SAINT-LUCIEN. Qui a la responsabilité d’entretenir la rue Thierry à Saint-Lucien? Cette question fait l’objet d’un épineux débat actuellement entre le gestionnaire du chemin et la Municipalité qui se lancent la balle alors que des dizaines de résidents se sentent «pris en otage».
Depuis une dizaine de jours, le chemin qui se rend au Domaine des Bouleaux, une rue privée, a des allures de champ de guerre, pour reprendre les termes de certains citoyens. Avec le dégel et les précipitations des dernières semaines, le sable recouvrant le chemin s’est transformé en glaise rendant la voie impraticable.
«Chaque jour, il y a des voitures qui restent prises et certains ont dû abandonner leur voiture. Plusieurs citoyens ont brisé leur auto à cause de ça. Il faut un quatre roues ou un gros camion pour pouvoir passer presque sans difficulté», a noté Melyssa Langis lorsque rencontrée mardi en compagnie d’une vingtaine de résidents visiblement irrités. Au passage de L’Express d’ailleurs, deux automobilistes se sont enlisés. Des voisins leur ont prêté main forte.
«Chaque année, au dégel, la rue a des trous, mais ce n’est rien comparé à cette année. L’entrepreneur qui fait l’entretien de la rue a mis beaucoup de sel et avec les temps doux, ç’a fait de la glaise. En plus, comme la rue est plus basse que les terrains autour, l’eau s’écoule dessus», a renchéri son conjoint Maxime Bazin.
La rue est dans un très piteux état au point tel que les services de livraison, l’autobus et les bennes à ordures et recyclage n’empruntent plus la voie.
«On doit chaque matin et soir marcher plus d’un kilomètre dans la bouette avec nos enfants pour se rendre à l’autobus qui attend sur le chemin des Bouleaux. Quand il fait beau, ce n’est pas si pire, mais quand il pleut, c’est autre chose. De plus, il faut apporter nos bacs à poubelles à bras, avec la côte et la bouette, ce n’est pas agréable!», ont énuméré des citoyens.
Les résidents du Domaine des Bouleaux craignent même pour leur sécurité alors qu’il est impossible pour les services d’urgence de s’y rendre.
«On est réellement en danger! Si ma maison brûle, les autres vont y passer aussi, car les véhicules d’urgence ne peuvent plus se rendre. Ce n’est pas avec ma hose à jardin que je vais éteindre le feu!», a lancé avec une pointe d’ironie et désespoir Mme Langis.
«Mon voisin d’en avant a une santé fragile et s’il lui arrive quelque chose, l’ambulance ne peut pas se rendre. Il a souvent besoin d’assistance. En bout de ligne, si quelque chose de grave arrive, les coûts vont être vraiment plus élevés que si on réglait le problème maintenant», a fait valoir une autre citoyenne.
«La Sûreté du Québec est venue évaluer l’état de la rue et elle nous a dit qu’en ce moment, il n’y avait rien de criminel, mais que s’il arrivait quelque chose, là ça va l’être. Ça veut dire qu’il va falloir attendre que quelqu’un meure ou une maison passe au feu pour que quelqu’un fasse quelque chose. Voyons donc!» s’est indignée Mme Langis.
Les résidents hésitent chaque jour à prendre leur véhicule. Certains doivent même manquer du boulot à cause de cette situation hors de l’ordinaire.
«C’est la première année qu’on a vraiment peur de rester pris dans nos maisons. Ce n’est pas normal qu’en 2021, on en soit là», s’est exaspérée Melyssa Langis.
«On a peur chaque fois qu’on sort», ont affirmé Michel Boucher et sa conjointe, lesquels ont passé plus de deux heures dans leur voiture enlisée la semaine dernière.
Tous abondent dans le même sens : «On est pris en otage! Ce ne sont pas des caprices, c’est une question de santé et sécurité».
Comme une patate chaude
La rue Thierry est une voie privée. En 2019, la Municipalité, avec l’accord du propriétaire de la route et des citoyens, a adopté le règlement 2019-102 stipulant que la Municipalité est désignée à l’entretien d’hiver et d’été du chemin. L’épandage d’abat poussière y est inclus. Il avait également été entériné que le coût de ces travaux soit couvert via une taxe spéciale imposée aux résidents du Domaine des Bouleaux. Au moment du passage de L’Express mardi, les résidents ont souligné avoir l’impression de payer cette taxe dans le vide.
«On paie une taxe pour que notre chemin soit un minimum carrossable, mais là, c’est dangereux. On ne demande pas de l’asphalte, juste de trouver un moyen pour qu’on puisse rouler sécuritairement», a soutenu Alexandre Martel-Lalancette.
«La Municipalité dit ne pas pouvoir rien faire de plus étant donné que c’est un chemin privé», a indiqué Melyssa Langis.
De son côté, le gestionnaire de la rue (qui représente la propriétaire), Thierry Gingras, qui est sorti voir les citoyens au moment de la rencontre mardi, s’est dit sensible à leurs préoccupations et frustrations, mais est convaincu qu’il n’a pas à payer le moindre sou pour réparer le chemin.
