Il y a 25 ans, l’autoroute 20 se transformait en porcherie à ciel ouvert

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Par Lise Tremblay
Il y a 25 ans, l’autoroute 20 se transformait en porcherie à ciel ouvert
Une productrice avec une truie. (Photo d'archives)

MANIFESTATION. 18 septembre 1998. Les gens qui circulent sur l’autoroute 20 à la hauteur de Notre-Dame-du-Bon-Conseil assistent à une scène unique : des cochons par centaines y sont regroupés. Solidaires, quelque 350 producteurs de porcs manifestent leur mécontentement devant l’inaction du gouvernement. Vingt-cinq ans plus tard, cet événement demeure historique. Surtout, il est considéré comme un succès syndical.

Jean-Guy Vincent est âgé de 74 ans aujourd’hui. (Photo gracieuseté)

L’homme qui était à la tête de cette manifestation de quatre jours s’appelait Jean-Guy Vincent. Il occupait alors le rôle de président du Syndicat des producteurs de porcs du Centre-du-Québec. Aujourd’hui âgé de 74 ans, il n’a rien oublié de ce soulèvement, qui a marqué l’imaginaire.

Carcasses de cochons pendues

Quelques semaines avant de poser ce geste fort de convertir tout un tronçon de l’autoroute 20 en porcherie à ciel ouvert, les producteurs ont tenté de se faire entendre. En vain.

Parmi les actions entreprises, certains ont carrément laissé des cochons au bureau de leur député local puis, au début du mois de septembre 1998, d’autres ont littéralement pendu des carcasses de porcs à un viaduc, à la hauteur de Notre-Dame-du-Bon-Conseil.

«Ça donnait le signal que nous étions sérieux. Le cochon bouillait dans la marmite! Les producteurs déploraient que les négociations n’avançaient pas et ils craignaient de perdre leur ferme (voir encadré ci-dessous). Vous savez, dans ce temps-là, on avait des assemblées très animées. Les producteurs étaient debout sur des chaises. Ça criait. Ça prenait des nerfs d’acier pour gérer ça», se rappelle M. Vincent.

Photo cocasse avec une affiche de limites de vitesse. (Photo d’archives)

D’un bout à l’autre du Québec, les producteurs de porcs s’inquiétaient, se soulevaient et exigeaient une intervention du gouvernement, leur entreprise étant carrément au bord du gouffre.

«Dans notre région, le feu était pris plus qu’ailleurs probablement parce qu’à cette époque, plus de jeunes avaient acheté des fermes. Leur chemise était en jeu», explique l’ex-président que nous avons rencontré dans nos locaux.

Une preuve qu’à Drummondville la situation était particulièrement vive : le député provincial de Drummond de l’époque, Normand Jutras, a reçu une livraison toute particulière de trois porcs à la porte de son bureau de la rue Dunkin.

«J’en ai eu des manifestations devant mon bureau au fil des années, mais celle-ci était étonnante. Ça m’a marqué. J’ai essayé d’en tirer bon profit. J’ai appelé à la Tablée populaire. Ils ont pris deux porcs qu’ils ont fait dépecer. Puis, la dame de la fourrière municipale de l’époque, Mme Picotin, a insisté pour prendre l’autre, car c’est elle qui était venue les chercher», raconte l’ex-élu en badinant.

Le point de bascule a été atteint lorsque les négociations ont achoppé à Québec. Le gouvernement de Lucien Bouchard a choisi de maintenir sa décision de couper 9,50 $ par porc produit.

Il ne fallait pas plus de gouttes dans le vase. Quelques heures après, le Syndicat des producteurs de porc du Centre-du-Québec s’est réuni en assemblée, au motel Quatre-Saisons de Bon-Conseil.

Si les murs avaient des oreilles, ils rapporteraient certainement plusieurs phrases avec des mots d’église. Les éleveurs étaient prêts à tout.

«On avait un conseil uni et très solide. Il y avait aussi des gens très réfléchis autour de moi. Les membres voulaient qu’on fasse quelque chose et nous, nous étions conscients qu’on s’en allait vers une rupture de quelque chose. On était dans la marde. Et là l’idée de bloquer la 20 a été lancée. Et cela m’est apparu comme une solution possible», relate l’ex-président, le regard vif. Il se rappelle d’ailleurs du grand silence qui s’est installé dans la salle au terme de son commentaire, tout un chacun mesurant certainement la portée de sa déclaration.

En route vers Bon-Conseil

Pour Jean-Guy Vincent, il était hors de question d’improviser, d’intimider qui que ce soit et de ne pas respecter la loi durant la manifestation. «On m’a inculqué très jeune la valeur du respect. Je ne pouvais pas faire autrement», souligne-t-il.

Ainsi, ce dernier est allé rencontrer la Sûreté du Québec en compagnie du vice-président Raymond Harel avant de débarquer animaux et balles de foin sur l’autoroute.

