Regard sur le travail des femmes à Drummondville

Geneviève Béliveau
Regard sur le travail des femmes à Drummondville
Travail féminin à l'usine Canadian H.W. Gossard, Drummondville, vers 1920. (Photo Société d’histoire de Drummond, Fonds Abbé Jean-Noël Laplante ; P78, S2, D4, P1)

SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE DRUMMOND. Durant la première moitié du XXe  siècle, le rôle des femmes dans la société occidentale se limite, officiellement, à être mère de famille et rester à la maison.

Sans surprise, Drummondville ne fait pas exception à cette généralité et il est facile de le constater en consultant le principal journal de la région, La Parole. À titre d’exemples, en 1927, on s’attend à ce que les femmes soient au foyer «où elles se rendent aussi utiles à leur patrie que les hommes», puis, en 1930, la vraie femme est décrite comme «l’éternelle rêveuse du foyer et du nid», et en août 1931, on rappelle que «comme mère ou comme épouse, c’est la femme qui est l’élément central de la famille».

En marge de cet idéal féminin, le travail salarié des femmes est un enjeu qui est souvent abordé au Québec et à Drummondville au cours de la même décennie. En 1933 et en 1934, La Parole rapporte d’ailleurs que certains voient le travail féminin comme «essentiel à la vie économique», alors que d’autres s’y opposent en indiquant que les femmes «rendraient un grand service à la société en restant chez elles pour laisser la place aux chômeurs».

Au-delà de cet apparent désaccord de l’époque, le travail féminin semble de plus en plus courant à Drummondville durant sa forte période d’industrialisation, soit entre 1920 et 1950. En 1941, les femmes représentent même 31% de la population active de Drummondville. Ces travailleuses sont réparties dans quatre principaux secteurs d’activités, soient les manufactures (40%), les services (34%), les postes de bureau (13%) et les commerces (7%). La main-d’œuvre du secteur des services est même majoritairement féminine avec 484 travailleuses sur un total de 783 personnes.

Travail féminin à l’usine Sylvania Electric, Drummondville, 1959. (Société d’histoire de Drummond, Fonds Photographe Pierre Dozois ; P184-025333)

La participation des femmes au marché du travail de Drummondville est plus marquée qu’ailleurs en province, car l’industrie du textile, principal secteur d’activité de la ville, est un milieu qui apprécie fort bien la main-d’œuvre féminine. En effet, le doigté délicat des femmes est adapté au travail de la soie et des tissus, et surtout, elles touchent des salaires de 11% à 46% moins élevés que les hommes comme le confirment les statistiques de rémunération de Drummondville en 1936.

Bien que certaines mères doivent travailler pour aider à couvrir les dépenses du ménage, le travail féminin est généralement l’affaire des jeunes filles et des célibataires. Ces femmes ont un horaire de travail assez chargé, cumulant environ 45 heures par semaine, et ce plus de 40 semaines par année. En mars 1942, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada suggère l’institution d’une commission provinciale d’enquête sur le travail féminin, principalement dans les industries manufacturières «où les jeunes filles s’épuisent, dans bon nombre de cas, à cause de l’application de systèmes parfois inhumains de rationalisation industrielle ou à cause du travail de nuit».

Localement, les préoccupations entourant la question du travail féminin prennent une plus grande ampleur en juin 1942 avec l’article «Le travail féminin de nuit à la Canadian Celanese». On y apprend qu’à la suite d’une rencontre avec un officiel de la compagnie, le conseil municipal souhaite transmettre une lettre au ministère provincial du Travail afin de donner son appui au travail féminin de nuit à la Canadian Celanese. Selon cette missive, la main-d’œuvre féminine est nécessaire en temps de guerre et, contrairement aux idées préconçues, les ouvrières se déclarent plutôt satisfaites de la situation actuelle.

Travail féminin à l’usine Canadian Celanese, Drummondville, 1960.
(Société d’histoire de Drummond, Fonds Canadian Celanese Limited de Drummondville ; P90-8.1b23)

Loin d’être clos, ce dossier rebondit à nouveau en avril 1943, alors que le conseil de ville reçoit une vingtaine de pétitions s’opposant au travail de nuit dans les manufactures. En réponse aux citoyens, la ville fait une mise au point en mai et se prononce officiellement contre le principe du travail féminin de nuit, mais estime qu’il revient aux gouvernements de légiférer sur la matière. Deux semaines plus tard, le journal reçoit le résumé des requêtes énoncées dans les pétitions transmises à la ville. On y demande entre autres la fin du travail féminin de nuit, l’abolition du travail des mères en usine et que le travail des femmes se limite à 8 heures par jour et 40 heures par semaine.

Après toutes ces discussions entourant le bien-fondé du travail féminin, celui-ci peut difficilement être remis en question aujourd’hui. En ce mois de mars 2023, il m’apparaît ainsi essentiel de féliciter et remercier toutes les pionnières qui ont participé au fil des décennies à ouvrir le marché du travail aux femmes des plus jeunes générations.

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