres membres de sa famille habitent la région de Toronto.
«Nous nous rencontrons quelques fois par année, entre autres durant les vacances d’été ou de Noël. Mais pour moi, ma vie elle est ici parce que je suis entouré de tous ces gens qui m’ont accueilli et de mes amis», a conclu M. Truong.
Encore aujourd’hui, ce sont le Québec et l’Ontario qui regroupent le plus de Canadiens d’origine vietnamienne. Au Québec, cette communauté est composée de plus de 35 000 personnes.
Un brin d’histoire
Au printemps 1975, la guerre prend fin au Vietnam, au Cambodge et au Laos. S’ensuit un exode de réfugiés, par voie terrestre et maritime. Plus d’un million de Vietnamiens ont quitté leur pays à cette époque.
Plusieurs ont fui dans de petites embarcations surchargées, les <@Ri>boat people<@$p>, d’autres ont dû passer de longues années dans des camps de réfugiés, notamment en Thaïlande, en Indonésie, aux Philippines, à Hong Kong et en Malaisie.
De 1975 à 1976, quelques milliers d’immigrants vietnamiens ont été admis au pays, le Canada ayant mis un certain temps à réagir à cette crise humanitaire. Toutefois, en 1979, à la suite de la mobilisation de la population canadienne, le gouvernement a décidé d’augmenter le nombre de réfugiés qu’il accueillait en organisant un programme de parrainage, comptant notamment sur le soutien des entreprises et des regroupements de citoyens.
En plus du programme canadien, le Québec a mis sur pied son propre programme de parrainage, offrant une terre d’accueil à quelque 10 000 réfugiés.