La crème glacée de la pauvreté

Photo de Lise Tremblay
Par Lise Tremblay
La crème glacée de la pauvreté
(Photo : Deposit)

COMMENTAIRE. Je pense à une dame depuis samedi. Je ne connais ni son nom, son âge et encore moins sa vie. J’étais derrière elle à la caisse du Maxi. Sa carte bancaire ne fonctionnait pas. Je pouvais presque entendre son cœur battre dans ses tempes.

Je n’ai pas l’habitude de rédiger des commentaires. J’ai toujours été farouchement contre le mélange des genres journalistiques. Quand on fait de la nouvelle, on ne doit pas verser dans l’opinion. La neutralité pour une journaliste, c’est sacré. Je ne fais jamais de compromis à ce sujet.

Mais depuis quelques jours, je revois sans cesse le visage de cette femme d’environ 60 ans. Et j’ai envie de lui donner une voix, me disant qu’elle doit en avoir gros sur le cœur, qu’elle ne doit pas être seule à compter ses sous.

Ce n’est pas la première fois que j’assiste à une scène comme celle-ci. La différence, c’était le climat de détresse.

La dame, que je vais appeler Sylvie pour faciliter la lecture de ce texte, est arrivée à la caisse avec une dizaine de produits : des bananes, de la crème glacée caramel salé, des craquelins au fromage. Entre autres. Peu d’articles dits « santé ».

Elle en avait pour environ 50 $. Une petite facture dans le contexte inflationniste d’aujourd’hui. Pour l’acquitter, elle sort sa carte débit avec ses grands doigts fraîchement manucurés. Manque de fonds. Elle enlève la crème glacée et refait un essai. Le lecteur est sans appel : elle n’a pas les fonds nécessaires. Sylvie défait son foulard et mâche vigoureusement sa gomme en regardant les aliments qu’elle souhaite placer dans son garde-manger. Elle retire les bananes (d’une valeur d’environ 1,45 $) et glisse à nouveau sa carte. Encore un refus.

«Tabarouette! Ça se peut pas!» Ç’a été sa seule phrase, mais pas son dernier essai.

J’ai assisté en silence au combat de Sylvie. Un peu comme une sociologue. J’assistais à un résumé très concret de l’ensemble des articles qu’on a écrits et lus en 2023. Le visage de la pauvreté a changé. Et il a changé rapidement. Exit cette image de vêtements troués et d’allure défraîchie. Maintenant, la pauvreté présente de multiples facettes : elle touche autant les bas salariés, les personnes âgées que les familles. Derrière un visage souriant se cache peut-être des comptes en souffrance, une détresse financière. J’en avais une preuve vivante devant moi.

Je disais que j’ai assisté à la scène en silence. Je l’ai maintenu longtemps, même après être sortie du supermarché. Je me suis posé mille questions : aurais-je dû lui payer son épicerie? Pourquoi s’est-elle fait une manucure si elle ne peut pas se payer de la bouffe? Pourquoi n’a-t-elle pas vérifié son compte avant d’aller à l’épicerie? Pourquoi n’a-t-elle pas choisi des aliments sains pour mieux se nourrir? Pourquoi a-t-elle une grosse sacoche si elle n’a pas d’argent? J’avais des questions plein la tête… mais il faut dire que je suis une journaliste.

Évidemment, je n’aurai jamais les réponses. Mais pour moi, il y a une évidence : tout un chacun devra cultiver la bienveillance pour s’assurer de s’en sortir collectivement. Je crois que l’ère du «je-me-moi» a fait son temps.

Madame, je ne connais pas votre vie. Je ne sais pas si vous travaillez, si vous vivez un deuil ou si vous avez juste mal géré vos dépenses de la semaine, mais sachez que j’ai ressenti votre malaise, qu’il m’a presque paralysé. Vous avez retenu un cri. Un grand cri pour dénoncer à quel point il est difficile de conjuguer avec les hausses de prix des loyers et des aliments.

Vous auriez tellement mérité votre crème glacée au caramel salé.

 

Pour s’aider collectivement…

La guignolée : le dimanche 26 novembre

Campagne des pompiers : en cours

La guignolée des médias : 7 décembre

Les paniers de Suzie : 16 décembre

 

 

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