«Il n’y a personne qui dort au gaz localement» – Dre Joyaube Chapdelaine, chirurgienne générale et chef adjointe du Service de chirurgie générale

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Par Cynthia Martel
«Il n’y a personne qui dort au gaz localement» – Dre Joyaube Chapdelaine, chirurgienne générale et chef adjointe du Service de chirurgie générale
Dre Joyaube Chapdelaine, chirurgienne générale et chef adjointe du Service de chirurgie générale au CIUSSS MCQ. (Photo : Gracieuseté)

COVID-19. L’engagement de plusieurs retraités puis la proactivité, le dévouement et la créativité des médecins de Drummondville ont grandement profité à la population depuis le délestage de certains services à l’hôpital Sainte-Croix. Selon des chirurgiens, la région «s’en sort relativement bien» malgré la situation encore fragile et des divergences d’opinion et de vision avec l’administration du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

«Il n’y a personne qui dort au gaz localement, on est tous proactifs!» lance non sans fierté Joyaube Chapdelaine, chirurgienne générale et chef adjointe du Service de chirurgie générale au CIUSSS MCQ.

«En étant proactif, on a réussi à rattraper beaucoup de retard et à bien gérer, je pense, nos priorités pour faire le plus de patients possibles et diminuer les listes d’attente. C’est d’ailleurs mon cas. Il n’y a pas beaucoup de chirurgiens qui sont parvenus à le faire au Québec», affirme Jean-Martin Turgeon, orthopédiste et chef local du département de chirurgie.

En moyenne, 67 % des activités chirurgicales ont été maintenues au cours des derniers mois à Sainte-Croix. Cette donnée serait bien moindre, n’eût été de la volonté locale, car d’après la Dre Chapdelaine, les taux par 1000 patients COVID qu’affichait le centre hospitalier de Drummondville avant Noël et tout juste après avoisinaient ceux de Montréal.

«Une chose qui nous a beaucoup aidés, c’est la proactivité des médecins de famille. Ils ont tout fait pour que les cas de COVID restent le plus possible à leur domicile et ainsi ne pas venir surcharger notre hôpital. C’est un travail faramineux. Ça nous a sauvés, car sinon on serait à 30 %», reconnaît-elle.

Toutes les chirurgies oncologiques sont réalisées dans les délais grâce à la mobilisation de tous. Même chose pour les opérations semi-urgentes.

Impossible aussi pour les deux chirurgiens de passer sous silence la précieuse contribution d’un nombre appréciable de retraités, lesquels représentent autour de 30 % de tout le personnel dans ce département. Les gestionnaires ont d’ailleurs dû défendre leur point envers le CIUSSS MCQ pour en embaucher autant.

«Il a fallu se battre super fort pour faire revenir des retraités intéressés à prêter main-forte. Je leur (administration) expliquais que oui, on a une masse critique à maintenir, mais que les retraités étaient un bonus pour aller élargir l’offre de service. J’ai vraiment insisté. Les autres chefs des autres unités ont joint leur voix à la mienne», explique en toute transparence celle qui pratique au sein de l’hôpital drummondvillois depuis 17 ans.

Cette dernière a également fait pression afin de rentabiliser les horaires et ressources.

«La veille de Noël, j’avais quatre examens. À 10 h, ma matinée était terminée et les infirmières avaient fait tout ce qui avait à faire. J’avais l’impression qu’on n’utilisait pas les ressources adéquatement. À mon retour le 4 janvier, c’était la même chose. Je trouvais ça inacceptable de savoir que j’étais en mesure d’en faire plus, mais que je ne pouvais pas. Finalement, on a été très bien entendu, mais il a fallu qu’on intervienne activement pour dire qu’on veut maintenir les services», précise la chirurgienne déterminée.

Enjeux

Par ailleurs, l’orthopédiste estime que miser constamment sur le délestage des chirurgies électives n’est pas la meilleure solution à long terme.

Dr Jean-Martin Turgeon, orthopédiste et chef local du département de chirurgie. (Photo gracieuseté)

«Je ne dis pas ça pour une question de perte financière. Oui, je gagne ma vie avec ça, mais il reste qu’il y a des humains au bout de ces listes d’attente. Ce ne sont pas juste des numéros. En orthopédie, on a des gens extrêmement souffrants et plusieurs pleurent quand on leur dit que c’est retardé. De plus, sur mes listes d’attente pour les chirurgies électives, ce ne sont pas tous des gens qui vont bien et qui n’ont pas mal. J’ai vu des personnes hospitalisées qui sont moins mal prises que mes patients en attente. Mais je suis loin de dire que les raisons d’hospitalisation sont mauvaises, c’est juste que certaines de ces personnes pourraient se trouver ailleurs, dans une ressource appropriée à leur condition, plutôt qu’à l’hôpital, mais ça, c’est un autre enjeu. Les milieux alternatifs sont rares. Bref, nos patients aussi ont besoin de soins et ils subissent présentement des dommages collatéraux de la pandémie», soutient-il.

Les chirurgiens ont d’ailleurs réclamé en vain au CIUSSS un ratio très limité de lits pour permettre de réaliser plus d’activités électives.

«Il y a une bonne vingtaine de patients en attente de relocalisation et qui occupent des lits qu’on ne peut offrir à des gens qui ont besoin d’être pris en charge médicalement. J’ai parlé à mon CMDP (Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens) pour voir si on pouvait être créatif, par exemple, utiliser des ressources externes, un hôtel, etc. pour eux, mais on m’a dit que ce n’était pas le bon moment. À mon avis, même si on est dans une situation difficile, on aurait pu se donner les moyens de se réinventer», déplore la Dre Chapdelaine.

Entre optimisme et inquiétudes

Si le retard du printemps a été rattrapé en grande partie, les médecins spécialistes craignent néanmoins les prochains mois.

«Je suis un peu inquiète lorsque ça va reprendre. Pas certaine qu’on va réussir à rattraper comme au printemps. On a des collègues qui sont épuisés physiquement et psychologiquement. Il y a beaucoup de burn-out. On est vulnérable», se désole-t-elle.

«On est à quelques gouttes que le verre déborde. Il suffit d’une personne qui tombe malade et le délestage sera plus important», note le Dr Turgeon.

Sans oublier toutes les conséquences qui pourraient découler de la peur de consulter de beaucoup de citoyens.

Malgré ces inquiétudes, l’optimisme demeure.

«On est privilégié malgré tout, car ça pourrait être pire. C’est pour cela que je suis optimiste. C’est exceptionnel comment ça fonctionne à Sainte-Croix. Et avec les cas qui baissent, j’ai confiance qu’on va remonter la pente, mais ça ne se fera pas sans pleurs ni heurts», laisse entendre la chirurgienne.

Soulignons en terminant que les gestionnaires se donnent jusqu’au début mars pour réévaluer les besoins.

«On va espérer qu’à la deuxième semaine de mars, on puisse reprendre à la normale. Si c’est le cas, on aura réussi somme toute à limiter les dégâts», conclut le Dr Turgeon.

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