Deux gars deux chars, deux femmes deux juments

Deux gars deux chars, deux femmes deux juments
La cause a été entendue par le juge Conrad Chapdelaine

Deux causes, en apparence similaires, mais certainement inusités, ont connu un jugement différent à la Cour des petites créances au palais de justice de Drummondville, au courant du mois de juillet.

Dans une première affaire, deux hommes ont convenu en mai 2016 d’échanger leurs véhicules. François (nom fictif), propriétaire d’une Porsche 944 de l’année 1984, propose à Jean, qui possède une BMW 2006, d’échanger leurs véhicules. Mais ce dernier se dira insatisfait de la transaction un mois plus tard et demandera une compensation de 4000 $. Le juge rejettera sa demande.
Après l’échange, le demandeur a dû laisser son véhicule chez un garagiste, puis a quitté le pays pour deux semaines, aux fins de travail. À son retour, le demandeur prend connaissance d’une évaluation de son garagiste au montant de 5 197,69 $ pour corriger les problèmes mécaniques qui affectent le véhicule. Conséquemment, il s’en plaint immédiatement au défendeur, qui refuse de lui verser quelque somme que ce soit.

Le juge a d’abord  souligné que la détermination d’un vice caché obéit généralement à quatre critères essentiels. Il doit être grave, caché, inconnu de l’acheteur et antérieur à la vente. Il a de plus rappelé que le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus. Selon le juge, l’estimation du garagiste est incomplète et ne peut servir d’expertise. En effet, le document n’est pas signé, n’explique pas la cause des problèmes observés et la nécessité de les remplacer.

«Il est inconcevable qu’un acheteur prudent et diligent puisse prendre possession d’un véhicule usagé de 33 ans d’âge, sans s’assurer au préalable de sa condition. En agissant comme il l’a fait, le demandeur n’a pas agi en personne prudente et diligente», écrit le juge. «Le demandeur rétorque qu’on lui avait donné une garantie de 30 jours, mais lorsqu’il fait valoir ses récriminations contre le défendeur, sa période de garantie était expirée», a précisé le magistrat.

Échange de juments

En février 2016, deux femmes ont échangé leur jument respective. Celle de la demanderesse porte le nom de Gee, tandis que celle de la défenderesse donnée en échange répond au nom de Chassagne. Les parties ont estimé et s’attendaient à ce qu’il s’agisse de chevaux de valeur équivalente.

La demanderesse cherche à être indemnisée pour le préjudice qu’ont causé les vices et défauts cachés que constituent l’état de santé douteux de la jument que lui a remise la défenderesse en échange de la sienne, et qui la rendait fragile et diminuait considérablement son utilisation pour un cavalier expérimenté.

Bien que la nouvelle propriétaire se soit rendue compte que Chassagne n’avait pas l’air en santé, elle a accepté la transaction, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’un examen ultérieur d’un vétérinaire démontre des problèmes plus importants que prévus. Chassagne était amaigrie, se fatiguait rapidement à l’exercice et venait en sueur.

Vers la mi-mars, la demanderesse constate que la jument boite de plus en plus et a de la difficulté à se déplacer. Une investigation de ce problème par un vétérinaire et les radiographies effectuées mettent en évidence que le cheval souffre d’un syndrome naviculaire gauche, une maladie dégénérative incurable.  

La défenderesse ayant refusé d’annuler l’échange, la demanderesse a vendu la jument pour un montant de 2 500 $ sous prétexte de mitiger les dommages. En juin 2016, elle met la défenderesse en demeure de lui verser le montant de 5500 $, soit la différence entre ce qu’elle estime être la valeur de Gee, soit 8 000 $ (selon Canadian Warmblood Horse Breeders Association), et le montant de 2 500 $ qu’elle a obtenu pour Chassagne.

Le juge fait remarquer que le médecin vétérinaire qui a posé le diagnostic de syndrome naviculaire a souligné qu’il s’agit d’une condition qui se développe très graduellement chez le cheval de sorte que les constatations du 30 avril 2016 permettent d’affirmer que la condition était présente avant l’échange. La défenderesse soutient qu’elle avait verbalisé à la demanderesse que la jument Chassagne était en mauvais état et qu’elle voulait la retaper avant l’échange.

En droit, rappelle le juge, l’échange est un contrat par lequel les parties se transfèrent respectivement la propriété d’un bien autre qu’une somme d’argent. Bien qu’aux termes de l’article 898.1 du Code civil du Québec, les animaux ne doivent pas être considérés comme des biens, mais des êtres doués de sensibilité, qui ont des impératifs biologiques, les dispositions du Code civil du Québec et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables.

Donc, tout comme dans le cas de biens, le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que l’animal vendu est exempt de vices cachés lors de la vente qui diminue tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné un si haut prix, s’il les avait connus.

Dans la présente instance, il est établi que la demanderesse a eu le comportement d’un acheteur prudent et diligent. Elle a fait soigner l’animal. Elle a aussi consulté pour prendre les mesures pour renforcir l’animal qui semblait maigre et en mauvais état. Les résultats initiaux qu’elle a eus étaient satisfaisants et ne permettaient pas de soupçonner ce qu’on allait découvrir plus tard.

Le Tribunal est donc d’avis que pour rétablir le marché intervenu entre les parties, la défenderesse doit verser à la demanderesse la somme de 5500 $.

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