«Ce n’est pas nous qui touchons le monde, c’étaient eux»

«Ce n’est pas nous qui touchons le monde, c’étaient eux»

SOCIÉTÉ. Il y a eu Elliot. Il y a eu Samy. Les deux fils de Karine Dupuis et de Jérôme Tardif sont partis. Le premier à 9 ans en 2012. Le second à 5 ans, lundi, en ce beau jour de l’Action de grâce. Les deux étaient atteints de la même maladie orpheline (leuco dystrophie). Rare, dégénérative et mortelle. «Et on n’a pas encore trouvé le mot pour décrire les parents qui perdent des enfants, alors qu’on sait comment désigner l’enfant qui perd ses parents, l’épouse qui perd son conjoint», rappellent Karine et Jérôme.

C’est sur la pointe des pieds qu’on entre chez les parents de Samy, moins de 24 heures après son décès à l’hôpital Fleurimont de Sherbrooke.

Ils acceptent de raconter les dernières heures de leur fils, l’accompagnement jusqu’à son ultime souffle étant à la fois empreint de douleur et de douceur. Douleur pour les parents, douceur pour l’enfant qui s’en est allé «au bout de son rouleau», comme dit son père.

Bien qu’elle se dise «traumatisée», «vide à l’intérieur», «gelée» après cette terrible fin de semaine, Karine Dupuis parle de ces «anges» qu’ont été Elliot et Samy, du privilège qu’ils les aient choisis, elle et Jérôme, pour être leurs parents. Et, poursuit-elle, ce fut aussi un privilège que d’avoir pu accompagner les deux enfants jusqu’à la fin de leur trop brève vie.

«Mettre au monde un enfant, c’est un beau cadeau. C’en est un aussi, dit la mère, d’accueillir sa fin dans le calme», racontant comment elle a aussi lavé et habillé son enfant après son décès.

Les dernières heures

À deux voix, les parents racontent que samedi soir, ils ont appelé l’ambulance, constatant que le petit Samy dormait depuis trop longtemps et qu’il ne réagissait pas aux procédures habituelles. Parce qu’il y a dans la chambre de Samy – celle d’Elliot auparavant – tout ce qu’il faut d’instruments pour intervenir (saturomètre, concentrateur d’oxygène, etc.).

Amené à l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska autour de 22 heures, un poumon artificiel l’aide à respirer. Il sera transporté, inconscient, aux soins intensifs de Fleurimont au cours de la nuit.

À 8 heures le dimanche matin, il ouvre enfin les yeux. Il est calme malgré les contentions et l’intubation. Il y a dans ses grands yeux bruns, comme une question, raconte sa mère. «Pourquoi tout cela, alors que je suis prêt à partir?»

Pendant toute la journée de dimanche, c’est grâce à une machine dotée d’un masque collé à son visage que Samy a respiré, l’instrument palliant ses carences pulmonaires. Autant ses résultats sanguins étaient catastrophiques le dimanche matin, autant ils étaient presque parfaits le soir. Tant et tant que pendant quelques heures, les parents étaient convaincus qu’ils pourraient ramener Samy à la maison. Tant et tant que Samy, les yeux ouverts, s’amusait à tapoter l’écran de son iPad, comme s’il était sorti d’une mauvaise passe. «Et, tout à fait au hasard, Jérôme lui a fait jouer une chanson, «Un soir encore», raconte Karine, y percevant, après coup, un signe prémonitoire.

Vers 1 heure le lundi matin, Samy s’est réveillé. Mais il était agité et on a vite compris que les médicaments ne faisaient plus effet. À 9 heures, le matin, ses résultats étaient désastreux, l’acidité de son sang étant «incompatible avec la vie», a déclaré le médecin.

Les parents n’ont pas eu à prendre de décision. «Seulement celle de profiter de lui le plus longtemps possible, de le tenir dans nos bras, de le bercer jusqu’à la fin», dit son père, ébahi par la force de la vie, par celle du corps, du petit cœur qui a battu à 140 pendant trente heures.

Toute la famille Dupuis-Tardif s’était réunie à l’hôpital et chacun de ses membres a pu saluer l’enfant. «Nous avons eu la chance d’avoir l’unité de soins intensifs à nous seuls pendant tout ce temps.»

Certains croiront que les parents se sentent «soulagés, libérés» par le départ de leurs enfants lourdement handicapés, dont la condition était particulièrement accaparante. «Le départ de Samy aura plus d’impact sur Karine dont tout le quotidien était organisé autour de lui, de ses soins. Il lui faudra se reconstruire.»

Des ambassadeurs, des magiciens

Jamais, Karine et Jérôme n’ont vu leurs enfants comme une «charge». «Ils nous ont fait connaître tant de monde. Ils avaient la mission de rassembler, de faire sortir le meilleur de nous-mêmes. Quand les gens se trouvaient autour d’Elliot et de Samy, personne n’avait le goût de dire de mauvaises choses. C’étaient des magiciens.»

Et parce que justement, les petits magiciens sont partis, Jérôme s’inquiète du sort de la Fondation des amis d’Elliot, créée il y a 13 ans.

Il avait ce souci lors de la disparition d’Elliot. Il l’a davantage aujourd’hui.

«Parce que ce ne sont pas ma blonde et moi qui touchons et rassemblons le monde, c’étaient eux, les ambassadeurs. Nous, ne faisions que pousser leur chaise! Le défi sera encore plus grand.»

Jérôme poursuit en disant que lui et Karine continueront de s’engager dans la Fondation… parce qu’il y a d’autres enfants malades.

Le couple a encore un autre deuil à vivre. La maison, adaptée pour les petits magiciens qui y sont passés, paraît bien «vide» aux yeux de Karine. Bien grande aussi. Les parents sont toujours en attente – après six ans – d’adopter à l’international.

Le temps, ils le savent, ne fait pas oublier, mais estompe la peine.

Lundi, ils retourneront au cimetière de Saint-Christophe-d’Arthabaska pour inhumer Samy à côté de son grand frère. Les funérailles auront lieu à l’église Saint-Christophe à 15 heures, le lundi 17 octobre. La famille recevra les condoléances les samedi et dimanche au Complexe funéraire Grégoire et Desrochers.

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