Les producteurs de porcs se sentent piégés

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Par Lise Tremblay
Les producteurs de porcs se sentent piégés
Une crise secoue actuellement l’industrie porcine. (Photo : Deposit)

AGRICULTURE. Les producteurs de porcs vivent une énième crise. Ce n’est pas la première, mais celle-ci est particulièrement difficile. D’un bout à l’autre du Québec, dont dans la grande région de Drummondville, des entreprises pourraient fermer.

L’industrie du porc est régulièrement malmenée. La crise la plus mémorable a certes été celle du mois d’octobre 1998. Pas moins de 350 producteurs avaient bloqué l’autoroute 20 à la hauteur de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, créant une véritable porcherie à ciel ouvert.

Cette fois-ci, la crise ne devrait pas amener les producteurs à sortir les animaux sur l’asphalte, mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont secoués, qu’ils devront éponger les pertes financières. D’aucuns estiment aussi qu’elle viendra qu’à creuser un fossé entre les producteurs indépendants et ceux travaillant à forfait.

«Là, ça va mal, mais pas pour des raisons sociétales ou environnementales, met en contexte Daniel Habel, président de la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Centre-du-Québec. Nous sommes devant une nouvelle réalité. La filière de la transformation du porc oblige le maillon de la production à ralentir sa cadence. Certaines entreprises devront être carrément mises en arrêt.»

Quelques raisons expliquent ce déséquilibre entre l’offre et la demande. La principale : une chute des exportations vers l’Asie. «Il s’agit de la goutte qui a fait déborder le vase», lance M. Habel.

Daniel Habel, président de la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Centre-du-Québec. (Gracieuseté)

«Nos éleveurs se retrouvent dans une situation où Olymel est à peu près le seul transformateur de porc au Québec et qu’il limite ses entrées à l’usine. Les producteurs qui voudront persévérer avec leur production se retrouveront avec un phénomène où il n’y aura pas de preneur pour leurs animaux», explique-t-il.

Devant cette situation, les éleveurs de porcs du Québec anticipent des baisses de production de 20 %. Ils ont aussi voté dernièrement en faveur de la mise en place d’un programme de rachat pour ceux qui voudront se retirer de l’industrie pour une période de cinq ans. L’objectif? Réduire la production d’un million de porcs au Québec, et ce, pour satisfaire à la nouvelle demande.

Les producteurs indépendants ont amorcé leur réflexion : réduire ou arrêter?

«Je sais que des gens vont y adhérer, mais on ne connaît pas l’ampleur, soutient le président. En fait, les producteurs sont carrément piégés. C’est terrible, car la très grande majorité des entreprises n’étaient pas rendues en fin de vie. Certaines avaient même de la relève potentielle à l’horizon. Je connais des éleveurs qui avaient des projets de construction et qui souhaitaient poursuivre la modernisation de leurs bâtiments, mais tout ça est aujourd’hui en mode arrêt. Et on parle de producteurs qui sont dans la fleur de l’âge!»

«Au jour le jour»

Producteur indépendant depuis quelques années à Saint-Germain-de-Grantham, Martial Simoneau détient une ferme comptant 120 truies, la Ferme Bertrand Simoneau. Il est entièrement indépendant, ce qui signifie qu’il est propriétaire des animaux et de tous les bâtiments les abritant. Parce qu’il fait aussi de la grande culture, il a décidé de «vivre au jour le jour» et de mettre de côté pour l’instant le programme de rachat, un fonds compensatoire de 80 M$ qui viendra éponger un tant soit peu les pertes de ceux qui décideront de mettre en veilleuse leur production durant une demi-décennie.

«Ça fait longtemps que j’ai perdu confiance dans la production porcine. J’ai investi dans le bien-être animal, j’ai amélioré mes bâtiments, mais une chance, je tire mon revenu principal de la grande culture. Néanmoins, je n’ai pas l’intention de fermer ma maternité. Si je ferme, j’ai bien peur que je ne pourrai plus rien faire avec mes bâtisses. De toute façon, que je le veuille ou pas, elles ne valent plus rien. À matin, je ne voudrais pas être dans les shorts d’un gros producteur», exprime celui qui produit environ 3000 porcs annuellement.

Toute cette situation pourrait éventuellement creuser un fossé entre les producteurs, qu’ils soient indépendants comme Martial Simoneau ou qu’ils travaillent à forfait, c’est-à-dire qu’ils élèvent des animaux appartenant à une entreprise.

C’est que les éleveurs de porcs qui sont susceptibles d’accepter de mettre sur pause leur production durant cinq ans – et de bénéficier du fonds de 80 M$ –  sont ceux qui ont le moins investit dans leurs bâtiments, qui sont moins à la fine pointe de la technologie.

«On s’entend, personne ne veut fermer. Je pense que ceux qui vont fermer leur porcherie sont ceux qui sont moins solides financièrement ou qui ont des bâtiments moins bien adaptés. Les autres vont vouloir continuer, mais ce sera difficile», estime M. Simoneau.

«Une claque en plein visage»

À quelques kilomètres de là, Simon Leclair, propriétaire de la Ferme Porclair, a reçu la nouvelle de réduction du cheptel «comme une claque en plein visage».

Le producteur Simon Leclair, éleveur de porcs à Saint-Germain-de-Grantham. (Photo Gracieuseté)

Ce dernier gère une grande entreprise, probablement la plus grande dans la MRC de Drummond. Dans ses bâtiments, 12 000 porcs dédiés à la consommation humaine y logent. Il travaille à forfait depuis 2012. Toute sa production appartient à Olymel, qui a réduit ses abattages en fonction de ses exportations.

Le lundi 13 avril dernier, il a appris que son cheptel sera réduit de 13 % dès la semaine prochaine. L’impact est majeur. Les 1560 porcs qu’il produira en moins cette année lui causeront un manque à gagner de 101 400 $.

«Et ce sont des pertes nettes! Je dois continuer de payer mes bâtiments et mes taxes quand même», se désole-t-il.

«La claque en plein visage est d’autant plus difficile à recevoir qu’en 2019, Olymel a demandé aux éleveurs comme moi d’augmenter leur cheptel. J’ai accepté et j’ai bâti un nouveau site de 4000 places qui m’a coûté 2 M$ en 2022. Je trouve ça illogique qu’on me dise de réduire aujourd’hui alors qu’on m’a demandé d’augmenter ma capacité récemment. Cette baisse combinée à l’augmentation des taux d’intérêt, je ne la trouve pas drôle. Je n’aurais jamais dû bâtir une nouvelle porcherie», soutient celui qui empoche 23,50 $ par porc produit.

Le président de l’UPA du Centre-du-Québec, Daniel Habel, insiste en disant que cette nouvelle crise dans l’univers porcin au Québec est dramatique.

«C’est important de faire réaliser aux gens que chaque fois qu’un producteur agricole disparaît, c’est une partie du territoire qui s’éteint. Et il y a quelque chose de cruel là-dedans, car personne ne s’en aperçoit vraiment. C’est mourir à petit feu dans l’ombre. Ça veut dire plein de choses : des bâtiments de ferme seront abandonnés ou transformés pour de l’entreposage et ça amènera une perte de vitalité dans nos villages», termine celui qui est lui-même un producteur agricole.

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