Emmanuelle, celle qui a échappé à l’exploitation sexuelle

Emmanuelle, celle qui a échappé à l’exploitation sexuelle
Emmanuelle rencontrait ses clients dans des hôtels. (Photo : Ghyslain Bergeron)

DOSSIER. Jusqu’à tout récemment, Emmanuelle ne pensait pas avoir été une victime d’exploitation sexuelle, et ce, même si elle devait remettre tout l’argent qu’elle avait amassé à Mia, sa colocataire et celle qui était sa proxénète. Témoignage d’une jeune femme qui a échappé à l’enfer de la prostitution. 

Pendant son adolescence, Emmanuelle a vécu dans plusieurs familles d’accueil et centres jeunesse. Ses parents vivaient séparés et elle ne s’entendait avec ni l’un ni l’autre. Quelques semaines avant de souffler sa 18e bougie, elle a fait la rencontre de Mia, une femme âgée de la vingtaine qui vivait en face du centre d’hébergement de Trois-Rivières, où elle habitait.

«Je cherchais de la drogue et le copain de Mia en vendait (NDLR : le vrai nom de Mia est Alie. Elle utilise ce surnom dans le milieu de la prostitution). C’est comme ça que je l’ai rencontrée. On a commencé à se voir presque tous les soirs. On a passé deux semaines ensemble et c’était vraiment plaisant», se souvient Emmanuelle.

Puis, l’adolescente a eu 18 ans. Elle se retrouvait à la rue. «Évidemment, elle m’a accueillie chez elle. Mais je devais payer ma partie de l’appartement et c’est là que Mia m’a proposé la prostitution pour faire de l’argent facile. Moi, j’étais à l’aise avec mon corps, je n’avais pas de tabou avec la sexualité et même que j’aimais ça. Au début, ça me paraissait correct de faire ça», ajoute-t-elle.

Mia a amené Emmanuelle dans un hôtel de Sherbrooke pour fêter ses 18 ans, où elles ont fait la rencontre de deux garçons, qui étaient chargés de ramener des clients aux filles. Toutefois, Emmanuelle ne se sentait pas prête à passer à l’acte. Un choix que Mia a respecté, ce soir-là.

«Il ne s’est rien passé. Le lendemain, on est parti à Québec avec les deux gars qu’on avait rencontrés. On est allée dans un hôtel chic et ils ont testé la marchandise. Bref, on a couché avec eux. Tout de suite après la relation sexuelle, on m’a amené mon premier client», se remémore Emmanuelle qui, à ce moment-là, «se sentait libre de ses choix».

«Désirée»

Dans les débuts, Emmanuelle se sentait désirée. «Il y avait des hommes qui payaient pour coucher avec moi. Je me sentais désirée. À Québec, on était dans un bel hôtel avec un sauna, un spa et une piscine, énumère-t-elle. Je voyais ça positivement. Aussi, je consommais du cannabis et de l’alcool. Je n’avais pas les idées claires».

Le week-end s’est terminé : Emmanuelle et Mia sont retournées à Trois-Rivières, comme si de rien n’était. «Je ne sais pas comment expliquer cela, mais Mia et Alie étaient comme deux personnes différentes. Mia, c’était ma proxénète. Alie, c’était mon amie et on avait une belle relation. Je vais être honnête, parfois je m’ennuie de cette relation amicale. Je n’ai jamais vécu une amitié comme ça. Mais je me demande si elle était vraiment mon amie ou si c’était pour m’amadouer», souligne-t-elle.

Puis, Mia a continué d’amener Emmanuelle dans des hôtels à Sherbrooke, Québec, Granby, Trois-Rivières, etc. Les clients se sont accumulés. «Il y avait toutes sortes d’hommes. La plupart étaient mariés et ils parlaient de leurs femmes. Ils avaient besoin d’une oreille pour les écouter», précise-t-elle.

