Grands ballets canadiens : les doigts de fée de Caroline Boisvert

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Par Lise Tremblay
Grands ballets canadiens : les doigts de fée de Caroline Boisvert
Caroline Boisvert travaille dans l'atelier des Grands ballets canadiens depuis vingt ans. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Entrer dans l’atelier de confection des Grands ballets canadiens donne un peu l’effet de mettre les pieds dans un monde merveilleux. Bobines de fil par dizaines, tulle coloré, épingles et couturières aux doigts de fée concentrées sur leur machine Pfaff. Au bout de la pièce, des costumes parfaitement alignés sur des cintres, prêts à se faire virevousser sur la scène de la Place des arts. Bienvenue dans cet atelier où la magie se crée un bout de fil à la fois.

La visite guidée de cet atelier unique au Québec a été orchestrée par la coupeuse principale Caroline Boisvert, qui effectue quotidiennement l’aller-retour Drummondville-Montréal pour exercer ce métier qui la passionne depuis vingt ans déjà. Elle a la responsabilité de plusieurs artistes de l’étoffe qui confectionnent, réparent et adaptent avec doigté les costumes des danseurs des Grands ballets canadiens.

«Je n’en reviens pas que ça fasse déjà vingt ans. C’est un travail très technique. Quand une nouvelle production est annoncée, je reçois de la designer plusieurs dessins, ses inspirations. Celle-ci est généralement très proche du chorégraphe. Je regarde les croquis et je conçois les patrons à la main, ce qui est très rare maintenant. Le niveau de complexité est parfois très élevé. Malgré cela, il faut qu’ils soient parfaits. J’aime faciliter le plus possible la vie des couturières», a indiqué la Drummondvilloise, qui a débuté aux Grands ballets canadiens en tant que couturière en 2001 avant de devenir assistante-coupeuse en 2008 puis coupeuse principale en 2017. Elle est maintenant la numéro deux de cet atelier où la créativité et la rigueur sont de mise.

Caroline Boisvert devant un costume qui sera utilisé lors du spectacle Requiem, lequel sera présenté en février 2022 à la Place des arts de Montréal. (Photo Ghyslain Bergeron)

Le matin de l’entrevue réalisée à l’édifice de la rue de Bleury à Montréal, Caroline Boisvert avait à son agenda une séance d’habillage avec une danseuse faisant partie de la distribution du spectacle Le Voyage de Clara, une nouvelle version du spectacle Casse-Noisette. À chaque essayage, elle s’assure que les vêtements soient parfaits, à l’image des athlètes de haut niveau qui les portent. Ceux-ci doivent être impeccables, tant au point de vue de l’esthétisme que de la confection. Ils doivent, de surcroît, offrir aux danseurs toute la liberté qu’ils ont besoin pour leurs mouvements.

Si elles ont des doigts de fée, souvent meurtris par l’utilisation constante d’épingles et d’aiguilles, les dix-sept artistes de l’atelier des Grands ballets canadiens ont aussi une bonne oreille.

«On fait des essayages chaque jour, a-t-elle raconté. C’est un moment de grande proximité que nous avons avec les danseurs. Je dis souvent qu’il s’agit d’un travail d’équipe. Je ne suis pas là pour imposer quoi que ce soit. On fait des corrections autant qu’on peut pour que les danseurs soient satisfaits de leur costume. Les danseurs sont très exigeants. Les gens pourraient penser que ce n’est pas toujours facile de travailler avec eux, mais dans le fond, il faut juste être à l’écoute. Ils veulent que leur corps soit mis en valeur. Personnellement, je trouve valorisant de les satisfaire.»

Chose certaine, les journées de Caroline Boisvert sont loin d’être monotones, chacune amenant son lot de défis et sa dose d’accomplissement personnel. Pour donner une idée, un spectacle comme Casse-Noisette oblige l’adaptation ou la confection de plus de 350 costumes différents.

À l’occasion, pour aider les artisans de l’atelier des Grands ballets canadiens, des équipes en sous-traitance sont appelées en renfort.

