Interprète en langue des signes : une grande responsabilité en temps de crise

Interprète en langue des signes : une grande responsabilité en temps de crise
Cathy Leblanc a traduit les propos du directeur national de la santé publique du Québec, Horacio Arruda, à la télévision nationale. (Photo : capture d’écran, Assemblée nationale du Québec)

CORONAVIRUS. Aussi dramatique qu’elle soit, la pandémie mondiale de coronavirus permet aussi de mettre en lumière le talent de ceux qui pratiquent des métiers méconnus, mais indispensables. C’est le cas de la Drummondvilloise Cathy Leblanc, une interprète en langue des signes québécoise pour les personnes sourdes.

Pratiquant ce métier depuis maintenant 22 ans, Cathy Leblanc a été appelée à interpréter pour une première fois la conférence de presse quotidienne du gouvernement du Québec, samedi dernier. Pendant cette allocution télédiffusée en direct sur les grandes chaînes nationales, on a pu voir la femme de 46 ans traduire les propos de la vice-première ministre Geneviève Guilbault, de la ministre Danielle McCann et du coloré docteur Horacio Arruda ainsi que les questions des journalistes.

«À ce moment-là, j’ai ressenti que j’avais une grande responsabilité sur mes épaules, a raconté Cathy Leblanc en entrevue téléphonique. Je sais qu’il y a plusieurs personnes sourdes à la maison qui sont dépendantes de l’information qu’on va leur donner. En pleine situation de crise, c’est la seule heure de la journée où ces gens auront accès à 100 % à une information équitable, comme le reste de la population.»

Curiosité intellectuelle

S’étant d’abord intéressée à la langue des sourds grâce à un professeur qui enseignait à des élèves sourds à l’école primaire Saint-Joseph, Cathy Leblanc est détentrice d’une formation dans cette discipline obtenue à l’Institut Raymond-Dewar de Montréal. Elle possède également une attestation d’études collégiales en communication et surdité ainsi qu’un certificat universitaire en interprétation visuelle obtenue à l’UQAM.

Cathy Leblanc (Capture d’écran TVA)

«Pour pratiquer ce métier, ça prend une bonne culture générale à la base, a expliqué Cathy Leblanc. On doit être bien au fait de l’actualité et s’intéresser à de nombreux sujets, car on se retrouve dans plusieurs situations différentes, surtout en interprétation sociocommunautaire. Dans une conférence de presse comme celle du gouvernement, on doit maîtriser le sujet et être à l’affût de tout ce qui se passe en lien avec la crise. Ça exige d’être très allumé.»

«En plus d’une curiosité pour l’actualité, il faut aussi être curieux de la langue française. Selon le contexte, un mot peut avoir différentes définitions. Il faut être bien informé pour transmettre le message de la bonne manière», a poursuivi la Drummondvilloise, qui se retrouve isolée devant un téléviseur dans un local insonorisé lorsqu’elle traduit une conférence de presse gouvernementale.

En guise d’exemple, le mot «quarantaine» n’a pas d’équivalent en langue des signes. «Ce terme amène plusieurs images dans notre tête. Ça signifie rester à la maison, être isolé et ne pas avoir de contact avec l’extérieur… Il faut être capable de sélectionner les bons signes pour faire comprendre cette expression», a expliqué Cathy Leblanc.

Ainsi, deux interprètes n’utiliseront pas nécessairement les mêmes signes pour traduire un même discours. «Chaque interprète peut analyser le message de manière différente, mais à la fin, on va comprendre l’essence du message, a laissé entendre Cathy Leblanc. Ce qui peut rendre le travail d’un interprète plus difficile, c’est quelqu’un qui parle trop vite ou trop lentement ou encore quelqu’un qui utilise un vocabulaire scientifique. Ça va nous faire travailler davantage, mais on dit qu’en langue des signes, tout peut se dire. Il suffit de prendre le temps de réfléchir pour trouver les bons signes.»

Cathy Leblanc traduisant les propos de la vice-première ministre Geneviève Guilbault. (Capture d’écran Assemblée nationale du Québec)

La langue des signes comporte non seulement la possibilité de réaliser des signes équivalents aux mots dans la langue orale, mais aussi d’avoir recours à l’épellation digitale, notamment pour les noms propres.

«Souvent, on y va avec la première lettre du prénom et du nom de famille. Si on a le temps, on peut l’épeler au complet. Certaines personnes et certaines villes sont aussi identifiées par un signe. Par exemple, je suis connue sous le signe du chat dans le milieu», a relaté Cathy Leblanc.

Un métier peu routinier

En tant qu’interprète de la langue des signes québécoise, Cathy Leblanc travaille pour deux organismes : la Commission scolaire des Chênes, où elle accompagne quotidiennement une élève sourde en classe, ainsi que le Service régional d’interprétariat de l’Est du Québec, qui dessert notamment la région de Drummondville. Cet organisme offre ses services d’interprétation dans une multitude de circonstances, par exemple lors de rendez-vous médicaux, de rencontres à la banque, chez un notaire ou un avocat, lors d’une entrevue, d’une formation, d’une conférence, d’un mariage ou de diverses activités. Les interprètes de ce service sont également appelés à traduire des assemblées de conseils municipaux ainsi que la période des questions à l’Assemblée nationale.

«J’adore mon travail, car il n’y a pas de routine, a exprimé Cathy Lebanc. Ça nous demande toujours de nous questionner, d’apprendre et de comprendre de nouvelles choses. On se retrouve dans des situations différentes chaque jour et on se promène un peu partout. C’est un métier très enrichissant.»

«Sur le terrain, on rencontre plein de défis stimulants. Par exemple, j’ai rencontré une personne sourde qui n’était pas native du Québec et qui parlait une langue des signes étrangère. Ça m’avait demandé beaucoup de créativité pour qu’on puisse se comprendre. Être interprète, c’est un défi constant. Ça me garde extrêmement vivante», a conclu Cathy Leblanc.

10 000 utilisateurs au Québec

Il existe quelque 140 langues des signes à l’échelle mondiale. Au Québec, il y aurait environ 10 000 utilisateurs de la langue des signes québécoise. Reflétant les particularités de la culture d’ici, la langue des signes québécoise s’est développée au contact des langues des signes française et américaine. (Source : Actualités UQAM)

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