Les éleveurs caprins en danger au Québec

Les éleveurs caprins en danger au Québec
Maude Caron espère que son élevage puisse encore assurer l'avenir de sa fille Stella et de ses quatre autres enfants . (Photo : (Photo : Frédéric Marcoux))

AGRICULTURE. Une éleveuse de chèvres de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, Maude Caron, s’inquiète de l’avenir du secteur caprin au Québec. D’ici avril, les éleveurs pourraient voir deux transformateurs majeurs, Saputo et Agropur, cesser de s’approvisionner auprès des producteurs du Québec.

Cinq jours avant le lancement de la campagne électorale au Québec, Saputo a fait savoir aux producteurs caprins que l’entreprise ne s’approvisionnera plus de lait de chèvre québécois, et ce, dès le 1er janvier 2019. De son côté, Agropur est présentement en réflexion pour évaluer le marché à long terme, explique Maude Caron. L’agricultrice informe que ces deux entreprises contrôlent 60% du marché. Selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), elles font partie des quatre compagnies qui transforment 90% du lait de chèvre québécois. En 2015, le MAPAQ révélait par ailleurs que le Québec produisait 11,7 millions de litres de lait de chèvre annuellement, tandis que l’Ontario en produisait 45 millions, lors de la même période.

«C’est une bombe qui vient de tomber, s’exclame Maude Caron. Au Centre-du-Québec, on était chanceux dans notre malchance, parce qu’on avait beaucoup de contrats avec Agropur et des usines à l’ouest du Québec. Mais la semaine passée, Agropur a annoncé qu’elle fermait son usine de Saint-Damase en Montérégie. C’était la seule entreprise où le lait de chèvre était transformé. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire avec le lait, pour l’instant, l’entreprise n’achètera pas de lait de chèvre en avril.»

Selon Maude Caron, Saputo exige des producteurs qu’ils assurent leur produit de l’étable jusque sur la tablette. Advenant un problème à l’usine qui causerait le non-respect des normes du MAPAQ, au moment où le produit est en vente, le producteur serait donc tenu responsable. Pour ce qui est de la qualité, plusieurs producteurs ont fait des efforts au cours des dernières années pour assurer un produit plus frais.

La ferme RP compte sur 850 chèvres en lactation.

«On est en négociation de la convention de mise en marché du lait de chèvre, depuis quelques années déjà, explique l’agricultrice âgée de 33 ans. Ça fait longtemps que ça traîne. L’année passée, ça semblait sur le point d’être conclu. Cependant Saputo revient toujours avec trois choses : la qualité, le bien-être animal et les assurances.»

Dans le passé, plusieurs producteurs caprins commandaient les services d’un camion-citerne pour transporter le lait aux transformateurs une seule fois par semaine. L’objectif était de réduire les frais de transport. Pour rencontrer les exigences de Saputo, qui veut assurer un produit ayant moins de bactéries, plusieurs d’entre eux ont décidé de doubler ou de tripler la fréquence des transports, sur une base hebdomadaire.

Inquiétudes

«Agropur a des quotas d’importation de fromages fins européens depuis l’entente de libre-échange avec l’Union européenne (UE). Il réévalue donc son portefeuille au complet, car notre produit ne serait pas le plus vendeur. On ne sait rien des intentions d’Agropur», déplore Maude Caron.

Maude Caron.

Après l’ouverture de son entreprise caprine en 2008 avec son conjoint Reto Pfeiffer, la mère de cinq enfants a laissé son métier de fiscaliste pour se consacrer à la ferme. Le couple prévoyait augmenter le cheptel de son troupeau qui compte présentement 850 chèvres en lactation sur un total de 1500 bêtes. Disposant de 700 acres de terre et de deux étables différentes, le duo rêvait de voir la ferme prendre de l’expansion. Le projet de posséder 1500 chèvres en lactation est mis de côté pour le moment.

«L’espoir de grossir est réduit à néant, soupire l’agricultrice. On ne sait rien. Tout ce qu’on sait, c’est que Saputo ne prend plus de lait dans trois mois et que dans six mois Agropur va en prendre moins ou plus du tout. C’était notre avenir et on voyait ça pour les enfants. J’ai le sentiment qu’on nous laisse tomber.»

Le Syndicat des producteurs de chèvres du Québec (STPCQ) tiendra une assemblée générale extraordinaire, vendredi, à Drummondville. La question des transformateurs sera sur toutes les lèvres. Plusieurs producteurs ont espoir d’obtenir des réponses à leurs questions. Au-delà de la peur de voir les produits locaux remplacés par des produits européens sur les tablettes des épiceries du Québec, Maude Caron craint de voir certains producteurs mettent fin à leurs jours.

«C’est certain qu’il y a un risque de détresse psychologique chez certains, laisse-t-elle entendre. Si je suis un producteur qui a juste un contrat et que c’est avec Saputo ou Agropur, je ne “feel” pas bien présentement. Ça, c’est certain!»

Le secteur caprin au Québec

Les producteurs caprins ne sont pas sous la gestion de l’offre, comme c’est le cas des producteurs de bovins laitiers. Ils doivent donc assurer les frais de transport de leur lait et dénicher leur propre contrat avec un transformateur. Un éleveur de chèvres québécois reçoit présentement un montant de base de 1,11$ par litre de lait. Maude Caron estime qu’un producteur ontarien reçoit de 10 à 15 sous de moins que ceux du Québec. Selon le Syndicat des producteurs de chèvres du Québec, la province compte une soixantaine de producteurs.

«Advenant que Saputo et Agropur cessent de transformer notre lait, s’il reste dix ou 15 producteurs au Québec, c’est bon», tranche Maude Caron.

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