«Nous travaillons sur des projets souvent très complexes à réaliser. Il faut penser à tout. Juste pour les tissus, on n’a pas le choix d’en commander sur mesure. Parfois aussi, on fait faire de la sublimation ou des imprimés sur des tissus parce que les designers ont des exigences très précises pour les motifs. Évidemment, quand les tissus arrivent à l’atelier, c’est toujours un moment agréable pour nous», a exprimé la Drummondvilloise.

Au passage de L’Express Magazine, la femme de 42 ans travaillait d’ailleurs sur trois projets de front : la préparation des costumes de Casse-Noisette puis la confection de ceux de deux autres ballets qui seront présentés en février et mars 2022, soit Roméo & Juliette (120 costumes) et Requiem (50 costumes). Son bureau était d’ailleurs couvert de bouts de papier cartonné en guise de patrons, ce qui témoigne de l’ampleur de sa tâche.

Quelques costumes qui seront utilisés lors du spectacle Le Voyage de Clara, une variante de Casse-Noisette. Sur la photo, le mythique costume du Roi Bonbon. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Quand on assiste aux générales ou aux costumières, qu’on voie pour la première fois les danseurs sur scène avec les costumes, je trouve ça très émotif. Je suis toujours très fière du travail que mon équipe et moi avons réalisé. Ça représente tellement d’heures», a exprimé celle qui a étudié à l’École de mode et technique de Québec puis à l’Académie de design de Montréal.

Caroline Boisvert a d’ailleurs amorcé sa carrière à l’Opéra de Montréal puis à l’atelier de couture de l’Université McGill avant de faire le saut à l’atelier des Grands ballets canadiens.

«J’ai étudié en mode, mais après avoir fait un stage pour Mackinaw à Drummondville, j’ai réalisé à quel point l’univers des costumes est très intéressant. Ainsi, quand je suis arrivée à Montréal, j’ai envoyé mon curriculum vitae à plusieurs endroits… mais pas dans des entreprises de mode! Après mon premier contrat à l’Opéra de Montréal, je n’ai jamais cessé de travailler dans le milieu des costumes, même que j’étais un peu workaholic. J’étais habilleuse en même temps pour les spectacles du Casino de Montréal à cette époque», a-t-elle raconté.

Académie de ballet de Drummondville

Malgré qu’elle oeuvre de nombreuses heures par semaine à l’édifice des Grands ballets canadiens, elle se fait un réel bonheur d’agir à titre de designer et costumière chaque année depuis dix ans pour l’Académie de ballet de Drummondville, qui présente chaque printemps un grand spectacle annuel.

«J’engage des couturières pour la confection, mais je me garde la partie plus créative. Je me suis déjà dit que je pourrais arrêter ça, mais quand je vois les petites filles aussi contentes de leurs costumes lors des essayages, je me dis qu’il faut que je continue», a-t-elle lancé.

Confiant avoir toujours la tête plongée dans l’univers de la couture, Caroline Boisvert partage aussi qu’elle dispose d’un atelier chez elle, un endroit qui lui permet de faire le vide… tout en faisant le plein d’idées.

L’atelier des Grands ballets canadiens est très lumineux. Pas moins de dix-sept personnes y travaillent. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Le soir, même si j’ai travaillé toute la journée, je mets de la petite musique et je taponne dans mes trucs. C’est mon univers. Les tissus m’inspirent beaucoup. Ma mère et ma grand-mère cousaient. Je trouve d’ailleurs que tout le monde devrait avoir des connaissances de base. C’est tellement pratique», a terminé celle qui aime aussi les voyages, le surf et la planche à neige.

Centre-ville

Au début des années 2000, Caroline Boisvert a été copropriétaire d’un atelier-boutique sur la rue Cockburn à Drummondville baptisé Art-Nac. Pour ceux qui se souviendront de cet endroit, la Drummondvilloise avait participé, durant cette période, à plusieurs défilés de mode au Québec.

Casse-Noisette

Le spectacle Casse-Noisette Le Voyage de Clara sera présenté du 9 au 28 décembre à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts. 

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