«L’itinérance est un problème que l’on ne veut pas voir» – Alexandre Boisvert

«L’itinérance est un problème que l’on ne veut pas voir» – Alexandre Boisvert
Alexandre Boisvert, professeur de sociologie au Cégep de Drummondville et institageur de l’expérience terrain. (Photo : Gracieusté)

ITINÉRANCE. Le visage de l’itinérance n’est plus ce qu’il était, il se fait plus discret et se fond dans la masse, malgré les stéréotypes qui persistent. Les problématiques de l’itinérance, quant à elles, s’alourdissent, entre autres, en raison de l’apparition de drogues fortes et disponibles à un faible coût.

«Quand on pense à un sans-abri, on pense immédiatement à un vieil homme à la barbe blanche et sale et qui boit une cannette de Labatt 50. Or, de plus en plus de jeunes se retrouvent à la rue et ils réussissent à passer inaperçus. On ne voit pas qu’ils sont sans domicile fixe (SDF). L’itinérance devient moins visible, et surtout en région», explique Alexandre Boisvert, professeur de sociologie au Cégep de Drummondville et ancien accompagnateur à l’Ensoleilvent, un organisme à but non lucratif (OBNL) qui accueille des gens qui se retrouvent sans logement.

Un problème de société qui devient «apparent» engendre son lot de conséquences, selon le professeur. «Le gouvernement donne de l’argent pour les causes qui sont chiffrables et quantifiables. Nous ne sommes pas en mesure de faire un décompte du nombre de sans-abris au Québec. Certains disent qu’il y en a 30 000 et d’autres disent qu’il y en a 3500 seulement. Qui dit vrai? Et quand un OBNL reçoit moins d’argent, ce sont évidemment les services offerts qui écopent», a-t-il relaté lors d’un entretien avec L’Express.

L’itinérance en région est d’ailleurs encore moins visible que dans les grands centres. «Les régions sont des plaques tournantes pour les SDF. Un itinérant arrive ici et utilise les ressources jusqu’à épuisement, puis il part vers une autre ville du Québec. On le voit rarement à même la rue, pourtant il est SDF. Parfois, il réussit aussi à se créer un cercle d’amis qui va l’héberger pendant un temps», a-t-il ajouté. Si on les voit moins dans les rues, c’est aussi parce que les mendiants n’ont pas d’endroit assez passant où s’installer et qu’ils se font repérer plus rapidement par les policiers, puisqu’il est interdit de quémander de l’argent.

Les sans-abris laissés de côté

«Pourquoi les itinérants sont-ils plus laissés à eux-mêmes et mis de côté par la société?». À cette question de L’Express, M. Boisvert répond : «C’est à cause de la société qui tend vers l’individualisme. C’est un problème que l’on ne veut pas voir, car on ne veut que du beau». Le constat est que la société déshumanise les itinérants «au profit du beau».

«Plusieurs règlements existent maintenant pour stigmatiser les sans-abris. Prenez par exemple la loi qui interdit le flânage dans les parcs. À qui s’adresse ce règlement? Si je bois un café, assis sur un banc de parc, aucun policier ne va me donner de contravention. À l’inverse, si une personne, à l’allure itinérante, s’installe sur ce même banc, il se fera probablement dire de quitter le parc puisqu’il n’a pas le droit de flâner», constate M. Boisvert. «Comment peuvent-ils se sentir conformes à la société si l’on criminalise leur mode de vie?», s’interroge le professeur.

Une problématique en constante évolution

Ce sont de plus en plus de jeunes qui se retrouvent à la rue et le type de consommation chez ces gens a beaucoup changé depuis les dernières années. «Les jeunes se promènent souvent en gang et ils portent des vêtements typiques, donc ça ne paraît pas qu’ils sont des sans-abris. Ils ont tendance aussi à consommer de la drogue bon marché, de type pilule, et qui donne un high pendant plusieurs heures. Sauf que ces drogues sont très dommageables et l’on voit une augmentation du nombre de problèmes de santé mentale apparaître chez les consommateurs», explique M. Boisvert. En résumé, si la situation de l’itinérance est de moins en moins visible, les problématiques, elles, s’alourdissent. L’enseignant observe également que cette réalité a amené les organismes à se transformer. Si certaines étaient spécialisées en itinérance et d’autres en santé mentale, elles sont maintenant contraintes de revoir leur offre de service pour répondre aux besoins urgents de la clientèle.

Une expérience unique    

Dans le cadre d’un des cours qu’il donne à des élèves en techniques d’intervention en délinquance, le professeur Boisvert a demandé à ceux-ci de se mettre dans la peau d’un itinérant. La cinquantaine d’élèves a donc arpenté les rues de Drummondville, habillée avec des vêtements défraîchis, pour comprendre la réalité que vivent quotidiennement les SDF.

«Je veux que mes élèves développent leur empathie à l’égard de ces gens et qu’ils comprennent mieux la manière dont les itinérants sont traités par la société», a-t-il expliqué. Ce projet éducatif a été suivi et documenté par L’Express.

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