Une octogénaire transportée à l’hôpital deux jours après avoir chuté en ressource intermédiaire

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Par Marilyne Demers
Une octogénaire transportée à l’hôpital deux jours après avoir chuté en ressource intermédiaire
Une octogénaire a été transportée aux urgences de l’hôpital Sainte-Croix, deux jours après avoir fait une chute à la Résidence René-Léosa, à Drummondville. (Photo : Archives)

INVESTIGATION. Il aura fallu deux jours pour qu’une résidente de 88 ans de la Résidence René-Léosa, à Drummondville, soit transportée à l’hôpital pour y recevoir des soins, après avoir fait une chute. Un peu plus de deux ans après le décès de l’octogénaire, le coroner Yvon Garneau y va d’une recommandation au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) pour éviter qu’un tel drame se reproduise.

Le coroner recommande au CIUSSS MCQ d’envoyer immédiatement, avant toutes conclusions d’un plan de travail à venir, une consigne à l’ensemble des résidences intermédiaires sur son territoire à l’effet de demander une consultation médicale dès qu’un bénéficiaire fait une chute et se plaint de douleurs.

Le 3 juin 2020, Marie-Claire Hamel est décédée à l’âge de 88 ans de complications médicales suivant une fracture à sa hanche gauche. Dix jours plus tôt, Mme Hamel a fait une chute de sa hauteur dans sa chambre, à la ressource intermédiaire.

«En tout, trois préposées aux bénéficiaires (PAB) sont intervenues dans les secondes suivant la chute en plus d’une superviseure qui a été appelée sans tarder. Sur le coup, les signes vitaux pris, aucune blessure n’est constatée chez la patiente et un rapport avec demande de suivi est fait et mis à l’attention du personnel de soir», indique le coroner, dans le rapport d’investigation.

«Au souper, Mme Hamel est amenée avec assistance de deux PAB, mais elle crie de douleur et on craint qu’elle s’évanouisse. La superviseure de soir, après avoir été avisée du mal en point de la résidente, n’en fait pas trop de cas et croit que cette dernière fait semblant d’avoir mal car, Mme Hamel avait, selon elle, tendance à simuler certains états. Rien de particulier n’est fait», poursuit-il.

La résidente est ramenée à sa chambre. Le lendemain matin, une infirmière prend connaissance du rapport d’incident concernant la chute. La dame, admise en 2017 sur l’unité cognitive de la ressource intermédiaire René-Léosa en raison de sa perte d’autonomie secondaire à son diagnostic du trouble neurocognitif de type Alzheimer, n’est pas connue comme étant à risque de chute.

«[L’infirmière] croit, à la lecture des notes, que Mme Hamel n’a pas été blessée et qu’elle n’avait qu’un mal de ventre (exprimée au retour de la salle à manger où elle n’a rien pris sauf un peu d’eau). Cette infirmière ne se rend pas dans la chambre de la résidente pour la voir, l’évaluer ou vérifier. Pour cette dernière, les maux de ventre sont fréquents chez les résidents et cela ne vaut pas son déplacement», écrit Yvon Garneau.

Durant la journée, l’octogénaire «crie de douleur et pleure fort» quand vient le temps de recevoir ses soins. Elle n’a pas mangé depuis la chute. Le lendemain, la résidente semble déshydratée, selon les notes à son dossier.

«[En après-midi, des préposées] constatent (stupéfaites) que Mme Hamel est encore dans son lit et que, vraiment là, ce n’est pas normal. Sachant bien qu’elle ne peut jouer la comédie, qu’elle souffre pour vrai, mais qu’on la prenne au sérieux semble faire défaut, elles insistent pour que l’infirmière de garde vienne enfin la voir. Il s’agit de la même infirmière qui n’avait pas cru nécessaire d’aller la visiter la veille. La superviseure, alertée par ces deux PAB, a dû insister auprès de l’infirmière afin qu’une visite s’impose. L’infirmière, environ une heure plus tard, se rend au chevet de la dame âgée. Elle constate de ses propres yeux que la patiente a une remarquable ecchymose à la fesse gauche et qu’elle faisait de la fièvre», peut-on lire.

Marie-Claire Hamel est finalement transportée aux urgences de l’hôpital Sainte-Croix deux jours plus tard. Des examens confirment «l’indéniable et éprouvante fracture à la hanche gauche». Aucune chirurgie ne peut être envisagée.

Le coroner Yvon Garneau. (Photo d’archives – Ghyslain Bergeron)

«Dans les jours qui ont suivi, inéluctablement, je peux affirmer que la fracture subie et la forte médication qui lui a été administrée pour la soulager de ses douleurs, ont eu raison de ses faibles réserves d’énergie et amené diverses complications (multifactorielles) qui ont conduit ultimement à son décès, survenu le 3 juin 2020 à 6h40 entouré des siens», rapporte le coroner Garneau.

