Regarder l’autre regarder

Photo de Claude-Hélène Desrosiers
Par Claude-Hélène Desrosiers
Regarder l’autre regarder
Séquence tirée de l'installation vidéo. (Photo : Claude-Hélène Desrosiers)

ARTS VISUELS. C’est jour de vernissage chez DRAC. L’artiste Geneviève Thibault présente, jusqu’au 17 décembre, l’exposition Corps habités, commissariée par Daniel Fiset. Le spectateur peut s’y plonger dans une portion d’histoire fort émouvante.

Vivre toute sa vie dans un seul endroit et puis devoir le quitter. Par après, le revoir en images. C’est ce qui est arrivé aux Ursulines de Québec, qui, faisant face au vieillissement, devaient délaisser le monastère qu’elles habitaient depuis l’arrivée de Marie de l’Incarnation en 1641, pour s’installer dans une résidence pour personnes âgées. Il s’agit d’un joyau du patrimoine, mais inaccessible par son caractère privé. L’annonce du déménagement avait été médiatisée en 2017 et l’artiste photographe Geneviève Thibault s’est sentie interpellée.

«C’est une des premières communautés de femmes, avec les Augustines, qui sont arrivées sur le même bateau en 1639. C’est une vieille maison qui a traversé les époques, les événements historiques, et qui a toujours été occupée par les religieuses». Elle a contacté la mère supérieure de façon très simple pour lui proposer de documenter le moment, avant que les Sœurs ne doivent quitter l’endroit. Les religieuses en ont discuté entre elles. Pas facile, pour des femmes qui ont déjà connu le cloître, de laisser entrer quelqu’un dans leur intimité.

D’un autre côté, les Ursulines ont toujours eu le souci de l’histoire, des archives et de leur conservation. Conscientes qu’il s’agissait d’une transition historique, elles ont laissé la Matanaise entrer dans leur univers. En a résulté un premier projet intitulé Blanc. Les photographies qu’on peut voir dans la première partie de l’exposition en sont extraites.

Puis il y a eu la création de l’installation vidéo Corps habités qui se trouve dans l’autre partie de la salle d’exposition. «J’étudiais à ce moment-là en ethnologie. Je suis très intéressée par la manière d’habiter la vie quotidienne, et sur toutes les différentes perspectives sur notre manière d’habiter le territoire», raconte-t-elle.

Daniel Fiset, commissaire de l’exposition, et Geneviève Thibault, artiste. (Photo : Claude-Hélène Desrosiers)

Geneviève Thibault a fait la captation vidéo 360 degrés de la chapelle dans le cadre d’une résidence d’artiste. «L’intention c’était vraiment de leur offrir — parce qu’à ce moment les Ursulines étaient déjà déménagées — et non pour une diffusion. Je n’ai jamais souhaité que le public voie ce qu’il y a dans le casque».

Par la suite, elle a trouvé intéressante l’idée de documenter cette expérience, puis de la diffuser, afin que le public puisse se créer une représentation de la chapelle, mais seulement à travers le vécu des Ursulines et leurs réactions corporelles. Le spectateur en fait l’expérience par l’empathie, puis s’imagine le reste. Ce jeu d’interprétation, d’autoreprésentation plaît bien à Mme Thibault.

Daniel Fiset, le commissaire de l’exposition, souligne l’heureuse tension dans le travail de cette dernière entre le désir de créer une archive et celui d’employer la photographie d’une manière purement artistique. «Le défi, dans ça, c’est qu’il y a toujours une absence dans la présence. Dans la coupe photographique, il y a toujours quelque chose qui est hors cadre, des images qui restent intimes malgré l’accès privilégié que Geneviève a eu dans le monastère. Ça semble être un thème qui demeure en filigrane, un beau miroir entre voir une personne faire l’expérience d’une image à laquelle on n’a pas accès, et dans l’autre partie, voir une séquence d’images qui représentent un bâtiment et les gens qui y habitent au fil des saisons, mais en portant autant attention aux espaces vides et à ce qu’on ne voit pas. C’est un bâtiment qui a des espaces publics, et d’autres intimes, alors nécessairement il y a une sensibilité entre le désir de présenter et une certaine retenue».

Grâce à l’installation vidéo, on voit et entend des religieuses enfiler le casque de réalité virtuelle puis réagir à la vue de cet endroit qu’elles ont habité toute une vie. L’une d’entre elles, qui y a passé 60 ans, exprime, le souffle coupé par l’émotion, ce que cela signifie pour elle. Une autre entonne un cantique. Certaines se souviennent des odeurs de la chapelle, d’autres des sons. La charge émotive est vive quand on voit l’autre ressentir, sans voir ce qu’il voit.

 

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