La réalité plutôt méconnue des travailleurs agricoles étrangers

La réalité plutôt méconnue des travailleurs agricoles étrangers
Travailleurs étrangers. (Photo : Photo L'Express, archives)

Josyane Cloutier
TRAVAILLEUR ÉTRANGER. Julio Cesar Ambrocio Guarcas est un Guatémaltèque de 22 ans. Il est le deuxième travailleur étranger à venir gagner sa vie à Rose Drummond depuis les cinq dernières années. C’est en alternant quelques mots d’anglais, des bribes d’espagnol, trois ou quatre mots de français, plusieurs mimes et avec beaucoup de collaboration de la directrice générale, Amélie Lampron, qu’il a réussi à s’entretenir un peu de sa vie avec l’auteure de ces lignes.

Julio Cesar vient travailler dans le potager et les serres de Rose Drummond six mois par an. Actuellement en poste, il s’occupe pratiquement à lui seul des concombres, des tomates et de tous les autres légumes vendus par l’entreprise, en plus d’aller faire un tour dans les serres de fleurs lorsque la dame qui les cultive généralement n’y est pas. Les journées sont longues, et le travail est exigeant.

 Il s’est marié dans la dernière année, mais il ne verra pas sa nouvelle épouse avant des mois.

Son frère aîné, Juan Carlos, qui occupe le deuxième poste disponible dans l’entreprise le reste de l’année, est le seul membre de sa famille qu’il verra en six mois (c’est d’ailleurs celui-ci qui l’a référé lorsque Rose Drummond a manifesté l’intérêt d’engager un deuxième travailleur). Juan Carlos a deux enfants, une femme et une nouvelle entreprise de culture de fraises au Guatemala, dont il a laissé le soin à son épouse pendant la moitié d’une année.

Pourquoi alors décider de quitter son pays et sa famille six mois par an pour venir travailler ici ? Simplement parce qu’il n’y a pas d’emplois au Guatemala, et lorsqu’il y en a, ils sont très mal rémunérés d’après Julio Cesar. De plus, le salaire minimum ici équivaut à cinq fois le salaire d’un guatémaltèque, ce qui a un potentiel plus qu’intéressant.  Juan Carlos a d’ailleurs réussi à se payer un terrain, à bâtir une maison et à la payer presque en totalité après seulement trois ans passés à Drummondville. Pour le plus jeune frère, il s’agit effectivement d’un sacrifice nécessaire.

Ils vivent tous les deux dans un logement tout près des serres, où ils se côtoient pendant un mois. «Nous avions déjà loué un bout de terrain à un autre entrepreneur, qui avait installé des logements pour 12 Guatémaltèques. Maintenant, c’est nous qui avons le bâtiment, mais ils ont le même appartement», précise la directrice générale de Rose Drummond, Amélie Lampron. Elle ajoute même que la première année, Juan Carlos vivait chez ses parents.

L’ambiance est plutôt familiale au sein de ce producteur drummondvillois : les soupers organisés à la bonne franquette chez le chef de cultures ne sont pas rares, et les deux frères semblent s’y plaire.

Les entreprises y gagnent aussi

Environ 10 000 postes dans des entreprises agricoles du Québec ont été comblés par des travailleurs étrangers, la plupart dans des cultures maraîchères, selon la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME). Au Centre-du-Québec, ce sont 291 travailleurs étrangers qui sont venus entretenir, cultiver et récolter en 2016.

La scolarisation, l’urbanisation et le vieillissement de la population sont tous des facteurs qui font en sorte qu’il est complexe d’embaucher des Québécois ; c’est pourquoi les patrons se tournent souvent vers des employés guatémaltèques ou mexicains pour combler des postes agricoles. «Ce sont des travaux mal payés pour un local et très physiques, et c’est pour ça qu’on en est venu à se tourner vers un travailleur étranger», explique Amélie Lampron.

«C’est un avantage pour nous de garder plusieurs années les mêmes travailleurs, vu qu’ils connaissent déjà le travail. On n’a pas à perdre trois semaines à former quelqu’un, donc pour nous c’est important», ajoute-t-elle.

Le directeur général de FERME, Denis Hamel, croit d’ailleurs que l’agriculture ne serait simplement pas possible sans main-d’œuvre provenant de l’extérieur. «Toutefois, les entreprises doivent prouver qu’ils ont fait des efforts pour recruter localement et que ça n’a pas porté fruit avant d’embaucher à l’extérieur du pays», spécifie-t-il.

Des procédures rigides, mais essentielles

Les normes sont très strictes : de nombreuses visites inspectent les logements prévus pour les travailleurs et des examens de sélection, autant du côté des patrons que des employés, doivent être réussis par les deux parties. Les entreprises doivent également assumer le coût du billet d’avion des travailleurs. Ces procédures aident à limiter les abus, selon Denis Hamel.

Des histoires comme celles des Guatémaltèques maltraités à Drummondville ou celle d’Éric Dupuis, ce producteur de petits fruits ayant embauché des travailleurs étrangers pour cultiver des champignons magiques, sont rares mais bien réelles. «Ça suscite toujours la colère des agriculteurs. Ce sont des cas isolés, mais nous essayons de les encadrer le plus possible. Malheureusement, nos mécanismes de réaction sont trop lents pour être parfaitement efficaces», affirme d’un ton désolé Denis Hamel.

C’est pour ce genre d’incidents regrettables qu’un numéro d’urgence et des séances de formation sont offertes aux travailleurs à leur arrivée à Montréal, afin qu’ils connaissent davantage leurs droits et leurs recours. Les visites des inspecteurs sont également réalisées sans crier gare.

«J’ai surtout peur qu’on exploite trop ces gens-là. Ils ont beau vouloir travailler et être endurants, ça ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas se reposer de temps à autres… Ça peut devenir dangereux, dans leurs conditions de travail», déplore Amélie Lampron.

 

 

 

 

 

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