«Comme eux, je souhaite que la situation se règle. J’ai même engagé des frais pour les défendre, car on n’aime pas ça se faire dire qu’on n’est pas correct alors qu’on n’a pas la responsabilité de ça. Ce que je lis dans le règlement, c’est que c’est la Municipalité qui a la responsabilité, mais on me dit le contraire. J’ai l’impression de me faire niaiser par la Municipalité. Il va falloir que quelqu’un détermine qui a réellement cette responsabilité-là», a-t-il précisé fermement.
«Je ne peux pas collecter 1000 $ à chacun et dire qu’on va faire l’entretien, ça ne fonctionne pas comme ça», a-t-il laissé tomber.
Au bout du fil vendredi après-midi, M. Gingras a informé l’auteure de ces lignes que pour la sécurité de tous, dix voyages de gravier ont été étendus au sol.
«J’ai fait faire ces travaux à mes frais pour permettre la circulation et pour que ce soit sécuritaire avec la pluie. Vous savez, je ne veux pas être tenu responsable de négligence. Les équipements lourds demeurent sur place afin d’intervenir si nécessaire», a-t-il dit, en maintenant néanmoins sa position quant à la responsabilité de la Municipalité.
M. Gingras croit que l’épandage de sel n’a aucunement favorisé l’état de la chaussée.
«En décembre et en janvier, j’ai appelé la Municipalité pour leur dire de cesser de mettre du sel. Il faisait -15 et l’eau coulait dans le chemin. (…) On a toujours eu des impacts mineurs, mais ça n’a jamais empêché le monde de se promener. D’ailleurs, l’an passé, il y avait une surface dure de gravier qui tenait la structure, mais elle a été enlevée avec les travaux de nivelage et n’a pas été remise. Tout est dans le fossé», a-t-il soulevé, précisant qu’il se montre toujours disponible à travailler en collaboration avec la Municipalité. D’ailleurs, une rencontre est prévue en début de semaine prochaine.
Municipalité de Saint-Lucien
Du côté de la Municipalité, la mairesse de Saint-Lucien, Diane Bourgeois, explique qu’il y a une différence entre entretien – tel qu’écrit dans le règlement – et réparation.
«On a une opinion juridique de nos aviseurs légaux qui date de 2015. Je vous lis un passage : « Si dans le cadre de travaux d’entretien de terre, par exemple dans le cadre de travaux de grattage du chemin réalisé par une niveleuse, on constate la présence d’un trou dans la chaussée et décide de boucher ce trou par une pelletée de gravier, on pourra assimiler ces travaux à des travaux d’entretien. Si cependant on décide de faire déverser sur le chemin le contenu d’un camion chargé de gravelle afin de l’étendre pour en améliorer la surface, on devra conclure qu’on procède alors à des activités de réparation et non d’entretien »».
«Maintenant, dans le cas de la rue Thierry, il s’agit d’un chemin privé. Une municipalité ne peut pas réparer un chemin privé, car on prendrait l’argent de l’ensemble des citoyens pour le faire. C’est interdit par la loi. Par contre, la municipalité à l’obligation d’assurer la sécurité des citoyens jusqu’au début du chemin privé», a-t-elle tenu à spécifier.
Par ailleurs, la mairesse se dit en désaccord avec le fait que le sel est responsable de la détérioration de la chaussée.
«Un terrain de sable au printemps, il absorbe toute l’eau. Et comme il n’y a pas de fond sur la rue Thierry, conséquemment ça se change en boue. Aussi, il y avait moins de circulation avant, car c’étaient plus des chalets saisonniers. Maintenant, il y a un minimum de 125 voitures par jour qui passent».
Mme Bourgeois est catégorique : «Cette situation est la conséquence d’un laisser-aller de plusieurs années et du fait que le propriétaire n’a pas voulu prendre ses responsabilités».
Municipalisation des chemins privés
D’autre part, la mairesse a précisé que le projet de municipalisation des chemins privés, ayant fait l’objet de consultations publiques au printemps 2019, est toujours dans l’air.
«Nous avons toujours l’intention de le faire. Seulement, je ne veux pas vous dire qu’on fait pitié comme municipalité, mais il y a eu des éléments qui ont fait que le projet a été retardé, dont deux départs consécutifs à la voirie et la pandémie. On ne sait pas quand ça se fera, mais je souhaite que ça se concrétise cette année, du moins pour le Domaine des Bouleaux», a-t-elle fait savoir en laissant entendre que si la Municipalité a l’assentiment de tous, le projet se réalisera plus rapidement.
Cette dernière a rencontré les résidents du Domaine des Bouleaux – qu’elles qualifient de «courageux» – jeudi. Elle leur a suggéré de former un comité de cinq personnes en vue de la municipalisation de la rue.
«Le comité fera le lien entre les citoyens, le propriétaire de la rue et la Municipalité. Ç’a été bien reçu, ils étaient contents».
«On a pensé au scénario de mettre de l’argent maintenant pour réparer la rue Thierry en vue de la municipalisation, mais l’aviseur juridique était contre l’idée étant donné qu’il y a des élections municipales bientôt. Si le conseil change, qui va s’assurer que les citoyens seront remboursés? La seule solution à la situation, c’est que le propriétaire prenne ses responsabilités. De notre côté, on va continuer les démarches pour la municipalisation des chemins», a-t-elle poursuivi.
D’ici à ce que les parties s’entendent sur la responsabilité de l’entretien et de la réparation de la rue, les citoyens, eux, espèrent ne pas avoir à recourir aux services d’urgence.