Une personne me partageait récemment le récit de sa dernière rencontre avec un de ses amis au moment crucial de son dernier souffle… Les paroles échangées ont été un moment déterminant pour lui et probablement pour son ami, un homme dont la vie n’avait pas été facile.
Je lui ai demandé d’écrire son expérience parce que je crois qu’elle démontre un aspect spirituel de l’accompagnement de fin de vie. Elle illustre bien ce que représente l’aide à mourir dans la paix, dignement, grâce à une présence réconfortante qui accompagne une parole de foi.
La personne qui m’a fait part de son expérience tient à l’anonymat. C’est avec son accord que je vous la partage ici.
Yves Grondin (conseiller municipal et agent de pastorale)
Fin d’une amitié ?
Il y a environ 40 ans, j’ai fait la connaissance d’un bonhomme d’à peu près mon âge. Une amitié toute simple s’est développée et a persisté jusqu’à tout récemment.
En effet, depuis quelques années, son diabète et autres petits bobos ont contribué à détériorer graduellement sa santé. Il ne l’a vraiment pas eu facile. Il fut donc hospitalisé il y a quelques semaines, mais, malgré les efforts louables du personnel médical, sa condition continua de se détériorer. J’ai visité mon ami régulièrement sans pouvoir atténuer ses souffrances physiques et morales.
Une journée de la semaine dernière, je quittai la maison en expliquant à mon épouse mes courses à faire ainsi qu’une visite à l’hôpital s’il me restait du temps avant la fin des visites de l’après-midi.
Toutefois, en m’installant dans mon auto, quelque chose m’a dit de changer l’ordre de mes courses. Je me rendis donc directement au chevet de mon ami. En passant au poste de garde à l’étage, on m’expliqua qu’il ne pouvait plus se lever ni même d’avaler de la nourriture. En arrivant aux pieds de son lit, sur lequel il était à demi assis avec le menton appuyé sur l’estomac, il leva lentement les yeux et en me voyant, il souleva partiellement son bras droit vers moi comme pour me donner la main, avec une expression faciale qui semblait signifier : "viens m’aider SVP".
Je m’approchai donc en lui donnant la main, qu’il me demandait avec tant d’instance, et m’agenouillai à côté du lit pour avoir la figure à la hauteur de la sienne et mieux le comprendre. Les quelques paroles qu’il voulut me dire, étaient incompréhensibles. Durant ces minutes, il me serrait la main avec une force insoupçonnée pour son état. Je pris sa main complètement décharnée, entre les deux miennes et après deux trois minutes, les mots suivants me vinrent à l’esprit: "Cher ami, durant toutes ces années, on ne s’est jamais parlé de nos croyances spirituelles. Il est peut-être temps que je te fasse part de ce qui me trotte dans la tête actuellement". Il n’offrit aucun signe de résistance et il serra ma main un peu plus fort sans pouvoir lever davantage sa tête toujours appuyée sur son estomac. J’ai continué en lui soufflant à l’oreille:
"Je crois fermement en l’amour de Dieu pour toi et je suis certain qu’en arrivant de l’autre côté, tu n’auras plus de souffrance physique. Tu seras comblé de bonheur infini. Fais-moi confiance et si jamais je ne t’avais pas donné l’heure juste, revient me le dire".
Il ne bougea pas pour quelques instants toujours en canalisant toutes ses forces dans sa main dans les miennes pour une dizaine de secondes.
Je sentis ensuite sa main et son bras devenir mous et sa main lâchât doucement les miennes.
Le temps de lever les yeux et il ne respirait plus.
Je n’oublierai jamais le choc que j’ai eu à ce moment. Il y avait une peine aigüe mais aussi de la joie à savoir qu’il ne souffrait plus, le tout mêlé à une certitude qu’il avait comprise.
Je quittai l’hôpital en étant triste et en souriant en même temps. En toute humilité, je trouve extraordinaire que l’esprit se soit servi de moi dans un moment si critique.
Je ne suis plus certain que ce fut la fin de notre amitié !