Réorganisation des horaires : les chirurgiens généraux craignent le pire

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Par Cynthia Martel
Réorganisation des horaires : les chirurgiens généraux craignent le pire
Les chirurgiennes générales Dre Joyaube Chapdelaine et Dre Marie-Pier Godbout. (Photo : Gracieuseté)

SANTÉ. «L’hôpital était déjà fragilisé et là, on est en train de perdre tout ce qu’on a bâti. Les services se font ébranler par une décision prise sans mesurer les tenants et aboutissants.»

C’est en ces termes que la chef adjointe du service de chirurgie générale de l’hôpital Sainte-Croix, la Dre Joyaube Chapdelaine, s’exprime pour décrire les dommages que causera à long terme la réorganisation du travail des infirmières à Drummondville.

Un mois s’est écoulé depuis l’entrée en vigueur de cette décision du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. Si la mesure de travailler un week-end sur trois ne s’applique pas encore au personnel du service et que les scénarios de fusion ne sont pas déployés, la Dre Chapdelaine anticipe déjà les impacts. Aux côtés de sa collègue, la Dre Marie-Pier Godbout, chirurgienne générale, elle décrie cette décision.

«Les gens ne réalisent pas que perdre une infirmière dans son département, c’est perdre une clinique. Par exemple, actuellement en oncologie du sein, sur la petite équipe en place, nous comptons une infirmière retraitée qui travaille par bonne volonté, car il manque de bras. En clinique externe, on fonctionne à 55 % des ressources incluant les retraités. Cet été, avec les vacances, on va tomber à 45 %. On nous prévient déjà que nous allons faire des cliniques sans infirmière. C’est stressant pour nous, mais surtout pour les patients, car ça veut dire moins de services», énumère la chirurgienne générale.

Les départements étant déjà fragilisés en raison du manque de personnel, la perte d’infirmières spécialisées exacerbera la précarité des services.

«Pour donner une idée de grandeur, à la clinique du sein, la première infirmière que j’ai formée m’a suivie pendant deux ou trois mois. J’en ai ensuite formé une deuxième, puis elles ont fait l’enseignement à la troisième. C’est du temps autant pour moi que pour elles. Si elles doivent faire un week-end sur trois, bien elles seront moins souvent à la clinique, donc inévitablement, elles perdront la main. Et cette expertise nursing qu’on a bâtie, on devra la réacquérir, repartir de zéro avec les nouvelles qui seront réaffectées», déplore la Dre Godbout qui a développé la clinique du sein.

«On travaille de plus en plus en multidisciplinarité, on a donc besoin d’infirmières avec des expertises. Quand on travaille toujours avec le même personnel, en tant que médecin, on peut déléguer certaines tâches, travailler en synergie. C’est important d’avoir une structure solide. Plus on travaille longtemps ensemble, plus on devient efficace. Il ne faut pas voir l’infirmière comme quelqu’un qui vient remplir un chiffre de 8 à 4», soutient la Dre Chapdelaine.

Cette dernière se désole de savoir que des services performants et servant d’exemple ailleurs au Québec, tels que l’endoscopie, la clinique du sein et la chirurgie bariatrique, seront chamboulés.

«Le service d’endoscopie, on l’a monté de rien il y a plusieurs années. Maintenant, on est performant, nos listes d’attente sont d’une efficacité incroyable. On a les plus belles statistiques au Québec. Les infirmières qui y travaillent ont été formées pour ça. Leur savoir-faire n’est pas facilement transmissible quand on pense qu’elles doivent surveiller des patients qui ont reçu des narcotiques ou une sédation, notamment. Que va-t-il arriver lorsqu’elles seront de garde sur une unité quelconque? Il va y avoir des bris de service, des journées où il ne pourra pas se faire certains examens pour diagnostiquer des cancers ou d’autres problèmes. On ne peut pas remplacer une infirmière au pied levé!» clame-t-elle, faisant savoir que deux ans de formation sur le terrain sont requis en endoscopie.

La chef adjointe se réjouit néanmoins du fait que le CIUSSS MCQ n’ait pas appliqué la mesure aux infirmières du bloc opératoire.

«Ça fermait carrément une salle sur cinq par jour (…) C’est étonnant que l’administration ait pensé à ça, car ce personnel fait déjà de la garde. Le chef Jean-Martin Turgeon a défendu les intérêts des équipes du bloc et ç’a fonctionné. C’est positif. Ce n’est pas partout la catastrophe! On a réussi à contrôler les dommages collatéraux de belle façon.»

Les deux chirurgiennes sont conscientes des problèmes vécus un peu partout dans les secteurs 24/7 et sont d’avis qu’il faut agir maintenant, mais elles estiment que les mesures prises par le CIUSSS ne sont pas la solution ultime.

«On n’a pas l’impression que c’est en brisant les unités qui fonctionnent bien qu’on va aller aider à réparer celles qui fonctionnent mal. C’est comme si on avait pressé le citron au maximum et qu’on ne voyait aucune autre solution. Pourtant, il y en a plein de proposées et d’appliquées sur le terrain. À titre d’exemple, en gynécologie-obstétrique, les infirmières font des chiffres de 12 heures depuis cinq ans. Ç’a réglé tous leurs problèmes de temps supplémentaire obligatoire», indique la Dre Joyaube Chapdelaine.

Les deux chirurgiennes souhaitent plus d’écoute et de considération de la part du CIUSSS MCQ, en respect du personnel qui tient les services «à bout de bras».

«Comme médecin, on n’a aucun impact, renchérit la Dre Marie-Pier Godbout. Et on reçoit les informations au compte-gouttes. On ne sait même pas quand les nouveaux horaires seront en vigueur.»

«On entend souvent la phrase «Faites partie de la solution», mais quand vient le temps de faire des propositions, la réponse est souvent non. Depuis la fusion, on a perdu cette agilité décisionnelle et ça crée un désengagement», conclut avec désolation la Dre Chapdelaine.

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