Ce jour-là

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Par Lise Tremblay
Ce jour-là
Hélène St-Pierre. (Photo Ghyslain Bergeron) (Photo : Ghyslain Bergeron)
(Note de la rédaction) Offerte au Québec depuis décembre 2015, l’aide médicale à mourir demeure un acte exceptionnel. Entre le 1er avril 2019 et le 31 mars 2020, seulement 2,6 % des décès survenus dans la province ont eu lieu de cette façon. Dans l’objectif de faire tomber les barrières, Hélène St-Pierre a accepté que L’Express l’accompagne jusqu’à la fin de sa vie. Deux rencontres, marquées par les rires et les pleurs, ont eu lieu, soit le mardi 3 novembre puis le dimanche 8 novembre, jour de son décès. Le médecin Philippe-Joël Nault a également collaboré à ce reportage.

FIN DE VIE. Elle portait déjà sa petite robe noire lorsque le médecin a frappé à la porte. Trois petits coups comme autant de soubresauts dans le cœur de la famille et des amis d’Hélène. Ce jour-là, celui de sa mort, elle l’a imaginé durant des jours et des nuits.

Hélène St-Pierre n’en pouvait plus de souffrir. Il y a un mois, la dame de 59 ans a signé les papiers pour recevoir l’aide médicale à mourir. Dans sa tête, aucun autre scénario n’était possible. Elle avait pris sa décision il y a un an déjà : pas question de se rendre au bout de la maladie ni de devenir davantage un boulet pour ses proches.

«Je suis prête», a-t-elle soufflé au médecin qui a abrégé ses souffrances en ce dimanche 8 novembre, à 14h30.

Aidée par sa famille, elle s’est étendue dans un lit soigneusement préparé dans la maison de sa sœur et elle a reçu des injections qui ont fermé à jamais ses yeux bleu azur. Hélène est décédée, tout doucement, comme elle le souhaitait, sous l’air de Something to remind you de Staind, bien entourée et avec cette satisfaction d’avoir pu découvrir, au bout de sa vie, le vrai sens du mot bonheur.

Photographie de sa fille entre les mains, Hélène St-Pierre s’est éteinte le dimanche 8 novembre. (Photo Ghyslain Bergeron)

Hélène était convaincue que sa fille Valérie, décédée tragiquement il y a trois ans à l’âge de 37 ans, l’attendait de l’autre côté. «Elle est là, tout près. Je vais m’en vais la rejoindre», avait-elle sangloté, lors d’un entretien s’étant déroulé cinq jours avant son décès.

Ce matin-là, Hélène était fébrile, d’humeur rigolote et visiblement en paix. Parfois, elle devait fermer les yeux, son corps étant fatigué, épuisé par la maladie et la forte médication.

Il y a trois ans, soit dans la même période que le décès de sa fille, elle a appris qu’elle avait le cancer du sein. Elle a subi des traitements de radiothérapie puis l’ablation du sein droit, mais la maladie s’est généralisée, la condamnant à la mort. En novembre 2019, un médecin avait émis un pronostic de 3 à 6 mois. Elle aura lutté durant un an.

«Ça ne me tente plus de me battre. Je ne veux plus souffrir et ça ne me tente plus d’avoir mal physiquement. Je me sens bien avec ma décision. Mon état se dégrade rapidement et j’ai de la misère à dormir la nuit, avec tout ce qui s’en vient. J’ai hâte que ce soit fini, pour que tout le monde puisse reprendre le cours de sa vie. J’ai hâte que ma sœur reprenne le contrôle de sa vie et de sa maison. Elle a arrêté de travailler pour prendre soin de moi. J’ai de la misère à accepter ça», a exprimé la dame, le 3 novembre dernier.

En raison de sa vie «tulmutueuse», Hélène s’était imaginé mourir seule dans son petit 3 ½ de Québec. «Je ne mangeais plus. J’avais de la difficulté à me laver. J’avais de la misère avec ma vie tout court», a-t-elle confié.

Sensible à la situation, sa sœur Sylvie Jean, qui habite une maison située à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, l’a invitée chez elle quelques jours l’été dernier, pour son anniversaire. L’expérience de la campagne s’étant bien déroulée, elle s’est transformée en un déménagement, au cœur du mois d’août.

Hélène St-Pierre. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Ma sœur, c’est celle qui s’est toujours efforcée de créer un noyau dans la famille. Elle est épatante. Son conjoint (Michel) et elle m’ont accueillie avec mon chat même si je leur ai fait beaucoup de misère et de peine dans ma vie. Croyez-moi, je n’ai pas été facile. Malgré ça, ils m’ont fait une place (…) et j’ai appris à être heureuse. Ils m’ont même présenté leurs amis. Je les aime tous. Je ne savais pas c’était quoi vivre entourée comme ça. La vie est quand même belle. Je vais partir au moment où je n’ai jamais été aussi bien, a partagé Hélène en prenant les mains de Sylvie. «Merci ma sœur… je t’aime.»

Sans entrer dans les détails de son existence, Hélène a confié avoir vécu «des choses difficiles» dans une famille d’accueil. À l’âge adulte, elle a travaillé dans des bars, question d’amener du pain sur la table. Elle a connu la misère et la déception. Et plusieurs fois.

«J’ai toujours rêvé de lui montrer qu’on peut être heureux avec des petits riens, a laissé tomber Sylvie. Je ne suis pas une personne compliquée. Ici, le quotidien est le fun, il est beau. Hélène n’avait pas encore trouvé ça dans sa vie. C’est peut-être égoïste de ma part, mais je voulais lui montrer ça. J’ai partagé  avec elle tout ce que je pouvais, incluant mes amis. Quand elle est arrivée ici, elle savait qu’on était en train de rénover la maison. Regardez… on est sur le bois partout! On l’a placée dans une chambre sans mur plâtré ni porte, mais elle est bien quand même.»

En plus de lui offrir un toit et de la chaleur humaine, l’aidante n’a pas ménagé ses efforts depuis l’été dernier pour prendre soin de sa soeur. Avec son conjoint, elle a préparé de co

Un rosier a été planté en l’honneur d’Hélène St-Pierre. (Photo Ghyslain Bergeron)

pieux repas – dont des pâtés chinois dignes de mention –, s’est assurée qu’elle prenne adéquatement sa médication, a veillé à sa sécurité puis a vu à sa vie sociale.

«C’est dur quand même d’avoir un équilibre entre la vie et la mort, autant pour elle que pour nous. Je suis à l’aise avec sa décision, mais ça nous fait beaucoup réfléchir», a exprimé Sylvie, qui a aussi planté un rosier blanc devant sa maison en l’honneur de sa sœur.

«J’ai vécu une grande partie de ma vie seule… je vais la terminer de la plus belle façon qui soit, dans un endroit rêvé, mais là je me sens fatiguée», a murmuré Hélène, sereine, une heure avant son décès.

Celle qui aura pu, en l’espace de cinq jours, s’émerveiller de la première neige puis de profiter de l’été des Indiens a vécu ses dernières heures assise à l’extérieur, chouchoutée par les membres de sa famille, qui ont pris de nombreux clichés.

Elle s’est dite reconnaissante de toutes leurs attentions et a souligné la qualité des soins qu’elle a reçus de l’équipe des soins palliatifs à domicile.

Hélène St-Pierre laisse dans le deuil ses quatre enfants (dont trois toujours en vie), six petits-enfants, une arrière-petite-fille, une maman au cœur déchiré, cinq frères et soeurs, un beau-frère attentionné et plusieurs amis qui lui auront tenu la main… ce jour-là.

 

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