«Je sens qu’à mon âge les jours sont comptés et qu’il n’y a plus de temps à perdre», confie bien candidement l’écrivaine Françoise Hamel-Beaudoin qui, à l’âge vénérable de 86 ans, vient de publier deux essais portant sur les femmes peintres et qui espère être en mesure d’en faire bientôt de même avec trois autres ouvrages d’un genre différent qui sont encore tout chauds dans son ordi.
Déjà que de revendiquer à son actif plus d’une quinzaine de bouquins relève d’un bel accomplissement pour cette écrivaine québécoise ayant consacré la première partie de sa vie de femme à la famille, mais encore faut-il savoir, pour bien comprendre ce que cela représente, qu’il s’agit pour ainsi dire des fruits de la seconde carrière créatrice de Françoise Hamel-Beaudoin.
Celle-ci, il faut le savoir, s’est fait d’abord connaître comme artiste au début des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980 pour ses peintures et autres réalisations dans les arts plastiques.
Il est donc plus facile de deviner maintenant le lien entre ses deux derniers ouvrages littéraires et son amour pour la peinture jumelé à un intérêt, voire une admiration, pour les femmes d’une autre époque ayant exercé cet art presque dans l’anonymat.
Deux essais
Ainsi, «Femmes peintres nées au Québec au X1Xe siècle» est l’aboutissement de quatre ans de travail à travers lequel elle trace le portrait de plus de 70 de ces artistes n’ayant pas obtenu une juste reconnaissance pour leurs accomplissements.
De fait, l’écrivaine constate que lors de la première partie du 19e siècle, ce sont presque toujours des religieuses qui s’adonnaient à la peinture au Québec et que leur art consistait surtout à faire des reproductions.
Cela ne veut surtout pas dire que ces peintres québécoises étaient oisives car Mme Hamel-Beaudoin observe que l’une des religieuses a peint 1000 tableaux durant sa vie, une autre 600.
Dans le second essai, «Femmes peintres marginales au X1Xe siècle Voyantes-autodidactes-schizophrènes» elle s’intéresse cette fois à d’autres peintres féminins de ce siècle en provenance de partout à travers le monde ayant en commun d’être considérées comme marginales.
Certaines d’entre elles étaient des femmes atteintes de maladie mentale ayant vécu dans des hôpitaux psychiatriques, d’autres étaient des peintres voyantes ou médium, alors que les autres étaient considérées comme autodidactes.
«Je ne peux vous exprimer tout le plaisir que j’ai eu à travailler sur ce sujet, cela a été une véritable récréation de m’installer chaque matin devant mon ordinateur. Ces femmes sont tellement hors normes, que parfois j’éclatais de rire toute seule en découvrant leur vie», partage celle qui vit dans un appartement des Terrasses de la Fonderie qu’elle ne quitte que très rarement.
Trois à venir
Bien que satisfaite de ces deux ouvrages en dépit de certaines contraintes dont la résignation à ne pas les illustrer en raison des sommes astronomiques exigées pour les droits d’auteur, Mme Hamel-Beaudoin se prépare à publier trois autres ouvrages.
L’un d’eux sera la biographie du peintre Serge Lemoyne qui, comme elle, a grandi à Acton Vale.
Il s’agira pour Françoise de sa 6e biographie et la seconde sur la vie d’un peintre, l’autre étant celle de Théophile Hamel (aucun lien de parenté avec elle, se désole l’écrivaine), un artiste ayant vécu de 1817 à 1870.
Parmi les autres personnalités qui ont eu droit à son attention, on en retrouve trois qui sont de la petite municipalité d’Austin (ou des environs immédiats) où elle a vécu plusieurs années avec son mari, le regretté notaire Jacques Beaudoin.
Ainsi, elle a eu beaucoup de plaisir à raconter la vie de Lily Esther Butters, fondatrice d’un hôpital pour malades mentaux, de Reginald Aubrey Fessenden, le père de la téléphonie sans fil, et de David Shaw Ramsay, un noble protestant s’étant converti au catholicisme au point d’en devenir prêtre.
Éva Senécal, écrivaine et poétesse ayant laissé son nom à une bibliothèque de Sherbrooke, en est une autre qui a piqué la curiosité de Mme Hamel-Beaudoin, si bien qu’elle lui a consacré une biographie.
Journal intime
Les deux autres ouvrages que souhaite publier la vaillante écrivaine sont les 5e et 6e tomes de son Journal intime.
Il s’agira alors d’un retour au point de départ pour Françoise qui, en 1988, après avoir rangé ses pinceaux, a publié le premier d’une série de quatre tomes de ce journal sous le titre de «Guetteurs des saisons».
À propos du premier tome qui fut publié chez Fides, elle raconte ainsi l’accueil qu’a connu ce livre.
«Cinq membres de l’Académie française m’ont écrit pour me féliciter et ce fut ma récompense. Car, et ce fut là ma surprise, le journal intime ne compte pas beaucoup d’adeptes chez les lecteurs. Les éditeurs le savent et ils réclament des romans aux écrivains. C’est vraiment le genre qui se vend le mieux», témoigne-t-elle, ce qui ne l’empêchera pas pour autant de laisser en héritage deux autres tomes de ses pensées et souvenirs.
Pour ceux qui pourraient croire que Françoise est un peu rebelle sur les bords, il faut nuancer car, à la suite des conseils des éditeurs, elle a pondu rien de moins qu’un roman de 1000 pages qu’elle a néanmoins pris soin de diviser en deux livres.
«Chroniques amères d’Abitibi» est l’histoire de paysans qui quittent Baie-Saint-Paul en 1915 pour coloniser l’Abitibi.
«Ne vous laissez pas effrayer par l’époque et l’endroit choisis: ils n’ont rien à voir avec les Filles de Caleb d’Arlette Cousture. Dans ce roman, je ne me suis pas servie de la facture habituelle et traditionnelle du roman littéraire. Prenant le joual comme moyen d’expression, l’écriture du texte est filmique, c’est à dire qu’en lisant vous devez voir les images passer devant vos yeux comme si vous étiez au cinéma», raconte-elle à l’intention de ceux et celles qui voudraient s’y laisser tenter.
Chose certaine, même si sa carrière d’écrivaine est venue sur le tard, Françoise Hamel-Beaudoin ne cache pas que le goût de la lecture l’anime depuis toujours, soit depuis que sa mère lui a remis un premier livre.
Son auteur préféré est Julien Green et elle avoue que c’est en raison de toute l’admiration qu’elle portait à cet écrivain qu’elle a finalement décidé d’écrire son journal intime.
Avec du recul, celle-ci ne regrette pas cette décision.
«Le travail d’un écrivain est très dur, difficile, peu rémunérateur, désespérant à l’occasion. Seuls quelques écrivains, je dirais une dizaine tout au plus, peuvent gagner leur vie au Québec. Mais moi, je remercie le ciel pour ce don qui embellit ma vie, et qui me permet peut-être d’égayer celle d’autres personnes», a résumé Françoise Hamel-Beaudoin lorsqu’elle a eu le grand bonheur de procéder à un double lancement en compagnie de sa fille, France Beaudoin, il y a quelques jours à peine au Terrasses de la Fonderie.