Une Ukrainienne prise en otage par une banque et… une famille d’accueil

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Par Louis-Philippe Samson
Une Ukrainienne prise en otage par une banque et… une famille d’accueil
Olha Kopytko a vécu son lot de problèmes depuis son arrivée à Drummondville. Malgré cela, elle dit avoir trouvé un bel endroit où rester. (photo Ghyslain Bergeron)

UKRAINE. Arrivée il y a bientôt six mois à Drummondville, une Ukrainienne se sent prise en otage. Les fonds d’aide qu’elle a reçus du gouvernement du Canada se retrouvent gelés dans un compte bancaire créé sans son consentement par sa première famille d’accueil.

Olha Kopytko a fui l’Ukraine afin d’offrir un milieu sécuritaire à son adolescent Denys. Ils ont quitté la ville de Lviv, où plusieurs bombardements ont eu lieu, et sont débarqués à Drummondville le 28 septembre dernier.

D’abord hébergée par une famille de Saint-Cyrille-de-Wendover, Mme Kopytko a rapidement senti que quelque chose clochait. D’abord, des comptes bancaires à son nom et celui de son fils ont été ouverts chez Tangerine sans son approbation. Mme Kopytko préférait retenir les services d’une banque possédant un point de service physique pour y effectuer ses transactions; Tangerine est une institution financière sans succursales. Ensuite, ses hôtes lui ont demandé de payer un loyer, ce qui était contraire aux valeurs de l’initiative locale d’accueil de réfugiés.

«Quand nous sommes arrivés dans la famille de Saint-Cyrille, ils semblaient aller plus ou moins bien pendant la première semaine. Mon hôtesse voulait que j’accepte la banque Tangerine. C’est elle qui est devenue la principale titulaire de cette carte bancaire; pas moi. Puis, ils ont dit que je devais les payer parce que je vivais chez eux. Ils me demandaient 2 000 $ par mois», a raconté Olha Kopytko, qui a pu s’exprimer à l’aide d’une application de traduction.

Pour ces raisons, Mme Kopytko a demandé à être relocalisée dans une autre famille avec son fils. Le 17 octobre, ils ont emménagé chez une dame qu’on appellera Lucie. Celle-ci a requis l’anonymat pour ne pas nuire à ses fonctions professionnelles. Cela étant dit, cette dame hébergeait déjà un jeune Ukrainien depuis le printemps. Et elle a aidé Mme Kopytko à démêler sa situation.

Lorsqu’elles ont voulu réviser les démarches pour l’obtention de l’aide financière du gouvernement du Canada, elles ont remarqué que l’argent avait déjà été déposé dans les comptes Tangerine sans que Mme Kopytko ait complété le processus elle-même.

«Lorsque mon hôte voulait demander l’aide du gouvernement, j’étais contre, mais elle l’a tout de même fait sans mon consentement», a soutenu Mme Kopytko.

Comptes gelés

Ensemble, elles ont fait les démarches pour transférer les fonds gouvernementaux vers le compte de la Banque Royale du Canada (RBC), que Mme Kopytko a elle-même ouvert, et changer le mot de passe et le NIP du compte Tangerine. Au lendemain de leur tentative, Tangerine a désactivé les codes d’accès de l’Ukrainienne et le montant a été gelé. Pour retrouver l’accès, Mme Kopytko doit confirmer son identité avec Tangerine en français ou en anglais seulement; des langues qu’elle ne maîtrise pas.

«Nous avons appelé chez Tangerine pour comprendre ce qui se passait. Durant l’appel, le préposé m’a donné le nom de la femme de Saint-Cyrille. Est-ce que ces personnes ont bloqué le transfert? Je ne le sais pas, s’est questionnée Mme Lucie. Lors d’un appel suivant, Jacques, un autre préposé, nous a assuré qu’il allait fermer le compte et retourner les fonds au gouvernement puisque cela ressemblait à une tentative de fraude. Il nous a aussi conseillé de déposer une plainte à la police. À ce jour, le compte n’a toujours pas été fermé. Et n’ayant plus accès à celui-ci, on ne peut pas savoir ce que devient l’argent.»

Sous les conseils de Jacques, elles se sont donc présentées au poste de la Sûreté du Québec (SQ) de Drummondville pour enclencher le processus de plainte. Mme Kopytko, anxieuse, a préféré abandonner les démarches à ce moment. D’ailleurs, Mme Kopytko s’est même demandé si elle ne devait pas renvoyer son fils en Ukraine en raison de la situation.

«Olha a passé plusieurs soirées les larmes aux yeux. C’est de l’inconnu pour elle. Elle est arrivée récemment, elle ne connait pas le pays. C’est une situation difficile; ça a beaucoup affecté sa confiance», a témoigné Lucie.

Cette dernière est en communication avec Service Canada à ce sujet. Lors de leur dernier appel, l’argent n’avait pas encore été retourné au gouvernement. Dès qu’ils seront transférés, le gouvernement pourra envoyer les fonds dans le bon compte bancaire.

Mise en demeure

Afin de dénouer l’impasse, les deux femmes ont pris la décision d’envoyer une mise en demeure à Tangerine le 17 janvier dernier. Si l’institution financière ne donne pas de réponse aux demandes inscrites dans le document, le dossier sera entendu à la Division des petites créances de la Cour du Québec.

«Déposer une plainte policière occasionne beaucoup de craintes pour Olha. Nous allons donc explorer l’avenue d’une mise en demeure en premier. Tangerine a reçu notre lettre le 18 janvier. Ils ont maintenant 10 jours pour y répondre», a détaillé Mme Lucie.

Malgré qu’elle se soit déniché un emploi chez Les Plastiques DP, toutes les économies de l’Ukrainienne sont inaccessibles en raison de la guerre. Ainsi, son salaire est à peine suffisant pour payer le loyer et la nourriture. Heureusement, son nouveau cercle drummondvillois a réussi à lui trouver des meubles gratuits afin que mère et fils puissent bien vivre dans leur nouvel appartement.

Veuve depuis quatre ans, Mme Kopytko voulait avant tout offrir un endroit sécuritaire pour son fils Denys en immigrant à Drummondville. Malgré toutes les mésaventures vécues depuis leur arrivée, les deux Ukrainiens apprécient beaucoup la ville. Denys s’est fait de nouveaux amis à l’école et Olha se voit vivre longtemps ici.

«Mon fils aime beaucoup être au Canada. Il me dit qu’il a rencontré des personnes sensibles et gentilles ici. Il ne veut pas retourner en Ukraine à moins que ce soit pour visiter de la famille et des amis. Moi aussi, je me sens en sécurité ici», a terminé Mme Kopytko.

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