Drummondville sous la plume du sociologue Hugues

Martin Bergevin
Drummondville sous la plume du sociologue Hugues
Rue Heriot, 1943. (Photo: SHD, Collection régionale ; C1-3.1D9)

SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE DRUMMOND. Tout au long de son histoire, Drummondville a été observée et étudiée par des individus de tous genres. Les historiens, par exemple, se sont penchés sur son passé; les journalistes, sur son présent; et les artistes, sur ses traits caractéristiques. L’objectivité étant absente du regard de quiconque épie avec une intention précise, certains l’ont présentée avec complaisance, d’autres l’ont dépeinte avec moins d’égard. Néanmoins, la plupart nous l’ont fait connaître davantage. C’est déjà beaucoup. Le sociologue Everett Cherrington Hugues est l’un de ceux-là.

Américain, originaire de Beaver en Ohio, Everett Cherrington Hugues (1897-1983) entreprend ses études en sociologie à la prestigieuse Université de Chicago durant l’entre-deux-guerres et y défend sa thèse de doctorat avec succès en 1928. Lorsqu’il largue sa toge et son mortier de graduation, ce dernier enseigne déjà depuis un an au département de sociologie de l’Université McGill, à Montréal, où il œuvre durant dix ans. Pendant son séjour dans la métropole, Hugues découvre le fait français et s’éprend de la culture ambiante. Il constate aussi l’existence des deux solitudes et s’intéresse à la rencontre de ces «deux mondes» dans les localités où l’industrialisation oblige les interactions ; les ouvriers étant majoritairement canadiens-français et les dirigeants d’usine, pour la plupart, britanniques ou américains.

Parc Saint-Frédéric, 1938. (Photo : SHD, Fonds Lorne Elder ; P181, D5, P5)

Drummondville, qui s’industrialise alors à la vitesse grand V grâce aux capitaux étrangers, représente un cas de figure intéressant pour Hugues qui décide de s’y établir durant deux ans pour observer de visu les changements produits par l’implantation récente des grandes manufactures de textile. Le sociologue débarque donc ici en 1937 et débute son enquête de terrain comme l’aurait fait un anthropologue. Il fréquente les lieux publics, interroge les habitants, consulte les journaux locaux, consigne sur papier nombre d’observations de la vie quotidienne et publie finalement le fruit de ses recherches dans French Canada in Transition, en 1943. Une traduction française sera publiée cinq ans plus tard sous le titre Rencontre de deux mondes.

Pour les besoins de son étude, Hugues rend anonyme le chef-lieu du Centre-du-Québec en lui donnant le pseudonyme de «Cantonville». À la lecture de la monographie toutefois, les Drummondvillois «pure laine» n’auront aucune peine à reconnaître leur coin de pays dans ses moindres détails. Pour situer le lecteur dans l’espace, l’auteur propose une longue marche au cœur du Drummondville d’antan : «si le visiteur arrive par la route nationale, il rencontre d’abord un village-route construit de maisons à charpente et de petits magasins éparpillés çà et là. Une aiguille de chemin de fer flanquée de deux petits ateliers et nous voici au terme de ce secteur. Un coude de la route nous fait soudainement déboucher sur une rue plantée d’ormes et d’érables majestueux ombrageant des maisons à l’air bourgeois. C’est là la Basse-Ville à son plus beau, le centre des familles dont les noms sont liés à l’histoire de la région».

Logements ouvriers, 1930. (Photo : SHD, Collection régionale ; C1-2.4A18)

Hugues poursuit sa narration, nous menant un peu plus loin : «parallèles à la voie ferrée qui passe à un demi-coin de rue de distance, et séparant le vieux quartier des affaires de la partie haute de la ville, viennent le cimetière anglican, un parc municipal et la principale église catholique. Sur une distance de quelques coins de rue, se dessine ensuite une prairie sablonneuse en direction des faubourgs ouvriers. Là, toute construction est nouvelle et pauvre, tout terrain est aride, tout le monde est canadien-français ».

Et pour dresser le portrait industriel de la ville, le sociologue s’exprime ainsi : «à Cantonville, il y a deux sortes d’industries. Les premières, propriétés des Canadiens français, sont de petits ateliers comme des manufactures de portes et de châssis. Elles ne font pas grandir la ville, mais grandissent avec elle. Les secondes, les grandes industries, sont la propriété de compagnies étrangères. Les gérants locaux sont des Anglais. Ce sont elles qui ont fait de la petite ville commerciale d’autrefois l’un des plus grands centres industriels de la province». (Visuel 4 et visuel 5)

Manufacture Gustave Mercure, 1940. (Photo : SHD, Collection régionale ; C1-2.4E13)

Si les propos du chercheur américain permettent de mieux comprendre l’expérience de l’industrialisation en milieu rural, sa plume agile nous fait aussi découvrir avec une pointe de nostalgie ce qu’était Drummondville autrefois. Les gens intéressés à poursuivre leur balade guidée dans les rues de la vieille ville peuvent le faire en feuilletant le livre Rencontre de deux mondes, disponible en libre consultation aux locaux de la Société d’histoire de Drummond.

Canadian Celanese, 1935. (Photo : SHD, Fonds Canadian Celanese ; P90-1.1-27)
Partager cet article