Un grillon à la fois

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Par Louis-Philippe Samson
Un grillon à la fois
Thomas Bensa entretient de grandes ambitions pour ses grillons. (Photo : Ghyslain Bergeron)

ENTREPRISES. À Saint-Edmond-de-Grantham, se trouve bien cachée une jeune entreprise qui ne souhaite rien de moins que de changer le monde. Lancée en 2020 par Thomas Bensa, CricketNutris utilise les qualités des grillons afin de rendre l’agriculture plus durable.

Thomas Bensa est arrivé au Québec en 2010, depuis Bordeaux en France, afin d’entreprendre des études à l’université. Après avoir complété un baccalauréat en administration aux HEC Montréal, il a virevolté dans le milieu des finances pendant quelques années avant de décrocher un emploi chez CGI. À la poursuite d’un nouveau défi, il a voulu lancer sa propre entreprise à vocation écologique.

Au fil de ses recherches, il a arrêté son choix sur l’élevage de grillons et a fondé CricketNutris. Ainsi, il extrait des insectes deux produits, soit de la farine protéinée pour l’alimentation d’animaux d’élevage et le «frass», un fertilisant issu de la mue et du fumier des grillons.

«Je ne veux pas que les gens mangent des insectes. J’y ai gouté et c’est dégueulasse, lance M. Bensa. J’aime le steak et j’aimerais que mes petits-enfants puissent aussi en manger. Mais ça ne sera pas possible si huit milliards d’êtres humains consomment de la viande tous les jours. Si, au moins, on peut donner des grillons déshydratés à manger aux porcs ou aux poules à la place de soja, pour lequel on a rasé des forêts, on est dans une meilleure position.»

Le propriétaire et président estime que la planète envoie des signaux aux humains comme quoi ils doivent changer leurs façons de faire. «Il faut assainir l’alimentation des animaux et en réduire l’impact. On constate les effets de la déforestation avec les feux de forêt qui éclatent partout. C’est un signal d’alarme. On ne peut pas rester les bras croisés», se dit-il d’avis.

Le «frass», qui servira ensuite de fertilisant, se retrouve en grande quantité au fond des vivariums. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Pour atteindre cette agriculture durable, Thomas Bensa croit que l’engrais des grillons est une solution que les producteurs maraîchers peuvent utiliser afin d’améliorer la performance de leurs cultures. La mue des grillons est surtout composée de chitine, qui est un excellent biostimulant, selon l’entrepreneur.

«J’ai fait analyser mon “frass” par un agronome qui m’a confirmé ses qualités. Je l’ai ensuite testé auprès de maraîchers et ils l’ont adoré. J’ai donc commencé à le commercialiser. Je suis allé au Salon de l’agriculture de Saint-Hyacinthe en 2022 et, grâce à ça, je suis passé de cinq à trente distributeurs au Québec», raconte M. Bensa.

Pour assurer la production, CricketNutris a réussi à optimiser le cycle de vie des grillons. Leur croissance est passée de huit mois dans la nature à seulement 28 jours dans leurs installations. Pour y arriver, les insectes sont élevés dans des vivariums installés dans des pièces où la température est conservée aux environs de 35 degrés Celsius.

Réutilisation

Puis, dans un souci de récupérer le plus d’équipements possible, ces vivariums ont été fabriqués à l’aide de grands conteneurs de plastique coupés en deux. Dans chacun de ces espaces, elles sont des milliers de bestioles à y naître, grandir et se reproduire. L’entreprise est en mesure de produire jusqu’à un million de grillons par semaine.

Des dizaines de vivariums comme ceux-ci se retrouvent dans les locaux de CricketNutris. (Photo : Ghyslain Bergeron)

«L’avantage des insectes est que l’on peut les empiler et maximiser l’espace. Aussi, les insectes consomment beaucoup moins d’eau et de nourriture, mais donnent plus de produits que d’autres types d’élevages», fait-il savoir.

Leur nourriture est quant à elle composée de retailles et d’épluchures de patates broyées ainsi que d’une part de moulée de céréales. L’entreprise se procure ces patates auprès d’un producteur de la région qui en vendait déjà à des producteurs porcins favorisant du même coup le principe d’économie circulaire.

