Saint-Eugène : les eaux usées du village déversées dans les fossés

Photo de Lise Tremblay
Par Lise Tremblay
Saint-Eugène : les eaux usées du village déversées dans les fossés
Les eaux usées du village de Saint-Eugène-de-Grantham s’écoulent directement dans les fossés. Les citoyens attendent depuis des décennies qu’un réseau d’égout soit construit dans le village. (Photo : Lise Tremblay)

ENVIRONNEMENT. «Ça fait 30 ans qu’on nous dit d’attendre avant d’investir dans des fosses septiques parce que le réseau d’égout s’en vient. On commence à trouver ça vraiment long.»

Des citoyens vivant à Saint-Eugène-de-Grantham n’y croient plus. Rencontrés il y a quelques jours dans leur patelin, ils ont tenu à lever le voile sur ce problème qui persiste depuis des décennies et qui ne les rend pas très fiers. D’ailleurs, aucun n’a accepté que son nom soit publié.

«Dans le village, très peu de gens ont des fosses septiques parce que les terrains sont trop petits. Ça pourrait contaminer l’eau des puits. Toute l’eau de ma toilette, de ma laveuse et de mon lave-vaisselle va donc directement dans le fossé devant chez moi. Parfois, ça ne sent pas très bon. On s’assoit sur nos galeries et il y a des odeurs», a indiqué une dame âgée.

Selon les trois citoyens qui ont demandé à rencontrer le Journal, la majorité des maisons du village déversent leurs eaux usées directement dans l’environnement.

«Les trois-quarts des maisons sont arrangés comme nous. On a déjà eu un maire, André Deslauriers, qui a travaillé très fort sur le dossier, mais après, on a eu un maire qui a été là durant trois mandats et le dossier n’a plus progressé. On ne sait plus trop ce qui arrive avec ça. Assez souvent, il y a des odeurs dans le village. On se croirait dans un pays du tiers monde», a exprimé un agriculteur en se berçant vigoureusement sur une chaise de bois.

Selon ces Eugénois, les eaux usées de la centaine de propriétés concernées s’écoulent directement dans les fossés du rang de l’Église puis se jettent dans la petite rivière Schibouette.

À certaines périodes de l’année, le trop-plein déborde puis poursuit son chemin jusqu’aux trous d’homme.

Le rang de l’Église, Saint-Eugène-de-Grantham. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Des employés du ministère des Transports viennent siphonner les eaux usées deux fois par année sur le rang. Un jour, il y en a un qui m’a demandé où allaient nos égouts. D’après moi, il avait un doute. Je lui ai dit qu’on attendait une subvention et je suis resté vague pour le reste. Je ne crois pas qu’il a vraiment réalisé qu’il siphonnait de la merde», a poursuivi le citoyen, à la fois excédé et gêné.

Comme si cela n’était pas suffisant, les villageois de Saint-Eugène-de-Grantham acquittent, depuis 2007, des frais pour la vidange systématique de leur fosse septique, comme partout ailleurs dans la MRC de Drummond.

«C’est comme si on se faisait voler. On n’a jamais compris pourquoi on devait payer cette facture alors qu’on n’a pas de fosse septique. Bref, on commence à avoir hâte de passer à autre chose, que Saint-Eugène soit comme ailleurs», ont-ils dit.

Pour être conformes – et retrouver leur fierté – ils se disent d’ailleurs prêts à allonger la somme nécessaire pour supporter une partie des coûts des infrastructures.

«Ce n’est pas grave de payer une facture. Un jour ou l’autre, on n’aura pas le choix de toute façon. Personnellement, je préfère payer pour des égouts que pour un champ d’épuration et une fosse septique. La durée de vie sera plus élevée», a communiqué un sexagénaire.

Ce dernier a par ailleurs déploré que des citoyens aient choisi de quitter le village au fil des années en raison des odeurs et des préoccupations environnementales.

«On a su qu’une dame qui vivait sur le rang de l’Église a déménagé en ville à cause de toutes les promesses qui n’ont pas été tenues avec le temps. C’est vraiment dommage, d’autant plus qu’elle avait des enfants», a tenu à partager une citoyenne.

Tout comme son voisin, celle-ci n’a pas un grand espoir de voir des élus eugénois prendre réellement en main le dossier. Elle soutient cependant que le maire actuel, Albert Lacroix, semble motivé à y mettre un point final.

«On verra ce que ça va donner avec lui, mais je vais le croire quand je vais le voir», a-t-elle soufflé.

La Municipalité de Saint-Eugène espère la concrétisation d’un réseau d’égout dans le village depuis novembre 1990.

Illégalité

(Photo Lise Tremblay)

Selon la Fondation Rivières, qui voit depuis 2002 à la préservation et la mise en valeur du caractère naturel et écologique des rivières, précisément 81 municipalités au Québec déversent encore aujourd’hui leurs eaux usées directement dans la nature. Depuis le 31 décembre 2020, elles sont toutes dans l’illégalité puisqu’elles avaient jusqu’à cette date pour se conformer à la réglementation.

«Nous sommes néanmoins empathiques envers ces petites municipalités. Elles sont laissées à elles-mêmes. Elles auraient besoin d’un accompagnement technique et scientifique du gouvernement. En théorie, ce serait le rôle du ministère des Affaires municipales, mais celui-ci s’est départi de son expertise et réfère les municipalités au ministère de l’Environnement, qui n’a pas ces connaissances», a fait savoir André Bélanger, le directeur général de l’organisme.

Tout en dénonçant le laxisme du gouvernement dans ce dossier, M. Bélanger a informé que l’impact des rejets sur les petits cours d’eau est davantage marqué que sur les grandes rivières, à cause bien sûr du volume d’eau. «S’il y avait de la vie dans la rivière Schibouette, c’est clair qu’il n’y en a plus», a-t-il terminé.

À lire également : «Ça ressemble un peu au Mexique» – Albert Lacroix, maire de Saint-Eugène

Partager cet article