Germain Lambert n’avait que 10 ans lorsqu’il a emménagé au Manoir Trent. C’était pour venir en aide à celui qui allait devenir son «deuxième père», Frédérick Trent. Bien qu’à la suite de son décès, M. Lambert ait été forcé de quitter la demeure, celle-ci évoque en lui, encore aujourd’hui, des souvenirs bien vivants.
Maintenant âgé de 79 ans, M. Lambert se rappelle des 32 ans (de 1941 à 1964) où il a vécu au Manoir Trent. Des années de dur labeur au cours desquelles il a servi d’homme à tout faire à Frédérick Trent, qui servait de poteau de vieillesse à sa mère. «Elle ne voulait pas qu’il se marie de son vivant… et elle est morte à 92 ans!», relate M. Lambert.
Celui-ci était logé et nourri en échange de son travail. Il s’occupait notamment de la terre, des foins et des nombreux animaux (vaches, canards, oies, poules, chevaux, etc.) élevés sur place. Avec ses 312 âcres, le terrain à entretenir était immense.
Il s’occupait également de la cabane à sucre, de la location de chalets construits à proximité de la rivière ainsi que de diverses propriétés de M. Trent situées à Drummondville et qui rapportaient des revenus.
Avec le temps, les gens en sont venus à croire qu’il était un membre de sa famille. «Les gens m’appelaient le "p’tit" Trent», raconte M. Lambert.
Son quotidien, il le partageait avec Frédérick Trent au sein de ce bâtiment qui est aujourd’hui considéré comme patrimonial, ayant été construit de 1835 à 1838, au coût de 12 000 $.
Il s’agissait d’un montant colossal à l’époque, de commenter M. Lambert, mais il faut savoir que le fondateur du Manoir, Georges Norris Trent, n’était pas en peine. Il avait accédé au grade de lieutenant de l’armée britannique. De plus, il avait épousé Dorothy Bennington, la fille d’un riche homme d’affaires anglais qui avait fait fortune dans les bijoux.
Cette aisance financière leur avait permis d’instruire leur progéniture. Le plus jeune, Henri, recevait un enseignement privé lors de ses voyages en bateau qui le conduisaient en Angleterre.
Cet héritage culturel profita également à Frédérick, l’un des 14 enfants d’Henri Trent.
Ainsi, Germain Lambert se rappelle que Frédérick était l’un des premiers, dans la région, à détenir une automobile. Il faisait partie de l’Harmonie de Drummondville et, comme il maîtrisait les deux langues, il fréquentait des francophones qui occupaient des emplois de profession libérale. Ce n’était pas commun en cette époque marquée par la révolte des patriotes…
Au décès de Frédérick Trent, M. Lambert a hérité de la terre et ce qu’elle abritait en récompense de ses bons services. «Le Manoir allait à la famille de sang», indique-t-il.
Or, M. Lambert a dû être expatrié parce que le gouvernement s’apprêtait à y construire l’autoroute 20 à cette hauteur, et ce, moyennant une compensation qui laisse son bénéficiaire encore quelque peu amère. «Tant qu’il était vivant, Frédérick Trent n’avait jamais voulu signer les papiers pour le droit de passage, mais les exécuteurs testamentaires ont donné l’aval», signale M. Lambert.
Son départ a coïncidé avec son mariage avec Simone Lambert, qui lui sert encore d’épouse. En sa compagnie, ils ont vécu sur des terres qu’ils habitent encore aujourd’hui, situées à Saint-Majorique-de-Grantham. De cette union, sont nés quatre enfants, dont Denis Lambert, un poète bien connu de la région.
Le septuagénaire se réjouit que les portes du Manoir Trent soient gratuitement ouvertes au public et que l’histoire entourant ce monument ainsi que les gens qui y ont gravité soit ainsi racontée aux visiteurs.
Mais il souhaite surtout que les projets soient instaurés pour rester, déplorant que le site ait trop souvent été laissé à l’abandon.
En regardant le Manoir, M. Lambert dit se sentir dépaysé. «Le décor n’est plus le même. Avant, c’était une place sauvage. On n’avait pas de voisin. Depuis, on a coupé les arbres. Moi, j’aurais gardé ça comme c’était avant. J’ai réussi à refaire ma vie ailleurs, mais je ne me suis jamais senti chez nous comme ici», laisse-t-il tomber.
Le Manoir Trent
En hommage à son père, Denis Lambert a rédigé le sonnet suivant, qui se retrouvera prochainement au sein du sentier poétique du Village québécois d’antan.
Quand la marine anglaise a franchi l’océan
Drummondville a vu naître un grand manoir de pierres.
Dès mille-huit-cent-trente-huit au bord de la rivière
Cette humble forteresse a tenu tête au vent.
Mon père a bien connu monsieur Frederick Trent.
Son souvenir revit et mon âme en est fière!
Entre ces murs anciens aux couleurs d’épervière
Germain Lambert vécut pendant plus de vingt ans.
Et d’une étoile à l’autre au nord de l’Amérique
L’homme a servi son maître en ce lieu historique.
Puis sur son testament en guise de merci,
Freddy légua son lot à son ultime ami.
Les années ont passé parfois à l’épouvante
Mais il reste aujourd’hui sa mémoire vivante.