Fraude à l’aide sociale: cinq ans d’enquêtes et de procédures judiciaires

Fraude à l’aide sociale: cinq ans d’enquêtes et de procédures judiciaires
De nombreux reports de dates ont tapissé cette saga judiciaire depuis 2010 au palais de justice de Drummondville.

JUSTICE. C’est après une visite de la GRC en 2010 que cette histoire de fraude, qui devrait connaître son dénouement vendredi, a pris son envol. Rappel des faits.

Alors que certains Colombiens honnêtes sonnaient l’alarme dès 2009, L’Express apprenait le 26 mai 2010 que des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) flanqués d’autres enquêteurs du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) avaient visité l’abattoir Avicomax la veille. Avares de commentaires, c’est le lendemain qu’on apprenait que le MESS avait constaté des irrégularités au sein de l’entreprise, amenant la GRC à effectuer quatre perquisitions.

Les documents saisis ont permis de connaître plusieurs autres donneurs d’ouvrage à qui les agences Chaudrey et 9202-6533 QUÉBEC INC. ainsi qu’Alianza référaient des travailleurs.

En décembre 2010 et en juin 2011, dix ordonnances de communication ont été accordées en vue d’obtenir des documents semblables à ceux saisis chez Avicomax et Chaudrey auprès de différents donneurs d’ouvrage.

Dans cette affaire, les agences de placement émettaient des talons de paye frauduleux, prenant soin de ne pas dépasser 200 $, pour une personne seule, ou 300 $ pour un couple, afin que les travailleurs ne soient pas pénalisés par l’aide sociale. Le Centre local d’emploi a fini par avoir des doutes.

Le 18 juillet 2012, les derniers de la vingtaine de personnes suspectes dans cette histoire comparaissaient au Palais de justice sous trois chefs d’accusation.

Me Yvon Garneau faisait savoir à L’Express que: «D’après ce que je sais pour mon client, qui lui est d’origine irakienne et établi ici depuis plusieurs années, il semble qu’il se soit complètement fait berner par une agence de placement indépendante du travail pour des immigrés. Ne comprenant pas trop notre langue, il a fait comme une confiance aveugle à ces personnes et permis à ces dernières de soutirer de l’argent à partir même de leur chèque d’aide sociale. On leur «aidait» à remplir des documents-formulaires sans trop savoir de quoi il s’agissait. On verra bien si cette défense tient la route, une fois que j’aurai pris connaissance de la preuve qui est archi volumineuse».

Le procès des 27 accusés s’est ouvert le 27 septembre 2013. L’Express avait obtenu copie du document faisant état de la preuve, contenue sur un CD. Le MESS a d’abord mené l’Opération Filet, qui a permis «de découvrir que 183 personnes prestataires de l’aide financière de dernier recours (aide sociale) travaillaient ou avaient travaillé en 2008, 2009 et 2010 sans déclarer leurs revenus, en totalité ou en partie, par l’entremise des agences Chaudrey et de l’Agence de placement Alianza». Si elles n’avaient pas toutes été accusées, il semble que c’est parce qu’elles étaient alors retournées dans leurs pays d’origine ou parce qu’elles étaient introuvables au Canada.

Le document de la preuve faisait valoir que plusieurs travailleurs ont impliqué «les responsables Ana Milena Padilla et Yaneth Reina Vaquero ainsi que le responsable Francisco David Vera Espino, de l’Agence de placement Alianza, quant aux fraudes qui ont été commises à l’égard du MESS, soit par leurs conseils, leur incitation, leur encouragement, leur pression psychologique ou même leurs menaces à l’égard des personnes prestataires». Quatre personnes ont plaidé coupables, 16 devaient retourner en cour le 6 décembre 2013, et les autres avaient pris la poudre d’escampette. Les quatre coupables ont eu 240 heures de travaux communautaires.

Le 3 décembre, une accusée se confiait à L’Express sous le couvert de l’anonymat pour pointer en direction des têtes dirigeantes des agences de placement. Trois jours plus tard, la cause est reportée au 25 avril 2014 parce que la défense voulait obtenir l’avis d’un expert sur une question de droit, qui «aura un impact sur la prise de position» face à une accusation qui pourrait être réduite.

Entre temps, en février, l’équipe d’Enquête à Radio-Canada s’intéresse à l’histoire.

Le 25 avril, une demi-douzaine d’accusés plaident coupable. Pour la plupart, ils ont reçu une sentence d’une centaine d’heures de travaux communautaires et sont tenus de rembourser les sommes perçues en trop. D’autres ont en plus reçu une amende de 2000 $.

C’est en juillet 2014 que l’histoire connaît un dénouement positif pour l’Irakien Rasheed Hazim, qui reçoit une absolution inconditionnelle. Quant à Ana Milena Padilla, elle devait revenir en cour en octobre, puisqu’elle avait plaidé non-coupable. Cette comparution a cependant été reportée.

Le 6 mars 2015, six Mexicains sont acquittés de leurs charges de fraude. Une condamnation leur aurait valu une expulsion du Canada. Cela aurait été «un châtiment disproportionné», avait précisé le 30 mars Me René Verret, du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

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