GRÈVE. «Je ne me sens pas respecté, c’est malheureux. Une personne de 78 ans sur une ligne de piquetage, ça ne doit pas arriver souvent…»
Chauffeur depuis 12 ans, Gilles Cusson conduit des autobus matin et soir par passion, pour l’amour des enfants, comme il l’affirme. Cet aîné qui n’a toujours pas pris sa retraite est l’un des visages des 38 syndiqués des Autobus Voltigeurs ayant déclenché la grève ce jeudi. Des hommes et des femmes, âgés en moyenne de 68 ans, travaillant dans des conditions propices au stress.
«C’est exigeant comme métier. Avoir 45 élèves derrière soi –ils ne sont pas toujours sages comme une image – ça demande beaucoup d’intervention. Mais pendant qu’on intervient, il faut continuer à conduire, donc il faut avoir des yeux tout le tour de la tête. On est souvent sur les nerfs aussi à cause des automobilistes. Ils nous coupent le chemin et veulent constamment nous dépasser. Il y en a même qui dépassent lorsque l’arrêt est en marche. Nous avons une grosse responsabilité. On transporte des humains, notre relève. Malgré tout, on n’est pas reconnu», se désole M. Cusson au milieu de la ligne de piquetage érigée devant l’entreprise du boulevard Lemire.
Selon ses dires et ceux d’autres collègues, le comportement des enfants a beaucoup changé au fil des années.
«Les enfants ont de plus en plus de droits puis les adultes, de moins en moins. Il faut essayer de se faire comprendre et respecter. Ce n’est pas toujours évident», fait-il valoir, soulignant avoir malgré tout beaucoup de plaisir avec eux.
«Les professeurs se sont battus à l’automne pour avoir de meilleures conditions, maintenant, c’est à notre tour d’avoir notre part, estime Éric, un autre chauffeur. On a en quelque sorte un peu le même rôle : on en prend soin, parfois on les écoute, on leur enseigne certaines valeurs. D’ailleurs, je montre à mes élèves l’importance de la politesse. Ils doivent me dire bonjour et au revoir. Veut veut pas, nous sommes une figure marquante pour bien des jeunes. Qui ne se souvient pas d’un chauffeur qu’il a eu durant sa jeunesse?»
Après plus de 12 séances de négociation, les Autobus Voltigeurs, propriété du Groupe Sogesco ayant son siège social à Drummondville, refusent toujours d’octroyer un salaire décent à ses travailleurs, faisant de ceux-ci les moins bien payés à l’échelle provinciale.
«Seulement en 2022-2023, le gouvernement a bonifié ses enveloppes budgétaires de 112 M$ pour le transport scolaire afin de pallier l’augmentation du coût de la vie. Malheureusement, on se le rappelle, ces sommes demeurent dans les poches des compagnies et donc, les augmentations salariales ne suivent pas. Comment se fait-il que Sogesco, qui est partout au Québec, rémunère moins ses chauffeurs de Drummondville? Il va falloir qu’on me l’explique, car je suis dans l’incompréhension», déplore Pascal Bastarache, président du Conseil central du cœur du Québec – CSN.
«En négociation, l’employeur nous a dit qu’il n’avait pas les moyens de nous payer. On lui a demandé de nous montrer les chiffres, mais il a carrément refusé. Si c’est le cas, on serait prêt à faire quelque chose», enchaîne Jean-Guy Picard, président du syndicat des travailleuses et travailleurs des Autobus Voltigeurs – CSN.
Les syndiqués réclament au propriétaire d’augmenter leur salaire minimalement à 27 $ de l’heure. L’offre stagne à 25,36 $.
«Sogesco tient mordicus à cette offre qui est la même depuis le début des négociations. Il s’agit du même salaire offert aux non-syndiqués, qui eux, n’ont rien demandé. En plus, certains chauffeurs se voient contraints de faire diminuer leurs heures. Donc au bout de la ligne, certains de nos employés vont se retrouver avec des baisses salariales», s’indigne M. Picard.
«Regardez tous ces travailleurs ici aujourd’hui. Ce sont tous des gens d’un certain âge. Des personnes qui ont encore besoin d’argent. Ils n’ont pas le goût d’être ici, tout comme moi. Je n’aurais jamais pensé qu’à ma retraite, je me retrouverais sur le bord d’une rue à faire du piquetage pour réclamer des conditions raisonnables. Jamais. Mais nous sommes ici aujourd’hui pour faire la grève afin de réclamer des conditions semblables à nos pairs», laisse tomber Jean-Guy Picard.
Cinq autres journées de grève pourraient être déclenchées, si les négociations n’aboutissent pas.
«On veut prioriser la négociation et qu’elle soit saine. On veut vraiment s’asseoir avec l’employeur pour obtenir des avancements, et ce, pour le bien des salariés, des enfants», conclut Pascal Bastarache.
De son côté, l’entreprise dit regretter la situation et être prête à «négocier une entente mutuellement satisfaisante pour l’entreprise et le syndicat». Toutefois, elle fait valoir que les demandes syndicales vont bien au-delà des capacités financières de l’entreprise, en raison des ententes contractuelles en vigueur avec le Centre de services scolaire des Chênes.
«Il faut noter qu’en plus de leur salaire, les conducteurs peuvent bénéficier du versement direct d’une somme de 2 400 $ par année, par le biais du Programme d’aide financière aux conducteurs d’autobus scolaires (PAFCAS), consenti il y a deux ans par le gouvernement du Québec», est-il spécifié dans un communiqué.
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