Jean Lemire, l’homme à la planète tatouée sur le coeur

Jean Lemire, l’homme à la planète tatouée sur le coeur
Jean Lemire se préoccupe du sort des animaux sur la planète.

Il va falloir redevenir des citoyens du monde et avoir une pensée beaucoup plus globale si l’on veut un avenir pour la planète, croit le cinéaste et biologiste Jean Lemire, qui dresse un bilan de ses 25 années à parcourir le monde et ses contrées sauvages dans son dernier livre intitulé L’Odyssée des illusions, paru cet automne.

L’explorateur profite de ce nouvel ouvrage, qui réunit ici l’essentiel de ses missions, pour faire le point. Pour le meilleur et pour le pire. «C’est un livre très personnel, où l’on sent vraiment toute l’euphorie du départ. C’est un bouquin qui amène une réflexion globale, mais qui reste un livre d’aventures», prévient-il, lors d’une entrevue avec L’Express, dimanche matin.

Paradoxalement, Jean Lemire ressent l’urgence de conscientiser ses concitoyens aux situations d’injustices dont il a été témoin à travers la planète. «Mais ça se développe chez des gens éduqués. Plus on va en parler, plus ça va se faire», assure l’explorateur ayant été élevé à Drummondville, où vit encore sa mère.

«Pour contrer l’ignorance et l’insouciance, il faut conscientiser, éduquer, montrer et expliquer la fragilité. L’accessibilité universelle des médias a créé un monde sans frontières, où les informations circulent librement entre les individus, d’un pays à l’autre», précise M. Lemire dans son bouquin.

Énormes défis

«Il faut faire attention de ne pas croire que, parce que l’on vit dans un pays riche, l’on peut s’acheter une conscience environnementale. Quand vous vous promenez à travers le monde, vous réalisez que le défi est très grand car les priorités environnementales ne sont pas les mêmes. Il y a beaucoup à faire», déplore-t-il.

Il y a les énergies fossiles et les changements climatiques sur lesquels il faut agir et l’on en mesure l’urgence par les phénomènes météorologiques qui en résultent, fait remarquer Jean Lemire. On se trouve dans des situations où les défis sont énormes et on ne veut pas trop changer.

L’explorateur Lemire s’inquiète de la détérioration des écosystèmes, du sort des humains. «On est en train de piller toutes nos ressources sur la planète. Les océans sont vraiment dans des conditions difficiles et si l’on continue de creuser encore plus et sur le même rythme, il n’y aura plus de pêche commerciale. Les changements climatiques, c’est le plus grand défi auquel on devra faire face», insiste-t-il.

L’avenir de nombreuses espèces animales le préoccupe. En Indonésie, des espèces disparaissent en raison des forêts ravagées par les feux. Les plantations de palmiers sont exploitées à l’extrême pour approvisionner les fabricants de produits très en demande sur le marché. «Faut bien comprendre que ce n’est pas si loin de nous. On est de grands consommateurs d’huile de palme. On participe à cela, sans trop savoir.»

D’espoir et de désillusions

L’homme qui est parti pour de longs, très longs périples sur son Sedna IV, accompagné de scientifiques, a ramené de multiples souvenirs de ses découvertes, de ses rencontres humaines et animales. Certains teintés d’espoir, d’autres par la désillusion.

Parmi toutes les contrées visitées, le cinéaste-biologiste gardera longtemps dans son cœur le souvenir de son passage à Anuta, une minuscule île en plein Pacifique Sud. Pour ces 300 habitants coupés de toute civilisation, l’équipe de Lemire était l’une des très rares visites sur leur ile.

«C’était très beau. Ils ont une façon de vivre très inspirante. Ils ont des jardins communautaires et la mer pour se nourrir. Et je n’ai jamais vu d’enfants aussi heureux. Quand nous avons quitté l’ile, ils nous ont accompagné et se sont mis à pleurer. La séance de pleurs a duré 45 minutes. Même nous, nous pleurions.»

Dans son bouquin, l’explorateur rapporte d’autres belles rencontres qu’il a jadis notées dans son journal de bord et agrémentées de magnifiques photos. Il se rappelle d’avoir mangé dans l’eau avec des baleines à bosse. Un moment magique qui a duré des heures, selon son bon souvenir. «Un moment qui vous marque à vie», note-t-il.

L’explorateur profite de ce nouvel ouvrage, qui réunit ici l’essentiel de ses missions, pour dresser un bilan de ce qu’il en a retiré. Pour le meilleur et pour le pire.

«D’un tempérament optimiste, j’aurais voulu un livre à la conclusion belle et porteuse d’espoir […] Mais, j’ai un devoir de vérité. La mienne, qui, je le souhaite, sera balayée par un vent de changement», souligne-t-il, en toute dernière partie du bouquin.

Le monde doit changer

Lemire avoue qu’il lui sera désormais difficile de vivre en paix avec toutes les injustices qu’il a vues, au fil de ses périples. Le monde doit changer, croit-il, ainsi que ceux qui le dirigent.

«Après toutes ces années à parcourir le monde, une conclusion s’impose, implacable et troublante : le véritable enjeu de l’économie et de la mondialisation repose sur une plus grande justice sociale. Sans une conception renouvelée et métamorphosée de l’équité, l’économie, telle que nous la définissons aujourd’hui, n’aura point de salut, prévient-il.

Le biologiste estime qu’il y a urgence d’agir et cela ne se fera pas sans la participation des gens d’affaires. Et s’ils y trouvent des opportunités d’affaires, tant mieux, se dit-il.

Son regard sur les élus est plus mitigé. Malgré la signature de Justin Trudeau à L’Accord de Paris, le cinéaste Lemire soutient que ce dernier devra respecter la volonté du peuple en renonçant au projet de pipeline Énergie Est, qui traversera le Québec, souligne-t-il. Et c’est là que la lune de miel risque de prendre fin entre les Québécois et le premier ministre canadien, fait-il remarquer.

D’ailleurs, Jean Lemire se dit déçu par les élus, qui n’enclenchent pas souvent de quelconques actions à la faveur de leurs citoyens sans s’écarter de leurs intérêts électoraux. Conscient de l’impact de sa notoriété, Jean Lemire compte bien s’en servir. «Je vais me servir de l’influence que je peux avoir pour amener le plus de gens possible dans la voie de la raison», promet-il.

L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis est loin de le rassurer. Ses nominations surprenantes, sa main mise sur la chambre des représentants, sur le sénat. Son espoir : voir le président Trump récupérer le marché des énergies renouvelables, actuellement accaparé par la Chine.

Espoir. Un mot que l’explorateur des temps modernes Lemire tient à conserver dans son vocabulaire quotidien. Il se souvient de l’époque de ses grands-parents, qui vivaient sur une ferme de L’Avenir. Surtout de leur mode de  vie, basé sur l’autosuffisance alimentaire, le respect de leur environnement et sur l’entraide. «Faut juste revenir à cette façon de penser, au bien commun qui fonctionnait très bien auparavant. Alors, l’avenir est possible.»

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