«Réellement, la preuve a démontré dans mon investigation que la chute survenue le 24 mai a occasionné une fracture de la hanche de Mme Hamel et qu’elle fut transportée à l’hôpital deux jours plus tard. Des observations médicales étaient pourtant inscrites dans le portail de la résidence et plusieurs signalements ont été faits aux superviseures concernant les douleurs et l’état de santé de la patiente sans que des actions soient prises avant le 26 mai 2020. Cette situation n’avait rien à voir avec des simulations ou des caprices venant d’une dame que l’on sait atteinte d’un trouble cognitif», affirme-t-il.

Mesures
La ressource intermédiaire a identifié des mesures de prévention à mettre en place. La formation sur l’approche de soins pour la clientèle présentant des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, comme Mme Hamel, doit notamment être poursuivie pour tout le personnel.

Un rappel individuel a été fait à chaque préposée aux bénéficiaires, infirmière ou infirmière-auxiliaire de s’assurer de visualiser les hanches adéquatement, même si la personne peut se mobiliser. Un rappel aurait également été effectué à l’effet que si un accident avec conséquences ou risque de conséquences majeures survenait ou encore, si la condition de la personne se détériorait, qu’un avis devait être donné immédiatement à la personne de garde à la direction des soins infirmiers. Si celui-ci ne semble être pris au sérieux, une gradation dans les moyens de se faire entendre sera toujours de mise.

«Toutefois et avec respect, la mise en place de nouvelles mesures pour la gestion des urgences nécessite toujours plus de temps qu’on croyait au départ. Il me semble, à moi et à d’autres coroners qui ont investigué dans des circonstances similaires ailleurs au Québec, que lorsqu’un résident fait une chute et se plaint de douleurs suivant celle-ci, que le gros bon sens demande simplement d’appeler un médecin sans autre formalité», mentionne Yvon Garneau.

«Je ne peux nier une remarque du personnel cadre de la Gestion des risques à l’effet que même en présence d’une meilleure communication, entre le personnel de la ressource intermédiaire et l’infirmière (rattachée au CLSC), cela aurait possiblement permis une identification précoce des signes et symptômes qui submergeaient Mme Hamel, mais l’issue (le décès) aurait été la même. Il s’agissait, faut-il le rappeler, de soins de confort murement décrétés après une chute qui a occasionné une fracture de la hanche qui, dans bien des cas, donne un pronostic sombre pour tout patient qui en est infligé. En revanche, Mme Hamel aurait pu rendre son dernier souffle dans de meilleures conditions», soutient M. Garneau.

Recommandations «prises au sérieux»
La Résidence René-Léosa précise qu’à titre de partenaire du CIUSSS MCQ, elle n’emploie pas d’infirmières ou d’infirmières-auxiliaires. «La dispensation des services de soins infirmiers est sous la responsabilité du CIUSSS MCQ, envoyant quotidiennement à la résidence les infirmières, ayant même leur propre bureau dans notre résidence», indique la présidente de la résidence, Alix Vandal.

«Lors de ce triste évènement, nos employés, soient les préposées aux bénéficiaires, ont respecté les protocoles en place aux meilleures de leurs capacités et responsabilités. Elles ont également signalé le changement (détérioration) de l’état de santé de Madame Hamel à quelques reprises aux personnes à qui elles devaient le faire et comme elles devaient le faire», ajoute-t-elle.

De son côté, le CIUSSS MCQ ne souhaite pas se prononcer sur ce cas précis, le dossier de l’usagère étant confidentiel. Néanmoins, il indique que la recommandation du coroner Yvon Garneau «sera évaluée attentivement».

«Lorsque nous recevons un rapport du coroner avec une ou des recommandations, celles-ci sont prises au sérieux par notre établissement et nos actions s’inscrivent dans un souci d’amélioration de la qualité de nos services», indique Maude Bourgeois, agente d’information à la direction adjointe des communications organisationnelles et publiques du CIUSSS MCQ.

Cette dernière précise que l’organisation répondra directement au bureau du coroner quant aux suivis de la recommandation à appliquer et qu’une période de 90 jours est allouée pour l’informer du plan d’action qui sera mis en place.

«Comme dans toutes les situations où il y a enquête du coroner, nous procédons à une analyse complète de la situation et déployons les actions nécessaires, lorsque requis, pour améliorer la qualité de nos services», insiste Mme Bourgeois.

Par ailleurs, la Division des enquêtes sur les crimes majeurs de la Sûreté du Québec a mené une enquête. Aucune accusation n’a été déposée et le dossier a été fermé.

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