Plaidoyer pour la rivière Saint-François (Tribune libre)

Plaidoyer pour la rivière Saint-François (Tribune libre)
Photo aérienne dont il est question dans ce texte. (Photo : Goole Map)

On n’a qu’à regarder une photo – pas une de celles fournies par la compagnie – pour voir, tout juste à côté du dépotoir, le grand croche que fait la rivière à cet endroit.

On l’appelle affectueusement le «bec du canard». À vol d’oiseau, c’est ce qu’on voit : le contour parfait d’un canard. Ce clin d’œil de la nature nous fait dire qu’elle fait bien les choses. Mais quand on voit le dépotoir à côté de la rivière, on se dit aussi que l’Homme n’a pas compris grand-chose.

Le projet déposé par la compagnie et dont il faudra décider dans les prochaines semaines : agrandir pour enfouir neuf millions de tonnes de déchets. À titre indicatif, une automobile pèse environ une tonne. Si la comparaison a ses limites, elle peut nous donner une idée de l’ampleur du projet. C’est le processus de dégradation de la nature qui se poursuit.

Il faut être aussi un peu beaucoup «colon» (au sens de colonisé) pour accepter qu’une compagnie du Texas vienne creuser un trou chez nous, à côté de notre rivière et, par-dessus le marché, qu’elle nous fasse payer pour y enfouir nos déchets.

Certains disent aux opposants au projet : «Ah, vous ne voulez pas de déchets». Ils invoquent le syndrome du «pas dans ma cour». Or, il n’en est rien. Le dépotoir de Drummondville est juste mal placé. Il serait à l’intérieur des terres qu’on n’en parlerait presque pas. En Ontario, au site d’enfouissement Richmond, à Napanee, c’est la même compagnie qu’à Drummond. Le site a fermé en 2011. Selon un reportage de Radio-Canada, l’eau est contaminée. La compagnie paye et achemine de l’eau aux résidences affectées. Pourquoi prendre ce risque? Pourquoi prendre ce risque de corrompre notre nappe phréatique? Pourquoi prendre ce risque de contamination pour la rivière?

On a beau marcher pour la planète; il vient un temps où il faut prendre des décisions. Ce ne sont pas des décisions glamour. La plupart des grandes décisions ne le sont pas, d’ailleurs. Elles passent inaperçues, mais elles sont le fondement de notre société. Si tout va bien donc, si le projet de la compagnie ne se fait pas, il ne se passera rien. Il n’y aura personne pour venir nous féliciter. Il n’y aura pas de coupure de ruban ou de photo dans le journal. Aucun profit ne sera versé dans nos comptes de banque. Il ne se passera rien et la rivière continuera de couler.

On aura beau avoir la meilleure compagnie de gestion des déchets au monde. On peut prévoir un système de redevances, des compensations, rien ne pourra acheter la qualité de l’eau et de l’air. L’environnement, c’est comme la santé, ça ne s’achète pas. On peut faire toutes les évaluations qu’on veut. On peut aller devant les tribunaux. On peut même faire pousser des tomates. Un fait demeure : ce dépotoir est mal placé.

Avez-vous une idée du gâchis qu’on est en train de laisser aux enfants? Un dépotoir à côté d’une rivière? Beau cadeau. Il est temps de faire front commun contre ce projet d’enfouir neuf millions de tonnes à côté de la rivière St-François. C’est un non-sens environnemental. Si le bec du canard pouvait parler, il dirait «non», lui aussi.

Jean-Benjamin Milot

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