Le syndrome du stress post-traumatique chez les camionneurs, une réalité méconnue

Le syndrome du stress post-traumatique chez les camionneurs, une réalité méconnue
Paul-Émile Proulx peut compter sur le soutien de Jasmine Chartier, sa conjointe. (Photo : Stéphane Lévesque)

SANTÉ. Paul-Émile Proulx vivait sa passion pour le camionnage jusqu’à un accident au volant d’un camion lourd le 5 janvier 2018. Depuis, il subit les effets d’un syndrome du stress post-traumatique. Dans un beau geste d’ouverture et de courage, il a accepté de rencontrer L’Express.

«En 2013, j’ai changé de carrière. Je suis devenu camionneur. Je voulais voyager. J’aime rouler et la liberté», rapporte Paul-Émile Proulx, de Drummondville. L’homme pour qui l’asphalte lui coule dans les veines a vu sa passion professionnelle s’arrêter subitement. «Le 5 janvier 2018, lors d’une grosse tempête, j’ai eu une perte de contrôle dans le coin de La Présentation. Quand je suis revenu à moi, j’avais la tête en bas. Sur le coup, comme un chevreuil, je me suis sauvé du truck malgré des entorses cervicale et dorsale et une commotion cérébrale. L’ambulance m’a amené à l’hôpital de Saint-Hyacinthe. Mon employeur n’a pas voulu venir me chercher. Mon boss m’a dit de me débrouiller. Il ne m’a jamais demandé de nouvelles. Il m’a appelé juste une fois une semaine et demi après l’accident pour que je rentre travailler. C’est ma conjointe qui est venue me chercher», se souvient-il avec rancœur.

Présente lors de l’entretien qui s’est déroulé au domicile familial, Jasmine Chartier, sa conjointe rapporte la suite. «J’ai été le chercher. Il y avait plein d’accidents sur la route. Le médecin a dit que tout était beau. Pourtant, sur le chemin du retour, Paul-Émile ne parlait pas. Il était figé. Il n’était pas comme d’habitude».

Lors de son court séjour à l’hôpital Honoré-Mercier, le camionneur ne passera pas de scanner pour identifier le traumatisme crânien qui a été diagnostiqué par la suite. Il ne se rappelle pas avoir été évalué psychologiquement d’ailleurs. C’est son médecin de famille qui va déceler chez Paul-Émile Proulx un syndrome du stress post-traumatique.

«Au début, je me sentais en dehors de mon corps. Le premier mois, j’ai dormi comme un bébé. Jasmine me réveillait pour manger. Après deux ou trois semaines, je me disais go, je retourne dans mon truck, mais je n’étais pas capable. Aujourd’hui, je ne suis toujours pas capable d’embarquer. Je fige», confie celui qui aimerait, un jour, reconduire un camion.

Les sautes d’humeur, la fatigue, l’anxiété et la colère, des symptômes associés au stress post-traumatique, ne sont pas sans avoir des conséquences sur la vie familiale. Jasmine Chartier rapporte les propos de l’un de ses enfants. «Papa est un extraterrestre. C’est un autre homme qu’il y a dans la maison depuis l’accident». M. Proulx en est conscient et s’en désole. «Il y a quelques jours, j’ai manqué le spectacle de ballet des enfants. Je n’ai pas pu y aller, j’étais vidé, vidé».

En plus des effets sournois sur la santé de Paul-Émile Proulx s’ajoute une méconnaissance du syndrome du stress post-traumatique dans l’industrie du camionnage et dans le domaine de la santé. «Quand l’accident est arrivé, on ne savait pas c’était quoi, on ne connaissait pas les ressources disponibles. C’est là que Kareen Lapointe de SSPT chez les camionneurs m’a contacté. Elle nous a remis sur les rails. On peut l’appeler n’importe quand. S’il n’y avait pas eu cette association-là, on aurait été dans le néant», reconnaît Jasmine Chartier.

Créé en février 2017, l’organisme a été fondé par Patrick Forgues, un camionneur, et Kareen Lapointe, sa conjointe. Un piéton s’étant lancé devant son véhicule pour se suicider, M. Forgues se retrouve par la suite incapable de reconduire son véhicule en raison de cet évènement traumatisant. Devant l’absence de ressources, le couple crée un organisme pour venir en aide aux personnes qui, comme lui, a à vivre avec le syndrome du stress post-traumatique.

«On l’a vécu difficilement. Il y avait beaucoup de colère dans la maison. On était seul là-dedans», souligne Kareen Lapointe. «C’est un métier qui est encore très dur. On se bat contre la mentalité des patrons qui disent de remonter en selle le plus vite possible. C’est souvent cela qui aggrave la situation. Il faut vraiment sensibiliser les entreprises. C’est important de valider s’il n’y a pas de séquelles psychologiques avant de retourner au volant. Ce n’est pas à bord de ton camion que c’est le temps de développer un trouble anxieux. C’est dangereux pour eux et pour la sécurité de tous», ajoute-t-elle lors d’une entrevue téléphonique.

Bien qu’ayant des ressources limitées, SSPT chez les camionneurs a déjà aidé plus de 100 camionneurs, dont Paul-Émile Proulx. «Il y a de l’espoir. Faut que je prenne mon mal en patience. Je pile sur mon orgueil. J’ai appris à demander de l’aide. J’ai 48 ans, pour moi un gars ça ne devait pas brailler. Faut que j’apprenne à montrer mes sentiments. Ce n’est pas facile, mais j’apprends à vivre au jour le jour avec de l’aide», conclut le courageux Paul-Émile Proulx.

 

Qu’est-ce que le syndrome du stress post-traumatique?

«Tout le monde a déjà vécu une situation dangereuse pour sa sécurité ou celle d’un proche, comme éviter de justesse un accident de la route. Dans une telle situation, une personne peut ressentir un niveau élevé d’anxiété, caractérisé par un sentiment de peur intense. Cette peur s’accompagne d’une forte réaction physique due à la sécrétion d’adrénaline, l’hormone qui permet au corps de réagir rapidement au danger. La peur et la réaction physique qui l’accompagnent font partie d’un mécanisme de défense naturel qui a pour but d’assurer la survie. Ces réactions sont donc normales et disparaissent généralement quelques heures après l’événement.

Cependant, chez les personnes atteintes d’un état de stress post-traumatique, ces réactions ne disparaissent pas complètement. La personne continue de les revivre avec la même intensité que la première fois, sous la forme de rêves ou de flash-back. Les flash-back sont des images mentales qui font revivre la situation traumatisante à la personne. La personne peut aussi revivre ces réactions lorsqu’elle est exposée à une situation semblable à celle qui a causé le traumatisme.

La personne affectée peut alors tenter d’éviter les situations ou les conditions qui lui rappellent le traumatisme. Le besoin d’éviter toute situation menaçante peut entraîner des conséquences importantes sur ses activités personnelles, familiales et sociales».

(source : http://sante.gouv.qc.ca/problemes-de-sante/etat-de-stress-post-traumatique/)

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