Dans la tête de Caroline Ferland

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Par Emmanuelle LeBlond
Dans la tête de Caroline Ferland
À ses yeux, les moments en famille sont précieux. (Photo : Ghyslain Bergeron)
(Note de la rédaction. Comment la crise sanitaire est-elle vécue par les personnes différentes, comme celles qui vivent avec un trouble du spectre de l’autisme? Désirant mettre en lumière leur réalité complexe – et la fragilité de leur quotidien – L’Express de Drummondville est allé à la rencontre d’adultes, d’enfants, de parents et de professionnels, qui vivent plus que jamais… un jour à la fois.)

DOSSIER. La pandémie a bouleversé le quotidien de Caroline Ferland. En quête de stabilité, la femme autiste a décidé de passer à l’action pour renouer avec son bien-être. Récit d’une femme forte qui a affronté la crise sanitaire avec détermination.

Si l’autisme peut être diagnostiqué dès l’enfance, certaines personnes prennent conscience de leur condition à l’âge adulte. L’entourage de Caroline Ferland ignorait que cette dernière pouvait avoir un trouble du spectre de l’autisme (TSA). «J’ai vécu dans une famille aimante. Au-delà du syndrome, j’ai un haut niveau potentiel intellectuel. Dans ma famille, on a tout le temps considéré ça. On acceptait que j’aie des comportements différents. On me mettait dans un espace de performance et je réussissais. On pense tout le temps à l’autiste qui n’est pas capable de fonctionner, mais le spectre est très large», confie-t-elle, lors d’une entrevue avec L’Express.

Caroline Ferland est une femme débordante d’énergie et qui carbure aux projets. (Photo: Ghyslain Bergeron)

À l’âge de 41 ans, la Drummondvilloise a ressenti le besoin de faire des démarches pour obtenir un diagnostic. Si les études ont longtemps été axées sur les hommes, Caroline Ferland se compte chanceuse d’avoir eu une approche adaptée à sa réalité. «La femme autiste a longtemps été invisible, mais elle fait beaucoup pour la société et elle est très fonctionnelle», indique celle qui s’est dirigée vers la Clinique Autisme et Asperger de Montréal.

Quand Caroline Ferland a décidé de foncer, la pandémie est arrivée. La rencontre, visant le bilan des évaluations, a été repoussée quelques mois plus tard. Après une période d’attente, la Drummondvilloise a eu la réponse tant attendue. Elle est atteinte du syndrome d’Asperger.

Faire face au changement

Un TSA peut se manifester de façon différente d’une personne à une autre. Pour sa part, Caroline Ferland accorde une importance particulière à son environnement. Pendant longtemps, elle a tricoté son milieu, à la recherche de stabilité. «J’ai de la difficulté avec les imprévus. Tout est calculé dans ma tête. Quand ça va ne pas, ça devient rapidement un défi. L’équilibre est vite dérangé. J’ai besoin de contrôler une partie de mon environnement», précise celle qui réside à Saint-Nicéphore depuis quelques années.

Par exemple, Caroline Ferland a visité 35 maisons avant de trouver une demeure qui correspondait à ses attentes. «L’agente immobilière nous disait qu’on était les premiers clients qui visitaient les terrains avant d’entrer dans la maison», se remémore-t-elle.

Quand la première vague est arrivée, la Drummondvilloise a éprouvé un certain vertige. Pour elle, la fermeture des commerces et l’arrivée des mesures sanitaires étaient synonymes de déséquilibre. Caroline Ferland ressentait le besoin de se réapproprier son environnement «Je me suis dit que je devais passer à l’action rapidement. C’était une question d’instinct. J’ai besoin de mon bien-être et de ma survie pour être heureuse et contribuer positivement à la société», prononce-t-elle, avec conviction.

Le premier réflexe de Caroline Ferland a été d’acheter un motorisé usagé pour garder un contact avec sa famille, vivant au Saguenay-Lac-Saint-Jean. «Je voulais avoir une maison mobile. Mes parents sont âgés et je voulais avoir la capacité d’avoir un accès à eux.»

Aussi, la Drummondvilloise a décidé de se tourner vers l’autosuffisance alimentaire, pour s’assurer de ne pas manquer de nourriture. «Je me suis abonnée aux paniers biologiques et j’ai acheté un demi-bœuf. À la maison, nous avons réaménagé la chambre froide.»

Hypersensibilité sensorielle

Contrairement aux personnes neurotypiques, les personnes ayant un TSA ont une sensibilité particulièrement développée. Le port du masque obligatoire a eu un impact sur la vie de Caroline Ferland. «Le fait de porter un masque me dérange. J’ai une hypersensibilité sensorielle. Ça fait 40 ans que je vis avec mes vêtements. Je suis habituée. Un masque, c’est tout nouveau», explique-t-elle.

Rappelons que les personnes hypersensibles deviennent rapidement submergées par un trop-plein d’informations sensorielles, car leur système nerveux perçoit les choses très rapidement ou intensément.

En étant une personne tactile, le port du masque ne se révèle pas à 100 % efficace pour cette dernière. «Je touche tout. À la limite, je pourrais m’apporter des microbes à porter mon masque. Je le replace constamment.»

Caroline Ferland et sa famille. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Résultat : Caroline Ferland préfère limiter ses déplacements, en guise de prévention. «Je suis le règlement, mais je m’organise pour ne pas avoir de commissions cet hiver pour ne pas sortir», ajoute-t-elle.

De l’énergie à revendre

Caroline Ferland est consciente que son «cerveau n’arrête jamais». Pour évacuer son trop-plein d’énergie, elle a l’habitude de jouer au soccer. Pandémie oblige, elle a dû faire une croix sur cette activité. Maintenant, elle consacre ses temps libres à travailler sur ses multiples projets personnels, question de tirer profit de cette période particulière.

Si la Drummondvilloise a dédié la première vague à apprendre l’espagnol, la deuxième vague a été l’occasion pour elle de rédiger un roman. «J’écris des trucs et astuces à saveurs humoristiques portant sur les exemples concrets du quotidien d’une femme Asperger», indique-t-elle.

Depuis les dernières années, Caroline Ferland s’est spécialisée dans le comportement humain. Elle est notamment technicienne en travail sociale et coach certifiée en programmation neurolinguistique (PNL). Afin de poursuivre dans cette lignée, elle s’est aussi inscrite à l’Université du Québec à Trois-Rivières en ressources humaines.

Par son vécu et son expertise, elle souhaite partager des outils aux personnes autistes qui vivent sa réalité. Elle veut leur offrir un soutien, à sa manière.

Ainsi, la mère de famille a décidé de mordre dans la vie à pleine dent, malgré les pépins du quotidien. «Je m’oblige à agir, car le seul temps qui existe en fait c’est maintenant. Chaque jour est une opportunité de créer du beau», confie-t-elle, les étoiles plein les yeux.

Quoi qu’il en soit, elle sait qu’elle peut compter sur l’appui de son conjoint et sa fille, ses précieux acolytes.

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