Loi 70 : une machine à itinérance?

Loi 70 : une machine à itinérance?
Privés d'un revenu minimal

ÉCONOMIE. Loin d’empêcher les premiers demandeurs d’aide sociale de s’enliser dans le système des filets sociaux, la loi 70 adoptée jeudi à l’Assemblée nationale pourrait bien enclencher le cercle vicieux que le gouvernement tente justement d’éviter, en jetant les principaux concernés à la rue.

C’est du moins ce que croient des intervenants du milieu communautaire, à Drummondville. La loi 70 portera de 623 $ à 399 $ le montant versé mensuellement aux prestataires qui seraient aptes à aller travailler. Sans les nommer, les mesures visent surtout les nouveaux et jeunes prestataires.

Réaliste comme moyen de favoriser l’intégration des jeunes au marché de l’emploi? «Pas du tout, répond d’entrée de jeu Danielle Gauthier, la directrice générale d’Habit-Action. D’autant plus qu’en région, le bassin de possibilités et le retour aux études et d’emplois est plus limité. Même les programmes via le Carrefour jeunesse emploi, ce n’est pas réaliste.»

Habit-Action accueille une centaine de jeunes démunis annuellement en plus d’offrir un suivi extérieur à plus de 150 autres jeunes. Depuis un an et demi, l’endroit voit des jeunes encore plus jeunes demander asile entre ses murs. «Des jeunes de 18-20 et donc visés à embarquer dans ces programmes», précise Mme Gauthier.

«On est très, très inquiets. Pour nos jeunes en région, ça va créer une machine à itinérance», lance Mme Gauthier, qui considère qu’avec 399 $ par mois, peu de jeunes pourront se loger, se nourrir, utiliser les transports en commun et même suivre une formation pouvant ultérieurement leur permette d’obtenir un emploi.

Cercle vicieux

Déjà, signale pour sa part Sylvain St-Onge, le directeur de la Corporation de développement communautaire, les gens qui vivent des prestations d’aide sociale sont sous le seuil de la pauvreté.

Il faut rappeler que l’ajustement monétaire imposé par le gouvernement Couillard obligera des jeunes de 18 à 25 ans – les premiers demandeurs – à accepter un emploi ou à s’inscrire à un parcours de retour à l’emploi ou à l’un des programmes de formation proposé par Emploi-Québec. Un refus entrainera une baisse des prestations à 399 $.

Or, il y a des jeunes qui ne peuvent tout simplement pas aller travailler et ce sont eux qui seront pénalisés, explique Mme Gauthier. Parmi les jeunes qu’Habit-Action héberge, plusieurs souffrent de problématiques diverses : santé mentale, analphabétisme, déficience. «Ces jeunes sont à des années lumières du marché du travail», soutient-elle.

Ne devraient-ils pas être exemptés des mesures prévues par la Loi 70? «Oui, mais le temps d’accéder à un diagnostic médical, ils devront vivre avec 399 $ par mois. C’est impensable de trouver une chambre à ce prix», insiste-t-elle.

Une machine à itinérance

Il faut également considérer leur capacité psychologique à intégrer le marché du travail, fait-elle remarquer. «Il y a des jeunes qui ont un parcours de violence, de crime organisé. Ils ne sont pas nécessairement prêts à aller travailler. Si on les force, on va les mettre en échec.»

«Ces jeunes ont besoin de se construire, ou de se reconstruire. Ce serait utopique de penser les forcer. On risque de les perdre. C’est ce que j’entends par machine à itinérance. On va les fragiliser et les coincer dans des portes d’attentes. Ce ne sera aidant ni pour eux ni pour la société», poursuit Mme Gauthier.

À Habit-Action, les jeunes pensionnaires qui travaillent occupent un emploi à temps partiel ou à bas salaire. Dans tous les cas, leur situation est précaire et le marché locatif de Drummondville n’est même pas en mesure de les accueillir, spécifie la directrice de l’Auberge du cœur de Drummondville.

Pervertir la solidarité sociale

Et l’idée de mettre fin aux prestataires d’aide sociale à vie? «On n’est pas contre la vertu. Si les jeunes étaient dirigés vers des programmes intéressants ou des ressources. Mais, le gouvernement ne sera pas capable de répondre à cela; ils ont coupé des programmes», répond Mme Gauthier.

Sylvain St-Onge abonde dans le même sens. Celui-ci constate qu’il n’y a pas une grosse offre d’emploi pour les jeunes qui n’ont pas de formation adéquate. «Ce qu’on nous dit (l’appareil gouvernemental), c’est que l’on va faire l’arrimage entre le jeune et le poste. Mais le réseau public a tellement été coupé que je ne suis pas sûr qu’ils seront en mesure d’offrir un service d’accompagnement.»

Encore faut-il qu’il y ait des postes à pourvoir, stipule le directeur du CDC, en rappelant que l’approche péquiste de 2013, visant le retour à l’emploi des gens de moins de 58 ans, n’avait pas apporté les résultats escomptés.

«Maintenant le contexte est différent; la situation économique est plus difficile, relate M. St-Onge. Je pense qu’une telle mesure avec une volonté d’austérité peut être pénalisant pour le prestataire. Si le but (du gouvernement) est de récupérer de l’argent, ça vient pervertir un système de solidarité sociale.»

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