AGENCE SCIENCE-PRESSE. L’Europe et les États-Unis ont rapporté ces derniers mois des hausses des cas de rougeole. Le Détecteur de rumeurs s’est demandé si des éclosions similaires pourraient survenir au Québec.
Les origines des craintes
En Europe, des alertes ont été lancées par l’OMS en décembre et janvier : elles font état de plus de 30 000 cas recensés en 2023, soit 30 fois plus que l’année précédente. Et bien que la majorité soit dans des pays situés aux limites de la « zone européenne » — dont le Kazakhstan et la Russie —, ce sont tout de même 41 pays qui ont signalé des cas en 2023, dont la Grande-Bretagne, où les chiffres sont en hausse.
De ce côté-ci de l’Atlantique, en janvier, les villes de Philadelphie et d’Atlanta ont aussi rapporté des éclosions de la maladie. Le 25 janvier 2024, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis (CDC) faisaient état de 23 cas au pays, dont 7 où la maladie a été identifiée chez des gens revenant de l’étranger.
Un virus très contagieux
Il faut se rappeler que, parce qu’elle se transmet par des gouttelettes, la rougeole se propage très facilement. Pour évaluer le niveau de contagiosité de ce virus, il faut calculer ce que l’on appelle le nombre de reproduction de base ou R0. Cette valeur représente le nombre de nouveaux cas qui seront générés par chaque personne infectée.
Le R0 dépend de plusieurs facteurs, rappelle la Faculté de santé publique du Royaume-Uni, dont la probabilité que le virus se transmette entre deux personnes qui sont en contact, le nombre de contacts et la durée pendant laquelle la personne est contagieuse.
Le R0 est souvent estimé de façon rétrospective, soulignaient des chercheurs américains en 2019. Dans le cas de la rougeole, une revue de la littérature réalisée en 2017 par des scientifiques ontariens avait évalué que le R0 pouvait varier de 4 à… 203. Cependant, les experts utilisent généralement une valeur estimée dans les années 1980 par des chercheurs américains et britanniques : soit un R0 se situant entre 12 et 18 ; autrement dit, chaque personne infectée par la rougeole peut en infecter 12 à 18 autres.
Dans une population qui serait complètement vulnérable à la rougeole, un seul cas pourrait donc rapidement en générer des centaines. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit à New York en 2018 : quelques cas en provenance de l’Europe et d’Israël se sont retrouvés dans une communauté avec de très faibles taux de vaccination. Au total, entre septembre 2018 et septembre 2019, 649 cas ont été rapportés.
Toutefois, la situation n’est plus la même si une personne infectée se retrouve dans un milieu où plusieurs personnes sont vaccinées.
Dans un tel cas, les scientifiques n’utilisent plus le R0, mais le nombre de reproduction effectif (Re). On le calcule en multipliant le R0 par la proportion de personnes susceptibles.
Si le Re est plus grand que 1, chaque personne infectée transmettra le virus à plus d’une personne et la maladie se propagera, rappelaient les chercheurs ontariens dans leur revue de littérature en 2017. Au contraire, si le Re est inférieur à 1, ce ne sont pas tous les cas qui mèneront à une nouvelle infection et la maladie disparaîtra progressivement.
Sachant tout cela, on peut calculer approximativement le taux de vaccination d’une population qui est nécessaire pour stopper la propagation de la rougeole : entre 92 % et 94 %. Autrement dit, si la couverture vaccinale diminue sous ce seuil, le virus se propagera. Il faut aussi tenir compte du fait que le vaccin de la rougeole a une efficacité de 97 % après deux doses.
Il semble qu’au Québec, on soit en dessous du seuil de sûreté. Selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux, la couverture vaccinale contre la rougeole chez les enfants du primaire était de 88 % en 2021-2022. Cela signifie que le Re actuel de la rougeole au Québec se situe théoriquement entre 1,44 et 2,16. Le virus pourrait alors se propager si un cas de rougeole nous arrivait de l’étranger.
Qui plus est, la situation pourrait être plus préoccupante dans certaines régions du Québec. Selon un article du journaliste Aaron Derfel publié le 9 février dans le quotidien montréalais The Gazette, la couverture vaccinale dans certaines écoles montréalaises n’est que de 75 %. En tenant compte de l’efficacité du vaccin, cela signifie que 27 % des enfants n’ont aucune protection contre la maladie. Le Re dans ces écoles se situe donc entre 3 et 5. Un seul cas pourrait ainsi en causer jusqu’à 5 autres.
La ville de Londres, au Royaume-Uni, a d’ailleurs une couverture vaccinale similaire, c’est-à-dire de 74 %. Avec une population de 9 millions d’habitants,
certains experts estiment qu’une épidémie pourrait provoquer 40 000 à 160 000 cas, rapporte le chercheur britannique Adam Kleczkowsky. La probabilité que cela se produise est toutefois faible pour le moment, nuançait le scientifique en juillet dernier.
Verdict
Il est peu probable que l’on assiste à une éclosion de l’ampleur de celle qui frappe certains pays. Toutefois, le taux de vaccination contre la rougeole dans les écoles primaires du Québec n’est pas suffisamment élevé pour prévenir complètement une éclosion, si un voyageur était infecté par le virus à l’étranger.