Les pluies acides n’ont jamais cessé

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Par Lise Tremblay
Les pluies acides n’ont jamais cessé

Il n’y avait pas que Michael Jackson à la mode dans les années 1980. Les pluies acides faisaient aussi couler beaucoup d’encre. Autrefois hypermédiatisé, ce phénomène est aujourd’hui relégué aux oubliettes et, pourtant, la pluie qui tombe au Centre-du-Québec continue d’être trop acide, aux yeux de Roch Ouimet, ingénieur forestier et chercheur en pédologie et nutrition des forêts pour le ministère des Resources naturelles et de la Faune.

Alors que les Québécois cogitent des solutions pour enrayer les cyanobactéries (algues bleues) et qu’ils affinent leurs connaissances en matière de développement durable, les précipitations acides continuent de faire des ravages, surtout du côté des forêts. «Comme pour le phénomène du smog, quelques régions comme l’Estrie, la Mauricie et le Centre-du-Québec font partie du corridor des vents dominants qui proviennent du Midwest américain et de l’Ontario. Je dis souvent d’ailleurs que nous sommes leur poubelle, car environ 75 % de la pollution qui nous tombe dessus, comme les émissions acidifiantes, provient de nos voisins», a expliqué Roch Ouimet. Ce dernier fait partie des rares chercheurs à avoir poursuivi des travaux de recherche sur l’impact des pluies acides sur les forêts au Québec. Son bureau est situé à Québec, à la Direction de la recherche forestière.

Ceci dit, selon ses analyses, il tombe au Centre-du-Québec l’équivalent de 20 à 30 kilogrammes de sulfate par hectare à tous les ans. À environ 4,60, le pH des pluies est dix fois plus acide que la normale. «C’est encore très inquiétant. Dans les années 1980, les médias nous envoyaient des images de lacs situés dans le bouclier canadien lourdement affectés par le phénomène. Nous estimons qu’il tombait, à cette époque, environ 50 kilogrammes de sulfate (précisément de l’anhydride sulfureux et de l’oxyde d’azote). Bien que les émissions soient moins importantes aujourd’hui, parce que les Américains ont réduit leurs émissions provenant des centrales de charbon, les pluies demeurent trop acides», a poursuivi le chercheur.

Rappelons à cet égard que le Canada et les États-Unis ont signé en 1991 l’Accord bilatérale, qui a permis, fort heureusement, de faire des gains significatifs en ce qui a trait aux émissions polluantes. «Malgré cela, les pluies acides existent toujours et, au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, nous poursuivons les recherches parce qu’il s’agit d’un problème d’envergure et sous-estimé», a insisté Roch Ouimet.

Impacts non négligeables

D’après ce chercheur, les pluies acides affectent la fertilité des sols.

«En termes plus clairs, cela signifie que les forêts ont moins de nourriture dans leur garde-manger. Les arbres sont plus sensibles et vulnérables à des phénomènes comme un dégel hâtif en hiver ou un gel tardif au printemps. Aussi, s’il y a une épidémie d’insectes ou un désastre comme la tempête de verglas, les arbres sont moins résistants, car l’acidification des sols affectent leur capacité à récupérer», a expliqué M. Ouimet.

Qui plus est, les dépôts acides peuvent aussi attaquer la surface cirée protectrice des feuilles, diminuant encore une fois leur résistance à la maladie. Et, parmi les sensibles, il y a l’érable à sucre, arbre emblématique du Québec. «Les érables sont assurément les plus vulnérables. Chose certaine, si j’avais une érablière, je prendrais toutes les mesures à ma portée pour les garder en santé en débutant par la nutrition. Je conseille aux acériculteurs de fertiliser les érablières, et ce, pour améliorer leur résilience et leur vigueur. Dans certains cas aussi (selon les analyses de sol), il faut procéder au chaulage du sol», a-t-il communiqué.

Précisément, ses recherches ont démontré que les précipitations acides réduisent les quantités de calcium et de magnésium, deux éléments qui protègent les sols.

Au moins, selon ce chercheur, les cours d’eau de la région n’en subissent pas les conséquences. «Les pluies acides ont effectivement un effet très puissant sur les cours d’eau et la flore, mais il n’y a pas d’impact près des Appalaches, a rassuré Roch Ouimet. Ce sont vraiment les sols qui en mangent un coup dans votre région».

Questionné enfin sur ce qu’il pourrait arriver si le phénomène ne s’estompe pas avec les années, le chercheur confie, étonnamment, se poser lui-même la question. «Je ne pense pas que les érables pourraient disparaître, mais c’est certain que les pluies acides constituent un facteur qui rend les forêts plus vulnérables à la mortalité, a-t-il affirmé. Encore aujourd’hui, il n’existe aucune donnée quant aux retards de croissance ou au taux de mortalité dus aux pluies acides. Nous n’avons pas encore réussi à mettre de chiffres là-dessus étant donné le nombre de facteurs influents», a conclu M. Ouimet.

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