Sur cette photo, on aperçoit Jean-Guy Vincent, président du Syndicat des producteurs de porcs du Centre-du-Québec; Clément Pouliot, président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec, et Laurent Pellerin, président de l’UPA, durant une conférence de presse sur l’autoroute 20 en 1998.

«La SQ a décidé de nous accompagner. Ç’a été un avantage, car ce faisant, on a évité les extrémistes. On savait que ça allait être fait d’aplomb et ça me convenait. On a choisi ce tronçon de l’autoroute parce que, physiquement, il y avait possibilité de dévier la circulation», explique le septuagénaire.

Fait particulier : le prix des animaux était rendu tellement bas que les producteurs devaient sortir de l’argent de leurs poches pour amener les truies à l’abattage. Ainsi, tant qu’à payer pour un service de transport, il a été décidé d’en amener une centaine sur le bord de l’autoroute Jean-Lesage. Les photos de l’époque sont d’ailleurs singulières : des truies reniflantes, mamelles à l’air, bien allongées au soleil sur le bord de la 20.

Les manifestants se sont installés tôt le vendredi matin. Ce week-end-là, le Parti québécois tenait un conseil général à Laval et le festival de Saint-Tite amorçait ses activités.

«Du monde, il en a passé sur la 20! On était bien organisés, assure Jean-Guy Vincent. On avait de la moulée pour les animaux et du café pour nous. Les journalistes sont arrivés. À 7 h, on a organisé une conférence de presse avec Rolland Pellerin (président de l’UPA), et Clément Pouliot (président de la Fédération des producteurs de porcs). On pensait faire la journée, mais on est resté là jusqu’au mardi matin. Plusieurs ont vécu ça comme un gros festival agricole de solidarité. Il y a même des couples qui se sont formés. Des mariages ont été célébrés après ça. Il y avait une belle effervescence parce que ç’a été bien fait. La SQ venait chaque jour. Je tenais à ce que ça reste une action positive et qu’il n’y ait pas de débordement. S’il rentrait une bouteille de bière sur le site, immédiatement on était avisé. Le but était d’être visible et de sensibiliser. Et nous avons réussi.»

Peu après cet événement, les négociations ont repris et le gouvernement a revu sa décision. Elles ont été longues, mais ç’a été gagnant-gagnant. Une aide financière de 30 M$ a été consentie.

«Ç’a eu du poids. Notre démarche a réussi à tous les points de vue. Le fait qu’on avait un conseil d’administration uni qui a décidé de poser des gestes pour sensibiliser ‒ et non pour casser des choses ‒ a fait toute la différence du monde. C’est une fierté pour moi», laisse tomber M. Vincent, qui vit à Sainte-Séraphine.

Point à souligner : bien que cet événement ait atteint son objectif, il est interdit maintenant d’organiser toute manifestation sur les autoroutes au Québec.

(Photo d’archives)

«De toute façon, on est ailleurs. On ne pourrait plus faire ça aujourd’hui. La façon de négocier n’est plus la même», termine l’agriculteur.

Pourquoi cette manifestation?

Cette manifestation qui a fait la une de plusieurs journaux, dont bien sûr L’Express, visait à décrier l’inertie du gouvernement, en particulier celle de Guy Julien, alors ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

Pour faire une histoire courte, le prix du porc avait dégringolé d’environ 9,50 $ l’année précédente. Pris à la gorge, les producteurs espéraient être en mesure d’encaisser l’argent placé dans leur régime d’Assurance stabilisation du revenu agricole en guise de compensation, mais le gouvernement avait choisi de couper dans l’évaluation des coûts de production. Les éleveurs se sont donc retrouvés avec un important manque à gagner. Un article datant du 22 avril 1998 de La Nouvelle Union, un hebdomadaire de Victoriaville, fait état de pertes de 3000 $ par semaine pour chaque producteur. La situation était intenable. «Nous sommons le gouvernement de respecter ses engagements. S’il ne passe pas à l’action avant le 30 avril, nous sommes prêts. Les producteurs de porcs n’ont pas manifesté depuis 15 ans… », avait clairement laissé entendre M. Vincent à la journaliste Marylène Couture.

Il passera à l’action l’automne suivant… et vingt-cinq ans plus tard, on en parle encore.

Toujours en crise

Retour en 2023, les producteurs de porc sont au cœur d’une nouvelle crise. Celle-ci est cependant plus complexe, étant nord-américaine. «Elle est historique. On œuvre dans une production qui demande des nerfs d’acier parce qu’on exporte et qu’on est toujours dans des prix fluctuants. Et on est tributaire des politiques gouvernementales (…) On est dans une crise de bas prix et structurelle par rapport aux abattoirs», explique M. Vincent.

Réduire ou arrêter? C’est la décision que les producteurs ont eu à prendre le printemps dernier, alors que les exportations sont toujours en chute. Avec l’objectif de réduire la production d’un million de porcs au Québec, le gouvernement a instauré un programme de retrait volontaire. D’où qu’ils proviennent en province, les producteurs ont fait face à un choix déchirant.

(Photo d’archives)
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