«J’ai l’impression qu’on a été vendu aux Américains»

«J’ai l’impression qu’on a été vendu aux Américains»
Dave Tourigny. (Photo : (Photo : Frédéric Marcoux))

AGRICULTURE. Dave Tourigny, un producteur laitier de Saint-Germain-de-Grantham, a reçu une mauvaise nouvelle à son réveil lundi matin. La nouvelle entente de libre-échange entre le Canada, le Mexique et les États-Unis qui concède 3,59% du marché canadien aux Américains l’amputera de près de 15 000$ de son revenu annuel.

«J’ai l’impression qu’on a été vendu aux Américains, soupire l’agriculteur âgé de 38 ans. C’est toujours l’agriculture qui subit les foudres des États-Unis. C’est nous qui sommes sacrifiés! On dirait que le Canada avait juste ça à donner le lait, lors des négociations.»

Celui qui est producteur laitier depuis 2004 estime que l’incertitude qui plane sur le secteur  incitera plusieurs à fermer boutique prématurément. Dave Tourigny trait une cinquantaine de vaches de race Holstein quotidiennement pour produire son quota de production de 57 kg de matière grasse. Sa conjointe Sophie Leblanc travaille également à la ferme. Pour joindre les deux bouts, Dave Tourigny s’occupe également de la régie du troupeau à la ferme Bergeroy à Saint-Samuel-de-Horton. Cela lui apporte un revenu supplémentaire pour payer ses dettes, en tant que jeune producteur dans le domaine. Si le total de 110 bêtes qu’il possède ne lui permet pas de bien vivre dans un futur rapproché, il ne s’éternisera pas dans le domaine.

Sophie Leblanc, Dave Tourigny et leur fille Raphaëlle Tourigny

«Des nouvelles comme ça, ça tue l’agriculture au Québec. On a atteint la grosseur du troupeau qu’on voulait. C’est clair que si on n’est pas capable de vivre avec ça, on va faire comme tout le monde et on va lâcher.  […] On a quasiment le même prix pour notre produit qu’il y a 20 ans et le prix du lait à l’épicerie n’a pas baissé. Il ne faut pas s’attendre à ce que ça baisse s’il n’y a plus de gestion de l’offre», avance Dave Tourigny qui a reçu 68$ l’hectolitre à sa dernière paie.

Selon lui, le Québec doit s’attendre à voir de plus en plus de méga-fermes, si la situation ne change pas, et ce, au détriment de l’environnement. La plus grosse ferme au Québec, la ferme Landrynoise située à Saint-Albert au Centre-du-Québec trait 1100 vaches quotidiennement. En comparaison, une des plus importantes entreprises laitières américaines, la ferme Fair Oaks en Indiana, trait plus de 30 000 vaches chaque jour.

«Présentement, ce n’est pas possible (d’avoir plusieurs milliers de bêtes au même endroit). On a des normes environnementales qui limitent le nombre de bêtes. Il va falloir accepter d’avoir des méga-fermes aussi. […] On a des normes de qualité, on est achalé pour le faire et c’est correct comme ça. Mais c’est frustrant de voir un produit entrer au pays qui n’a pas à respecter nos normes», déplore Dave Tourigny.

Il constate que les compensations d’Ottawa, lors de la dernière entente de libre-échange, affecte une minorité de producteurs avec le principe du premier arrivé, premier servi. Les documents à remplir et le délai pour obtenir une compensation ou une subvention gouvernementale sont également importants.

«Justin Trudeau m’a volé mon vote, insiste l’agriculteur. Il nous a dit qu’il défendrait la gestion de l’offre et il ne l’a pas vraiment fait, ça fait en sorte que je me suis fait littéralement voler. J’ai peur que ça se répète aux élections provinciales et qu’on se fasse compter des menteries!»

Sentiment d’abandon

De son côté, Jean-François Janelle, propriétaire d’un troupeau Holstein à Saint-Cyrille-de-Wendover garde lui aussi un goût amer de la décision prise par Ottawa. Il note que la nouvelle concession représente une perte de 13 jours de production pour les éleveurs.

«C’est un sentiment d’abandon pour nous, confie Jean-François Janelle. Trudeau s’est pavané devant les écrans en disant qu’il allait protéger la gestion de l’offre que les libéraux ont fondée. Ce qu’il vient de faire, c’est d’ouvrir une porte aux Américains qui ne pourra jamais être refermée, même s’il quitte le pouvoir l’an prochain. C’est un abandon de l’industrie laitière au profit des autres industries qui sont aussi importantes au Canada. On a été “bullshités”, c’était juste des belles paroles en l’air.»

Jean-François Janelle.

Justin Trudeau a mentionné tôt lundi matin, au terme des négociations, qu’il s’agissait «d’un grand jour pour le Canada». Jean-François Janelle ne partage pas cette vision, considérant que le Québec a près de 50% des fermes laitières au pays.

«S’il dit que c’est un grand jour pour le Canada, il faut exclure le Québec de son allocution», tranche-t-il.

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