Émeute mai 2012 : des frissons et de la colère

Émeute mai 2012 : des frissons et de la colère

CENTRE-DU-QUÉBEC. Cinq ans plus tard, Martin Lessard ne peut raconter ses souvenirs de l’émeute du 4 mai à Victoriaville sans frissonner. «Ça m’a heurté en 2012, ça me heurte encore!»

Il incombe au directeur général de la Ville de Victoriaville la responsabilité du centre de coordination des mesures d’urgence lorsque des événements requièrent une intervention concertée.

Il rappelle que la Ville avait appris par les médias, le dimanche précédent, que le Parti libéral allait tenir son conseil général au Victorin le vendredi suivant. Or, depuis des semaines, la grève étudiante battait son plein par d’incessantes manifestations surtout à Montréal. Les étudiants protestaient contre la hausse des frais de scolarité décrétée par le gouvernement Charest.

«Dans ce contexte de mouvance sociale, on s’attendait à ce que le congrès libéral donne lieu à une manifestation. Candidement peut-être, on avait à l’esprit qu’il s’agirait d’une manifestation pacifique et que notre responsabilité était d’assurer qu’elle se déroule dans un environnement le plus sécuritaire possible tant pour les manifestants que pour les représentants politiques réunis au Victorin. (…) Jamais on n’aurait pu anticiper un tel débordement!», commente M. Lessard.

Il se souvient que la Ville avait décidé d’ouvrir le centre de coordination de façon préventive et cela parce que les autorités de la Sûreté du Québec avaient convenu de fermer la route 116 à la circulation après le passage des manifestants venus de l’extérieur.

Le niveau de tension s’élève

La veille de l’émeute, M. Lessard et Alain Rayes, maire de Victoriaville à l’époque, avaient été convoqués à une réunion avec les hauts dirigeants de la Sûreté du Québec. «On nous avait prévenus de la présence préventive de l’escouade antiémeute. De cette rencontre, le maire et moi sommes sortis en se disant que les gens de la SQ savaient des choses que nous on ne savait pas. On décelait leur inquiétude juste à les entendre chercher à nous rassurer. Le niveau de tension s’est alors élevé.»  

Le centre de coordination des mesures d’urgence – installé dans le local habituellement réservé à la Cour municipale – s’est ouvert dans l’après-midi du 4 mai, Martin Lessard s’installant aux commandes, en compagnie, entre autres, de gens comme Luc Marineau (alors directeur du poste de la SQ d’Arthabaska), Martin Leblond de la Sécurité publique de Victoriaville, Michel Lachapelle du service des Travaux publics, de Charles Verville aux communications. Les services de géomatique et les ambulanciers étaient également représentés.

C’est par le truchement d’images captées par CUTV (Concordia University Television) projetées en direct aux écrans de la cellule de crise que Martin Lessard a vu la manifestation virer brusquement à l’émeute.

«On voit les gens rassemblés dans le stationnement du Wal-Mart marcher vers le Victorin. Des ambulanciers sont déjà postés là; on voit quelques gardiens en uniforme. Les policiers sont peu visibles. On nous avait demandé d’ériger un périmètre de sécurité devant le Victorin. On voit des  manifestants toucher à la clôture, des policiers levant la main pour les inviter à respecter le périmètre. En quelques secondes, la clôture tombe. Non, la SQ ne nous avait pas imposé d’installer des dispositifs plus résistants. On voit des policiers en uniforme s’avancer et des manifestants commencer à lancer toutes sortes de projectiles.»

Si la sortie de l’escouade antiémeute, les tirs de roches, de pierres, de balles de billard, de pièces pyrotechniques, les gaz lacrymogènes, les affrontements entre policiers et manifestants ont constitué un moment «saisissant» pour Martin Lessard, ce n’était pas encore le pire.

«Une personne à terre»

«Le poil me dresse juste à raconter que le téléphone a sonné pour nous annoncer qu’il y avait une personne à terre. Ça a été le choc.»

Et le téléphone a sonné à plusieurs reprises pour une même nouvelle aussi dramatique au centre de coordination d’où l’on guidait les ambulanciers vers les blessés. «Les ambulanciers avaient du mal à se rendre, pris à partie par une foule devenue incontrôlable, hostile et violente», déplore M. Lessard. «L’inquiétude m’a gagné, la colère aussi.»

L’émeute n’a pas fait de mort, mais elle a grièvement blessé des jeunes, déplore-t-il. L’un a perdu un œil, une autre a dû se faire reconstruire la mâchoire. Une centaine d’arrestations ont eu lieu.

Des scènes «épouvantables» restent gravées dans la mémoire du DG de la Ville comme ce policier cherchant à secourir un de ses collègues battu à coups de bâton par un manifestant.

Une profonde tristesse

«Ça n’aurait jamais dû arriver», soutient M. Lessard, qui dit éprouver, même après cinq ans, de la tristesse, «une profonde tristesse».

Tout le monde a appris de ces événements, croit-il. Les municipalités, comme Montréal, Québec et Victoriaville, se sont retrouvées, bien malgré elles, au milieu d’une joute entre le gouvernement et la société civile, engagés depuis longtemps dans un «dialogue de sourds». «Parce que la manifestation dépassait le cadre du conflit étudiant. Les canaux de communications étaient rompus.»

M. Lessard poursuit en disant qu’on ne sera jamais à l’abri de l’infiltration de tactiques de violence, mais que de façon générale, avant de suggérer des virages sociaux, les élus doivent favoriser la consultation et la participation citoyennes. «Les gens sont informés et intelligents. Et, grâce aux réseaux sociaux, ils peuvent se mobiliser rapidement.»

L’émeute du 4 mai 2012 a incité la Ville de Victoriaville à renforcer son équipe de communications. M. Lessard rappelle les efforts en ce domaine de l’ex-maire Rayes. «On nous demande d’être transparents et proactifs, de provoquer les occasions de dialogue. Les réseaux sociaux constituent un outil extrêmement puissant.»

Pendant quelques semaines suivant l’émeute, il avait été question d’apporter des changements pour encadrer de façon plus serrée les manifestations. «On comprend qu’ayant subi des pressions énormes, des villes comme Montréal et Québec aient lancé ce débat.»

«Le temps est salutaire, dit encore Martin Lessard. De possibles changements à notre règlement sont encore sur la table de travail. L’objectif serait que notre règlement soit plus facile à gérer et à comprendre.»

Au-delà des sentiments de colère, de tristesse, de crainte qui l’ont habité et l’habitent encore, Martin Lessard estime que la Ville ne pouvait faire davantage. «J’ai la conviction qu’on a fait tout ce qu’on pouvait, qu’on a agi avec sang-froid et professionnalisme», avance-t-il.

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