Être végane, ou devenir militant sans le vouloir

Josyane Cloutier
Être végane, ou devenir militant sans le vouloir
Qu’on me laisse manger mon tofu brouillé tranquille! (Photo : Josyane Cloutier)

GRANO DU BUREAU. Je sors du garde-robe. Je suis extrémiste.

Je suis aussi surprise que vous de l’entendre, en fait. Je ne l’ai pas cherché.

Mon seul crime : bannir les produits animaliers de ma vie.

Je sors du garde-robe : je suis végane. Je ne consomme ni viande (oui, le bacon compte), ni poisson, ni œufs, ni produits laitiers, ni cuir, ni miel. Tous mes produits nettoyants sont sans cruauté et je suis devenue une pro dans l’art de lire les étiquettes de TOUT ce que je trouve à l’épicerie, question de vérifier que cela convient à mon mode de vie.

Néanmoins, il y a quelque chose que je n’ai jamais vu venir, même après des années de végétarisme.

Je porte désormais une étiquette flamboyante de militante, collée en permanence sur mon front.

Par définition, le militantisme est de défendre une cause qui nous tient à cœur par des actes, des paroles ou une forme d’art, par exemple. Le concept est donc assez large, et peut être appliqué à un large éventail d’actions.

Qu’on le veuille ou non, devenir végane est une forme de militantisme. En se levant pour défendre les droits des animaux ou la protection de l’environnement, on fait désormais partie du groupe de fatigants qui milite pour l’égalité et la paix dans le monde en scandant des chansons des Cowboys Fringants… sans nécessairement l’avoir cherché.

Ne vous méprenez pas : j’ai toujours eu la fibre militante. J’oserais même dire que je ne déteste pas avoir une discussion un peu mouvementée (ce qui me donne l’occasion de m’obstiner, ma passion dans la vie). Je n’ai pas peur non plus de défendre mes idées.

Pourtant, je ne cacherai pas que j’aurais aimé savoir avant que je deviendrais militante par la bande. Que c’est un passage obligé.

Que je serai appelée régulièrement à expliquer mes choix (lire ici : me justifier), à débattre sur mes idées et à combattre des préjugés souvent loufoques.

Petite parenthèse ici, mais j’ai l’impression que les gens à qui je parle croient qu’il est impossible de survivre sans manger de produits animaliers. Ça fait environ un an et demi que je suis végane, et je vous l’annonce en primeur : j’ai survécu. Suis-je Wonder Woman?

À mon grand désarroi, la vérité est un peu moins cool. OUI, c’est tout à fait faisable, à condition de changer ses habitudes de manière réfléchie. NON, je ne serai pas obligée de mâchouiller du tofu nature en pleurant pour le reste de mes jours. OUI, j’ai du plaisir à manger. Ma vie n’est pas plate, juré.

Ceci dit, sans le vouloir, on choque. J’ai l’impression que le seul fait d’être végé dérange.

Qu’on le veuille ou non, c’est une façon implicite de remettre en question le mode de vie de bien des gens. Un végane, ça rend souvent inconfortable. Ça confronte les vieilles idées, ça défie la normalité. Pas besoin de porter un carré rouge : la seule présence d’un végé crée des réflexes de défense.

On n’a qu’à penser au branle-bas de combat créé par la publication du nouveau Guide alimentaire canadien, cette année. Le lait perd sa place sur le piédestal sur lequel on l’a mis pendant longtemps, on suggère aux gens de manger moins de viande et de donner une place de choix aux végétaux. Je peux vous dire que les véganes de mon entourage ont applaudi cette nouvelle mouture, plus collée à la réalité des Canadiens et à la science actuelle que le vieux Guide poussiéreux datant de 1997. Pourtant, on aurait pu croire à un scandale sans nom, en écoutant certains.

Une confrontation ambulante, vous dis-je.

Je ne savais pas que je devrais garder à portée de main des statistiques et des faits sans failles pouvant expliquer ce mode de vie, et ce, en tout temps. EN TOUT TEMPS. Noël, Pâques, sorties amicales…

On devient porte-parole d’un mouvement pour notre entourage, sans l’avoir cherché. On doit répondre à toutes les questions en ayant une patience exemplaire, rassurer, hocher la tête d’un air compréhensif et surtout, avoir un discours parfait.

Le hic, c’est que personne n’est parfait. Aucun humain dans l’histoire de l’Homme n’a fait l’unanimité. Même pas Gandhi.

Je suis totalement pour une discussion ouverte et sensée, et je trouve sain qu’on me pose des questions. Ça veut dire qu’il y a un intérêt et que je peux peut-être contribuer à ce que quelqu’un entame une réflexion à ce sujet. C’est tout à fait salutaire.

Sauf que le militantisme, c’est souvent épuisant. Ça tire du jus. Et ce n’est pas vrai que toutes les questions posées sont bienveillantes non plus. Des jokes de bacon, j’en ai entendu plus que ma part et ça me fait encore un petit pincement au cœur. Ça m’arrive parfois de ne pas avoir envie de grimper dans les rideaux, imaginez-vous donc. D’aspirer à une sainte paix. Qu’on me laisse manger mon tofu brouillé tranquille.

Je vous invite donc, chers lecteurs, à faire preuve d’ouverture d’esprit. Au lieu de nous arracher les cheveux de sur la tête à cause de notre vision différente, apprenons à dialoguer paisiblement. À faire des blagues ensemble (Dieu sait que l’humour est un meilleur véhicule que la colère pour communiquer ses idées…). Apprenons à nous comprendre, plutôt qu’à nous haïr. Au fond, on souhaite tous la même chose : la paix.

Et scander des chansons des Cowboys Fringants.

Originaire de Drummondville, Josyane Cloutier a œuvré à titre de journaliste à L’Express en 2017. Elle signait la chronique La Grano du bureau, laquelle était appréciée par notre lectorat. Présentement, Mme Cloutier poursuit des études en géographie de l’environnement à l’Université de Montréal.

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