LITTÉRATURE. Vingt ans se sont écoulés depuis la sortie du roman à succès Aliss de Patrick Senécal. Pour l’occasion, le maître québécois de l’horreur a uni ses forces avec l’illustrateur Jeik Dion pour adapter l’œuvre en bande dessinée, donnant une seconde vie aux personnages du récit.
Les deux acolytes se sont rencontrés lors de la projection du film Les sept jours du Talion. «Jeik m’a demandé quel livre j’aimerais adapter en bande dessinée. Je trouvais la question intéressante parce que je n’avais jamais pensé à ça. Je me suis dit qu’Aliss serait une bonne idée. Parmi tous mes romans, Aliss a un univers intéressant à recréer en dessin. Il y a quelque chose d’excessif et de flyé qui serait difficile à reproduire au cinéma», raconte l’auteur Patrick Senécal, originaire de Drummondville.
Rappelons qu’Aliss est une relecture du chef-d’œuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, mariant à la fois le fantastique et l’horreur. Âgée de 18 ans, Alice quitte la maison familiale en banlieue pour s’installer dans la métropole. L’héroïne, qui a soif d’aventure, débarque dans un quartier étrange où plusieurs personnages l’accueilleront. Elle saute à pieds joints dans cette aventure, en quête de sensations fortes.
Le scénario
Après avoir mis le projet en suspens, Patrick Senécal et Jeik Dion ont décidé de s’attaquer plus sérieusement à la bande dessinée, il y a deux ans. Le duo a débuté avec l’élaboration du scénario. «Le fait que j’ai écrit pour le cinéma m’a aidé parce que c’est un peu le même processus. Je fais un scénario, j’envoie ça à Jeik et il me donne ses commentaires. Au début, mon scénario était beaucoup trop long. Jeik m’a aidé à couper des affaires. Parfois, ça prend quelqu’un de l’extérieur pour t’aider à voir clair», avoue l’écrivain qui a vu trois de ses livres prendre vie au grand écran.
La bande dessinée reste fidèle à l’œuvre originale. Malgré tout, l’auteur a dû faire un choix crève-cœur. «La seule décision qui a été difficile à prendre a été de couper dans le personnage d’Andromaque, qui est la propriétaire du bar. Elle est encore présente dans l’histoire, mais on a beaucoup réduit sa courbe dramatique. On ne pouvait pas traiter l’histoire de tous les personnages en 269 pages.»
Éviter la censure
La censure n’était pas une option dans l’écriture de la bande dessinée, soutient Patrick Senécal. La sexualité, la violence et la consommation sont des thèmes qui sont abordés dans l’ouvrage, tout comme dans le livre original. «Aliss est un roman excessif. Le personnage principal fait un voyage initiatique à travers l’excès. C’est une adolescente qui devient une adulte. Pour elle, il n’y a pas de demi-mesure. Elle veut être libre. Elle pense que la liberté est dans l’excès et qu’elle doit tout accepter.»
«Elle va finir par se rendre compte que la liberté, c’est aussi de dire non. Elle a traversé beaucoup d’expériences extrêmes pour en arriver à cette réflexion-là . Si on avait été plus doux, on serait passé à côté de cette essence-là qui est importante dans le roman», explique l’auteur.
De son côté, Jeik Dion a saisi la vision de son collègue en gardant une certaine liberté dans ses illustrations. «Jeik m’a fait comprendre qu’il allait faire des scènes de sexe et de violence, tout en étant graduel et de ne pas tout montrer tout le temps. Il souhaitait qu’il ait une stratégie là -dedans pour que les scènes restent être efficaces. J’étais content d’entendre ça.»
Un travail à temps plein
Lors des deux dernières années, Jeik Dion s’est consacré corps et âme à ce projet d’envergure. L’illustrateur dédiait de dix à quatorze heures de travail par jour à la bande dessinée, question de mener l’ouvrage à terme.
Une campagne de sociofinancement a été nécessaire pour que l’illustrateur puisse garder ce rythme de travail. «Au Québec, c’est quand même assez rare une campagne de sociofinancement pour une bédé d’horreur. Pourtant, ça a marché. Tout le monde a embarqué. J’ai eu un salaire grâce aux personnes qui ont précommandé la bédé», soutient Jeik Dion, précisant que plus de 1000 lecteurs ont participé au financement.
Grâce au talent de l’illustrateur, Aliss se démarque par son esthétisme unique. «J’ai fait toutes mes autres bédés directement à l’ordinateur. Pour Aliss, c’était la première fois que je travaillais à l’aquarelle. Je voulais salir les pages le plus possible pour refléter l’ambiance du quartier.»
Malgré un léger retard à l’impression, la bande dessinée est bel et bien arrivée à destination.
Les amateurs d’horreur pourront se procurer leur copie en librairie dès le 11 novembre.