Chacun des sous amassés en vendant son corps, Emmanuelle les redonnait à Mia. «Elle disait que c’était pour payer le loyer. Je me suis bien rendu compte à un moment donné que je travaillais plus que ce que je devais. Je ne me sentais plus bien là-dedans… sauf que quand je n’avais pas envie de voir des clients, je me faisais péter des coches vraiment intenses», confie-t-elle.

Après ses rencontres avec les clients, Emmanuelle allait pleurer dans la salle de bain. Elle avait des pensées suicidaires.

Puis, sa relation avec Mia s’est envenimée. Cette dernière avait un nouveau copain et elle croyait qu’Emmanuelle couchait avec celui-ci. Mia a même agressé physiquement Emmanuelle et, quelques semaines plus tard, elle lui a fait des menaces de suicide. C’en était trop pour Emmanuelle : elle est partie «se cacher» chez la grand-mère d’un ami, à Bécancour.

«Je n’étais plus heureuse là-dedans. Je me suis dit : “Ce n’est pas vrai que je vais faire ça toute ma vie”, raconte-t-elle à propos de la prostitution. Je savais que je devais me sortir de là, car ma santé mentale n’allait pas bien».

Se reconstruire

Aujourd’hui, ça fait presque deux ans qu’Emmanuelle n’a pas eu de contact avec Mia. «On voit souvent des histoires de jeunes filles qui tombent en amour avec un garçon, qui est en fait un proxénète. Moi, j’aimais — en amitié — Mia, à un point tel où j’aurais tout fait pour ne pas la décevoir. J’ai eu plusieurs occasions de partir, mais je ne l’ai pas fait. J’avais peur d’elle», poursuit-elle.

Questionnée à savoir si elle a déjà eu envie de dénoncer celle qui avait été sa proxénète, Emmanuelle exprime : «On ne parle tellement pas d’exploitation sexuelle que je me suis longtemps demandée si j’en avais vraiment vécue. En fait, jusqu’au moment où j’ai reçu les questions de l’entrevue (NDLR : L’Express a fait parvenir les questions de l’entrevue une semaine avant la rencontre), je me demandais si c’était réellement de l’exploitation sexuelle. Christelle Marois, conseillère au Carrefour jeunesse-emploi d’Arthabaska, m’a fait comprendre que je n’avais jamais vu la couleur de mon argent. Oui, j’ai envie de dénoncer, car Mia pourrait refaire ça à d’autres filles, sauf que je n’ai pas de preuves concrètes contre elle. C’est ma parole contre la sienne. Je ne sais pas comment ça marche le système de justice. Et je n’ai vraiment pas le goût de m’embarquer dans un processus qui ne mènerait à rien».

Emmanuelle est retournée vivre près de sa famille, à Victoriaville. Elle a commencé à fréquenter un Carrefour jeunesse-emploi afin de rebâtir sa vie. «On accompagne les jeunes dans leur passage entre l’adolescence et la vie adulte. Dans le cadre de la démarche, les jeunes sont amenés à développer leur autonomie sur le plan socioprofessionnel, résidentiel et relationnel», explique Christelle Marois.

Après quelques relations défaillantes, Emmanuelle a rencontré un homme en qui elle a confiance. «Après un certain temps à le fréquenter, j’ai vu qu’il était sincère. C’est la première personne à qui j’ai été capable de tout raconter en détail. Il ne me prend pas comme une victime : il me trouve forte de m’en être sortie. Au niveau de notre sexualité, il m’a toujours respectée, car j’ai eu des blocages par le passé», raconte Emanuelle avec un sourire.

Tranquillement, elle se reconstruit. «Ma thérapie, c’est de raconter mon histoire. Juste de faire cette entrevue, on dirait que ça ajoute un point de suture sur ma cicatrice. Je n’ai aucun souvenir de m’être fait parler d’exploitation sexuelle au secondaire. Il faut en parler pour que les choses bougent. J’assume ce qui m’est arrivé et je n’ai pas à m’en cacher. L’exploitation sexuelle, ça ne devrait plus être un tabou dans notre société», lance-t-elle.

Dans les mois à venir, Emmanuelle songe à retourner aux études. Elle souhaite faire une technique en éducation spécialisée, pour aider les autres.

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