À l’heure actuelle, CricketNutris mise principalement sur son fertilisant. L’entreprise vend de 20 % à 30 % de ses grillons à des grossistes ou encore à des transformateurs qui en font de la farine. Ce sont donc 70 % des bestioles qui sont conservés pour la reproduction. L’objectif est d’éventuellement faire la transformation de la farine sur place et d’optimiser la proportion de grillons reproducteurs à 10 %.

D’abord au Québec

Établi dans la région depuis de nombreuses années, M. Bensa souhaite d’abord aider le Québec à développer une agriculture durable. L’entrepreneur n’entretient pas de désir de s’exporter à l’international pour l’instant.

«Personnellement, c’est le Québec qui m’intéresse parce que c’est ici que je suis. Il s’agit, avant tout, d’œuvrer pour l’essor de l’agriculture durable ici. Je considère que je fais une plus grande part qu’en vendant des logiciels comme je le faisais auparavant», mentionne-t-il.

CricketNutris peut produire jusqu’à un million de grillons chaque semaine. (Photo : Ghyslain Bergeron)

D’ailleurs, plusieurs projets sont dans la mire de l’entrepreneur de 34 ans. Il souhaite distribuer à plus grande échelle son fertilisant Nutrifrass. Ainsi, il annonce qu’il en commencera la distribution en Ontario avant la fin de l’année 2023. Actuellement, ses produits sont disponibles chez des détaillants de produits de jardinage que CricketNutris répertorie sur son site web.

Mais afin de répondre à une plus forte demande, M. Bensa estime qu’il lui faudra plus d’espace pour faire la transformation de ses grillons. Actuellement, CricketNutris dispose d’environ 2000 pieds carrés (185 mètres carrés). À court terme, il est prévu d’ajouter des espaces temporaires sur le terrain que l’entreprise loue à un cultivateur. À plus long terme, il n’est pas exclu de s’implanter dans un bâtiment dédié aux activités. Pour l’entrepreneur, il est hors de question de quitter un milieu rural ou une zone agricole.

«En ce moment, je considère que nous sommes plus un laboratoire qu’un outil de production à grande échelle. Notre évolution naturelle est de poursuivre l’analyse des meilleurs facteurs pour avoir la meilleure croissance et le meilleur “frass”. Avec ces données, nous aurons plus d’arguments lorsque viendra le temps de demander des appuis financiers pour construire une usine. L’idée est de rester une entreprise locale. J’aimerais demeurer à Saint-Edmond ou dans l’une des municipalités voisines», précise Thomas Bensa.

D’ici là, CricketNutris tentera d’accélérer sa capacité de transformation des grillons au courant de 2024. Pour ce faire, une cuisine de transformation comprenant des fours de déshydratation doit être aménagée prochainement.

 

Jusque dans l’espace

CricketNutris a été approchée il y a quelques mois par une équipe d’étudiants en biologie de l’Université McGill. Prenant part au Défi de l’alimentation dans l’espace lointain, ces étudiants veulent utiliser le potentiel qu’offrent les grillons comme source de nourriture lors des longs voyages spatiaux.

Ainsi, l’entreprise a fourni des insectes à l’équipe qui a développé une méthode d’élevage qui pourrait résister aux rigueurs de l’espace. Leur prototype a été choisi par la NASA et l’Agence spatiale canadienne (ASC) afin qu’une version à échelle réelle soit fabriquée d’ici au printemps 2024. L’objectif des étudiants est de fournir aux astronautes une farine protéinée qui sera renouvelable grâce à l’élevage constant de grillons.

«Les étudiants construisent des vivariums qui pourront être installés dans des stations spatiales. Nous leur avons fourni des grillons et des œufs. Nos recherches les aident aussi à optimiser leurs procédés. C’est assez fou de savoir qu’un jour, des grillons de Saint-Edmond-de-Grantham pourraient être dans la Station spatiale internationale», expose Thomas Bensa.

Par ailleurs, le «frass» pourra lui aussi être utilisé comme engrais de petites cultures par les astronautes.

 

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