Avec sa sœur, jusqu’à la fin

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Par Lise Tremblay
Avec sa sœur, jusqu’à la fin
Sylvie Jean (à droite) a quitté son emploi pour prendre soin de sa sœur Hélène. (Photo : Ghyslain Bergeron)

FIN DE VIE. Pour prendre soin de sa sœur jusqu’à ce qu’elle reçoive l’aide médicale à mourir, Sylvie Jean a dû cesser de travailler et mettre en veilleuse sa propre vie. Elle s’est donnée corps et âme, allant même jusqu’à préparer un sapin de Noël… deux heures avant le décès de sa protégée.

Attablée avec un café corsé dans son salon, cinq jours avant le décès d’Hélène, Sylvie Jean a confié l’avoir accueillie chez elle un peu sur un coup de tête. Elle savait que la tâche serait difficile, mais le cœur y était. Et celui de son conjoint Michel aussi.

«On s’est lancé sans savoir, un peu par insouciance, mais je ne regrette rien. J’ai une maison et j’ai toujours dit que je voulais partager ce que j’ai avec les autres. Oui, on est en pleine rénovation, mais ce n’est pas important. Dès que ma soeur est entrée ici, je lui ai dit que ma maison était maintenant aussi la sienne», a exprimé Sylvie, posée.

Bien qu’elle soit heureuse d’avoir apporté un peu de bonheur à sa frangine, la tâche de prendre soin d’une personne en fin de vie s’est avérée exigeante.

«Je ne me rendais pas com+pte, mais un moment donné, ma sœur et mon chum ont trouvé que je ne réagissais plus comme avant, a-t-elle raconté. D’habitude, je suis une personne enjouée. Je ris beaucoup. Mais à un moment donné, ça ne fonctionnait plus. Je pleurais pour un rien.»

Sur cette photo prise le 3 novembre dernier, Hélène St-Pierre est entourée de sa sœur Sylvie Jean et de son amie Karine Gaillard. (Photo Ghyslain Bergeron)

Un peu à contrecoeur, l’aidante est partie en congé de maladie, à la mi-octobre.

«Je suis conseillère aux ventes chez Linen Chest. Ma patronne a été très compréhensive. Elle savait ce que je vivais.»

Ce répit est arrivé à point, car Hélène a nécessité plusieurs soins par la suite. «Elle tombe souvent, a-t-elle poursuivi. La nuit, malgré les somnifères, elle ne dort pas bien et elle circule dans la maison avec sa marchette. Ce n’est pas toujours évident. Ça vient que ça gruge de l’énergie. Une fois par semaine, je vais faire des commissions, mais je l’appelle plusieurs fois pour m’assurer qu’elle est correcte. Là, je ne peux plus la laisser seule deux minutes.»

Jonglant entre la vie et la mort, Sylvie a appris durant cette période fort occupée de sa vie l’art de vivre au jour le jour.

«J’essaie de vivre les événements un jour à la fois, a-t-elle exprimé. J’essaie de rester dans le moment présent. Si je pense à son décès dimanche, c’est sûr que je vais passer la journée à pleurer. C’est difficile. Une chance qu’on est entouré. Ça aide beaucoup.» Lors de notre entretien du 3 novembre, elle était d’ailleurs accompagnée de son amie Karine Gaillard.

Préparer une fin de vie

Rendez-vous médicaux, invitations, organisations, repas, musique, décor, Sylvie a pris en charge, avec le support de ses amis, toutes les étapes de la fin de vie de sa soeur, incluant cette grande fête préparée en son honneur, samedi. Toute la journée durant, famille et amis sont passés la voir à la campagne, ont écouté de la musique significative puis ont festoyé.

«On s’est dit qu’on allait vivre cette fête-là sans penser à la journée de dimanche», a raconté l’aidante. Il y aura sûrement des up and down, mais on veut en profiter. Dimanche, ce sera une autre affaire. Je suis incapable de m’y projeter pour l’instant.»

Parmi les tâches qu’elle était en mesure de prévoir au moment où elle a rencontré le journal mardi dernier, il y avait ce dernier repas, le «souper de la battante» qu’elle devait préparer selon les volontés d’Hélène. Au menu : filet mignon grillé médium saignant, patates pilées, sauce aux poivres, le tout accompagné de pain croûté et de vin rouge. «Ça va être le meilleur steak de ma vie», a laissé tomber Hélène, qui salivait juste à y penser.

Le matin de sa mort, elle espérait déguster un consistant déjeuner composé d’œuf, de bacon, de pommes de terre, de rôties et de ketchup. «Peut-être que rendu là, je ne serai pas capable de manger, mais bon», a ajouté Hélène, l’œil taquin.

Hélène St-Pierre. (Photo Ghyslain Bergeron)

Puis le jour du décès est arrivé. La maison était toujours bien remplie. Tout un chacun a été étonné de voir Sylvie décorer à la hâte un sapin de Noël pour faire une surprise à sa sœur. Il y a eu des rires, des larmes, des torrents de je t’aime et ce curieux silence lorsque les infirmières et le médecin, mallettes en main, ont fait leur entrée. Puis… plus rien. La maisonnée s’est vidée peu à peu, après plusieurs étreintes. Et lundi matin est arrivé. Le premier jour du deuil.

«J’ai un peu de misère à imaginer la semaine prochaine, a partagé Sylvie alors qu’on était en plein cœur de la Semaine nationale des proches aidants. Je vais sans doute être fatiguée au bout. Je pense que je vais aller marcher et peut-être prendre un rendez-vous chez un psychologue. Je fais réparer ma voiture tous les ans… pourquoi je ne pourrai pas penser à moi maintenant? J’ai envie de retrouver un calme intérieur. Dans un sens, après, ça sera peut-être mieux. Aujourd’hui, Hélène est ici; demain, elle sera partout.»

Hélène a été incinérée peu après son décès. Ses cendres, qui seront réparties dans quatre petites urnes, trouveront une place dans le chaleureux foyer de Sylvie et Michel.

 

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