Plus de temps d’écran, moins d’habiletés langagières chez les petits

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Par Claude-Hélène Desrosiers
Plus de temps d’écran, moins d’habiletés langagières chez les petits
Photo : Archives, Ghyslain Bergeron

ÉCRANS. Pas moins de 520 enfants ont consulté une orthophoniste l’an dernier à Drummondville. On prévoit une augmentation de 32 % des demandes encore cette année. Les petits sont plus nombreux à avoir un retard au niveau du langage. Une des causes serait une trop grande exposition aux écrans.

La télé le soir, le cellulaire dans la salle d’attente, la tablette à l’école au restaurant. Cela commence dès la petite enfance, avec en moyenne 9 heures de temps d’écran par semaine… chez les bambins de 2 ans et demi. Seulement 15 % des jeunes de 2 à 5 ans respecteraient les recommandations de s’en tenir à moins d’une heure par jour.

À Drummondville, la moitié des demandes de suivi en déficience physique chez les enfants concernent l’orthophonie. Dans les dernières années, on a pu constater une augmentation considérable des consultations.

La plupart des parents savent qu’il est préférable que leur enfant ne passe pas trop de temps sur la tablette ou devant la télé. Cependant, peu d’entre eux connaissent les impacts qu’ont ces écrans sur les jeunes. Les retards d’acquisition de langage sont un exemple d’effet néfaste observé.

Sandrine Picard et Julie Dumoulin, orthophonistes, et Annie Meunier, chef de services à Drummondville pour les programmes jeunesse en déficience intellectuelle, physique et trouble du spectre de l’autisme. (Photo : Claude-Hélène Desrosiers)

Julie Dumoulin et Sandrine Picard, toutes deux orthophonistes à Drummondville, ont vu des changements considérables parmi leur clientèle, majoritairement âgée de 0 à 7 ans. «De plus en plus, quand on va chercher l’enfant dans la salle d’attente, il patiente avec le cellulaire du parent, alors qu’avant ça, ils regardaient des livres ou utilisaient nos jeux», explique Julie Dumoulin. «C’est important d’avoir un équilibre. Il ne faut pas que la tablette soit le gardien ou l’éducateur de l’enfant». Par exemple, en allant à l’épicerie, l’orthophoniste suggère d’en profiter pour nommer les choses, au lieu d’occuper l’enfant avec une tablette. Sa collègue Sandrine Picard abonde dans le même sens. «Les mots qu’il va acquérir de cette façon, il va mieux les retenir. S’il apprend le mot “pomme”, il va savoir le mot, mais que c’est un fruit, que ça peut être rouge, que ça peut être jaune… C’est beaucoup plus riche quand c’est dans son contexte», dit-elle. Elle précise aussi qu’en bas de 2 ans, l’enfant n’a pas de bénéfices à regarder un écran, même quand le contenu est éducatif.

D’autres risques

Julie Dumoulin constate aussi des problèmes au niveau des interactions sociales. «Les enfants sont plus exposés aux écrans et donc, ils ont moins de relations avec de vraies personnes», avance-t-elle.

L’attention est un autre défi important. «De façon générale, on a beaucoup plus de jeunes avec des difficultés attentionnelles qu’avant. C’est sûr que dans les dernières années, avec la pandémie, ça n’a pas aidé. On n’avait pas le choix de l’utiliser davantage, mais là, je pense qu’on a les impacts. Quand ce sont des enfants qui sont habitués de voir beaucoup de contenu très rapide, coloré, vif, et qu’ils se retrouvent dans notre bureau à jouer à des jeux de société… C’est moins intéressant», enchaîne Sandrine Picard.

Dre Amélie Pellerin-Leblanc, pédiatre. (Photo : Gracieuseté)

Dre Amélie Pellerin-Leblanc, pédiatre, va dans le même sens. «On a de plus en plus de consultations pour des enfants ayant un TDAH ou un trouble de l’opposition. On dirait que cette impulsivité et le manque d’attention sont palpables dans la population. Être devant un écran, c’est très stimulant. Il y a beaucoup de bruit, parfois il y a plusieurs fenêtres d’ouvertes. C’est comme si ça devient la réalité de l’enfant, d’être toujours dans cet état d’hyperstimulation et d’hypervigilance. Quand on le sort de là et qu’on lui demande d’aller à l’école, devant un tableau, et que c’est lent… Il n’est pas bien, parce qu’il est toujours habitué à être stimulé. L’ennui est perçu comme quelque chose de très négatif par le jeune, alors qu’il nous aide à développer la pensée créative, qui est importante pour le développement global de l’enfant», dit-elle.

Elle remarque aussi dans son bureau les interactions pas toujours évidentes entre parents et enfants. Lorsqu’elle parle avec les parents et que les enfants les sollicitent en même temps, c’est souvent là que les écrans vont être utilisés pour, en quelque sorte, acheter la paix. «Sur le court terme, il peut y avoir un effet bénéfique parce que le parent peut se concentrer sur la discussion. Mais pour l’enfant, ça ne lui montre pas des techniques d’autorégulation», explique-t-elle.

«Quand on va le matin au resto, c’est rare qu’on voie un enfant qui dessine, souvent ce qu’on remarque c’est un enfant sur la tablette, toute l’heure du déjeuner, renchérit l’orthophoniste Julie Dumoulin. C’est sûr que c’est agréable d’avoir un temps sans que les enfants soient excités, mais en même temps, un enfant, ça a besoin de soins, qu’on s’intéresse à lui et qu’on interagisse avec lui.»

Une utilisation positive

La recherche a démontré deux situations où l’utilisation des écrans est positive. Chez les enfants d’âge scolaire, la vidéo de bavardage interactif, par exemple Facetime avec les grands-parents, en est une. «Il existe aussi des applications pour raconter des histoires de façon interactive. Par contre, pour que ça ait un impact positif, il faut toujours que ça soit accompagné d’un parent, et non pas que le jeune soit laissé seul et qu’il regarde ça de manière passive», précise la Dre Pellerin-Leblanc.

Du côté des adolescents, tout n’est pas négatif non plus. «Chez les adolescents isolés ou socialement anxieux, la recherche démontre que la communication en ligne peut les encourager à se révéler auprès de leurs camarades et à accroître leur confiance. Pour un adolescent qui a du mal à s’exprimer en vrai, de pouvoir le faire sur les réseaux sociaux peut quand même contribuer à son sentiment d’identité. Ça peut être une première exposition filtrée pour l’adolescent anxieux», ajoute-t-elle.


Les bonnes pratiques
  • Avant l’âge de 2 ans : ne pas exposer les enfants aux écrans
  • Entre 2 et 5 ans : 1 heure par jour d’écrans
  • 5 ans et plus : 2 heures par jour
  • Éviter les écrans 1 h avant le coucher : la lumière des écrans vient inhiber la mélatonine que les enfants produisent naturellement.
  • Limiter l’exposition au contenu publicitaire, mais surtout au contenu violent. Les enfants n’ont pas encore la capacité de différencier la réalité de ce qui se passe à l’écran.
  • Il n’y a aucun écran qui peut remplacer l’interaction en vrai. Julie Dumoulin propose de profiter du temps d’écran pour accompagner son enfant. «Ce n’est pas mauvais d’avoir un peu de temps de tablette durant la journée, mais ce qu’on dit, c’est de passer du temps avec son enfant devant l’écran».

Nombre d’enfants 0-7 ans ayant obtenu des services en orthophonie à Drummondville

 

Orthophonie seulement Services toutes disciplines confondues
2020-2021: 382 796
2021-2022: 365 646
2022-2023: 520 1029

 

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