Une exposition pour honorer la mémoire de sa sœur assassinée

Photo de Emmanuelle LeBlond
Par Emmanuelle LeBlond
Une exposition pour honorer la mémoire de sa sœur assassinée
Raymond Lutz a mis sur pied l’exposition Dernières traces d’elle au Cégep de Drummondville. (Photo : Ghyslain Bergeron)

CULTURE. 2 décembre 2002. Une partie du monde de Raymond Lutz s’écroule, alors que sa sœur Isabelle est victime d’un homicide conjugal. Cette passionnée des arts visuels laisse derrière elle un grand nombre de dessins et de peintures. Vingt ans plus tard, le Drummondvillois lui rend un ultime hommage, en exposant ses œuvres pour la première fois.

L’art a toujours fait partie de la vie d’Isabelle Lutz. Dès sa tendre enfance, elle griffonnait sur des bouts de papier, en utilisant des couleurs de toutes sortes. Son frère, Raymond, a toujours été un fervent admirateur des réalisations artistiques de l’aînée de la famille. Il la trouvait talentueuse et il croyait en son potentiel.

Isabelle Lutz a peint plusieurs aquarelles sur le thème de la nature. (Photo: Ghyslain Bergeron)

À l’âge adulte, Isabelle Lutz a vécu quelques années en Colombie-Britannique. À son retour, elle a montré à son frère les œuvres qu’elle a peintes pendant son séjour. Il a été charmé par ses créations. «Elle n’osait pas se monnayer en tant qu’artiste. Pour ma part, je trouvais ses aquarelles merveilleuses. Je me suis dit qu’il fallait les vendre. J’en ai amenées sur mon lieu de travail, au Cégep de Drummondville, pour les montrer à mes confrères et consœurs. Tout le monde était content. Je ne me souviens pas pourquoi, mais ça n’a pas abouti. Elle est décédée quelque temps après», souffle-t-il.

Le drame s’est déroulé le 2 décembre 2002. Isabelle Lutz a été atteinte de projectiles d’armes à feu devant un édifice à logements de la rue Jogues à Drummondville. Elle avait 41 ans à l’époque. L’auteur du meurtre était son ex-conjoint. Il n’acceptait pas la rupture récente du couple.

Raymond Lutz garde un souvenir lumineux de sa sœur. «Je la trouvais rayonnante la dernière fois que je l’ai vu, se remémore-t-il, avec émotion. Quand j’ai vidé son appartement après le décès, j’ai découvert une toile tendue sur laquelle elle faisait des essais de couleur d’acrylique. J’étais content. Je comprenais par là qu’elle avait assumé sa vocation d’artiste. Après avoir erré de travail en travail, elle avait décidé de se consacrer à 100 % à l’art.»

En fouillant dans ses cartons, l’homme a trouvé une panoplie d’œuvres. Entre autres, Isabelle Lutz s’était inscrite à un cours de dessin en 1993. Plusieurs grands formats ont vu le jour à la suite de cette expérience, dont quelques autoportraits.

Dessins, esquisses, toiles : Raymond Lutz a décidé de tout conserver. Peu de temps après, il a accueilli une nouvelle personne dans sa vie, sa fille Ariane.

Grâce à l’exposition, Ariane Lutz en apprend davantage sur sa tante. (Photo: Ghyslain Bergeron)

Un dernier hommage

Vingt ans se sont écoulés depuis le drame. Raymond Lutz ressentait le besoin de rendre un dernier hommage à sa sœur. C’est pourquoi il a mis sur pied l’exposition Dernières traces d’elle au Cégep de Drummondville. «Isabelle a étudié brièvement ici lors d’un retour aux études à 39 ans. Malgré les années, il y a encore au cégep des personnes qui ont un lien avec elle : moi qui enseigne la physique, ma fille Ariane qui est finissante en arts visuels et Simone qui l’a conseillée aux adultes. Bientôt, ces gens ne seront plus au cégep et le souvenir de ma sœur s’estompera. J’ai décidé de passer à l’action», explique-t-il.

Les œuvres d’Isabelle Lutz sont accrochées dans les espaces des départements d’Arts visuels et d’Arts, lettres et communications. Par son initiative, Raymond Lutz souhaite sensibiliser la population à la problématique de la violence conjugale et briser l’anonymat des statistiques. L’exposition s’inscrit dans le cadre de la campagne annuelle des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes.

Un finissage aura lieu à l’extérieur de l’Espace-galerie du Cégep de Drummondville le 9 décembre à compter de 17 h. Les œuvres sont vendues au profit de La Rose des Vents, maison d’accueil et d’hébergement pour les femmes et les enfants victimes de violence conjugale.

La codirectrice générale de La Rose des Vents, Stéphanie Gauthier, a été touchée par l’histoire de Raymond Lutz. «Elle nous témoigne qu’encore 20 ans plus tard, les proches de la victime sont encore eux-mêmes victimes des dommages de la violence conjugale. C’est pour lui, pour elle et pour toutes les femmes et enfants victimes de violence conjugale que La Rose des Vents continue d’offrir ses services. On ne le dira jamais assez : il faut que cesse. Des ressources existent, tant pour elles que pour lui.»

Plusieurs grands formats sont exposés, dont des autoportraits. (Photo: Ghyslain Bergeron)

D’après l’Institut national de santé publique du Québec, la majorité des homicides conjugaux sont commis par des hommes. Au cours des 30 dernières années au Canada, le taux d’homicides conjugaux comprenant une victime féminine est demeuré environ de trois à quatre fois plus élevé que le taux d’homicide conjugal comprenant une victime masculine.

En cas de besoin, il est possible de rejoindre La Rose des Vents au 819 472-5444.

Violence conjugale et séparation

La rupture amoureuse est un des facteurs de risque important de comportements violents au sein du couple. «La violence est considérée très à risque de s’amplifier jusqu’à l’homicide par le conjoint puisque c’est face à ce moment qu’il perdra du pouvoir sur elle», indique la codirectrice générale de La Rose des Vents, Stéphanie Gauthier.

Lorsque la femme annonce la rupture, il s’agit d’un choc pour l’homme. Ce dernier traverse une série d’émotions (colère, incompréhension, inquiétudes, etc.) et de deuils (présence des enfants, pertes financières, etc.). «Les hommes sont encore peu enclins à demander de l’aide et à partager leur vécu pour avoir du soutien. Ils se retrouvent donc trop souvent seuls et surchargés, à ruminer ce qu’ils vivent sans regard extérieur pour les aider à prendre le recul nécessaire… jusqu’à l’irréparable», mentionne Stéphanie Gauthier.

Partager cet article