Quand le vécu des uns fait cheminer les autres

Quand le vécu des uns fait cheminer les autres
Le groupe de soutien pour les hommes victimes d'abus sexuel durant l'enfance est un «levier extrêmement intéressant» pour briser l'isolement et faire comprendre aux victimes qu'elles ne sont pas seules.

SOUTIEN. Il y a 47 ans, la vie de Bertrand (nom fictif) a basculé. Son frère aîné l’a agressé sexuellement alors qu’il était enfant. Durant toutes ces années, il a porté ce lourd fardeau qu’il a tenté de se débarrasser à maintes reprises en consultant, mais en vain, jusqu’au jour où il a intégré un groupe de soutien pour les hommes victimes d’abus sexuel durant l’enfance.

Bertrand est parmi les huit premiers hommes à avoir bénéficié de ce service mis sur pied en mai 2016 par le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) Centre-du-Québec et le Centre de ressources pour hommes Drummond (CRHD), une première dans la région.

«Je consultais depuis longtemps, mais chaque fois, je sentais un malaise, de l’inconfort de la part des intervenants. J’imagine que c’est parce que c’est tabou. Je ne sentais donc pas d’ouverture alors automatiquement, j’arrêtais de parler et ça ne donnait pas de grands résultats. Je fréquente le Centre de ressources pour hommes depuis quelques années et lorsque le projet de groupe a été lancé, ça m’a interpellé», se souvient Bertrand.

Ce groupe de soutien, sous forme de dix rencontres, a débuté le 20 septembre 2016. Il s’adressait aux hommes de 18 ans et plus et était animé par deux animateurs, à savoir un intervenant du CRHD et une intervenante du CAVAC. Les participants étaient âgés de 20 à 65 ans et provenaient de différents milieux. Si au départ cette forme d’aide l’angoissait, Bertrand a rapidement pris conscience des bienfaits que cela lui apportait.

«À la première rencontre, j’étais un peu stressé parce qu’il fallait que je déballe mon sac. Ça faisait longtemps que je voulais sortir de ma coquille, mais je ne savais pas comment. Je me suis senti vite écouté et en confiance. J’avais finalement hâte de venir toutes les semaines.»

La belle dynamique au sein du groupe et la solidarité entre les participants ont également fait une grande différence.

«Tout le monde se sentait à l’aise à parler, il n’y avait pas de discrimination. J’ai aussi aimé la chaleur du groupe, c’était réconfortant. D’ailleurs, les histoires des autres m’ont aidé dans mon cheminement personnel et je crois que c’est le cas pour plusieurs», explique-t-il en toute reconnaissance.

Les rencontres de groupe ont permis d’aborder le vécu de l’agression sexuelle ainsi que plusieurs autres thèmes, tels que les conséquences, les émotions, les mécanismes de protection, la sexualité et les relations familiales et sociales.

«L’objectif majeur derrière ces rencontres était que les participants comprennent bien pourquoi ils vivent avec toutes ces conséquences, indique Sophie Bergeron, directrice du CAVAC. Plus les participants acquièrent des connaissances, plus ils prennent le contrôle sur leur vie. On mettait des mots sur des maux.»

Bertrand admet que les rencontres n’ont pas toujours été «faciles», mais il convient qu’elles étaient «nécessaires» pour enfin tourner la page de ce long chapitre pénible.

«J’ai fait la paix avec mon agresseur. Je lui ai pardonné. C’est certain que je n’oublierai jamais ça, mais je suis maintenant capable de passer par-dessus. C’était un fardeau, maintenant je suis libéré grâce à ce service. Je n’hésite pas à référer quelqu’un», partage-t-il avec un sourire.

Des liens d’amitié se sont même tissés. Un souper retrouvailles en janvier a été organisé au grand bonheur des huit hommes.

Besoin bien présent

C’est parce que le besoin de se retrouver en groupe pour discuter de leur vécu a été maintes fois nommé par les hommes que les deux organismes ont décidé en 2016 de lancer ce projet.

«Et l’assiduité aux rencontres a démontré à quel point le besoin était là. S’il n’y a pas de service, c’est comme si ça n’existait pas des cas comme ça. Les hommes ne parlent pas et fréquentent peu de ressources, donc c’est difficile de les rejoindre dans ce temps-là», souligne Mme Bergeron qui estime néanmoins qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour défaire les préjugés envers les hommes victimes d’agression sexuelle. 

Selon elle et son collègue Dominic Martin, directeur général du Centre de ressources pour hommes, ce groupe de soutien est un «levier extrêmement intéressant» pour briser l’isolement et faire comprendre aux victimes qu’elles ne sont pas seules.

Devant ce succès et pour répondre davantage aux besoins, un nouveau groupe a démarré il y a trois semaines. Et les deux organismes ont bien l’intention de continuer à l’offrir et même, de le bonifier.

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