ÉDUCATION. Vendredi dernier, les dirigeants des écoles publiques et privées du Québec ont reçu toute une surprise de la part du ministère de l’Éducation. Ce dernier leur annonçait des restrictions budgétaires massives à quelques mois de la prochaine rentrée scolaire.
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a indiqué le 18 juin, à l’émission Tout un matin, que les centres de services scolaires devront fournir un effort de 500 millions de dollars. «Si on ne le fait pas, ça va s’ajouter au budget de 23,5 milliards. On a un budget et il faut le respecter», affirme-t-il.
Plus tôt cette semaine, Radio-Canada rapportait que les restrictions budgétaires pour l’ensemble des réseaux publics et privés seraient de l’ordre de 570 millions l’an prochain. Pour sa part, Le Journal de Québec avance un manque à gagner pouvant grimper jusqu’à un milliard de dollars.
Coupures incommensurables
À Drummondville, la nouvelle a pris de court les dirigeants du Centre de services scolaire des Chênes (CSSDC) et du Collège Saint-Bernard. Personne n’imaginait l’ampleur que prendraient les restrictions budgétaires.
Le directeur général du CSSDC, Lucien Maltais, précise que le ministère leur demande un effort de 18 millions de dollars en ce qui concerne le budget de fonctionnement. «C’est pratiquement quatre fois plus que ce qu’on avait prévu selon les indications!»

«Cette année, en 2024-2025, on avait eu 1,7 million [de coupure]. On s’est fait dire qu’on pourrait possiblement s’attendre au double [pour la prochaine année]. Donc, on s’attendait à un 4-5 millions de dollars. Mais ça, on ne l’a vraiment pas prévu», reconnait M. Maltais.
Pour le budget des investissements, le CSSDC recevra des dizaines de millions en moins l’an prochain. Lucien Maltais nuance que cette restriction sera plus facile à gérer puisqu’il n’y a pas de travaux urgents à effectuer et les plus importants se font cet été.
De son côté, le directeur général du Collège Saint-Bernard, Dominic Guévin, mentionne que la mesure du ministère de l’Éducation se traduit par une compression directe de 558 106 $ pour l’année scolaire 2025-2026. Cela ne représente même pas le 1/5 des coupures attendues par l’établissement scolaire, selon lui.
Il avoue avoir lâché un mot d’Église après avoir pris connaissance de cet imprévu. Cette décision du ministère arrive littéralement à la dernière minute pour son équipe et lui.
«Ce que les gens ne réalisent pas c’est que, oui, ça tombe deux mois avant la rentrée, mais dans les faits [pour les membres de l’administratif], on est à 10 jours de la rentrée. J’ai des personnes travaillant dans l’administration qui s’en vont en vacances bientôt et je ne peux pas les mettre au travail pour faire tous les réaménagements budgétaires», explique M. Guévin.
Il ajoute que les budgets de l’année 2025-2026 sont terminés depuis janvier dernier. «Si on nous avait annoncé ça en décembre 2024 ou en janvier, il y aurait vraiment eu moins de problèmes. Mais là , on est le 13 juin, et toutes nos personnes sont engagées pour la rentrée. On a renouvelé ou non renouvelé les contrats. [Cette demande] a été annoncée presque candidement de leur part comme si ce n’est rien pour nous, mais c’est quand même gros», vocifère-t-il.
Couper, mais où?
La lettre envoyée à tous les directeurs d’école de la province par le ministère de l’Éducation indique qu’il leur faudra «faire des choix en fonction des besoins de [leurs] milieux», selon Radio-Canada. Elle précise aussi qu’il faudra maintenir les services offerts aux élèves.
Lucien Maltais et Dominic Guévin se questionnent sérieusement sur comment une telle chose pourra être réalisée. Le directeur général du CSSDC ne cache pas le fait que la tâche sera «extrêmement difficile».

Sur un budget d’environ 270 millions pour l’année scolaire 2024-2025, 80 % sont allés dans les salaires des membres du personnel. «Après ça, ce sont des frais fixes et des contrats. Par exemple, l’électricité, l’entretien des bâtisses, les contrats informatiques et ainsi de suite. Donc, ça nous montre à quel point la marge de manœuvre est extrêmement limitée», explique-t-il
«Pour vous donner une idée de l’ampleur du 18 M$, supposons qu’on fermerait le centre administratif Saint-Frédéric et qu’on mettrait à la porte tout le personnel, eh bien, ça représente seulement 7,7 M$. Donc, 18 M$, c’est énorme», illustre M. Maltais.
Ce dernier espère que le ministère pourra faire des ajustements et apportera un peu de flexibilité pour atteindre cet objectif. «Nos plans d’effectifs sont déjà adoptés, alors ce sera peut-être plus dans les remplacements qu’on va devoir couper au courant de l’année. Au niveau du service à l’élève, [la mesure] aura un impact», déplore Lucien Maltais.
Le directeur général du Collège Saint-Bernard abonde dans le même sens que son homologue. «Sur notre budget de 18 M$, c’est quand même un demi-million [dont on se voit privé]. C’est beaucoup! Pour moi, la masse salariale c’est le 2/3 du budget.»
Ce dernier croit également que les services donnés aux élèves seront impactés par cette restriction budgétaire. «À quelle grandeur? Je ne peux pas y répondre maintenant. Mes frais fixes sont là et je ne pourrais pas y toucher. Ce n’est pas en coupant dans les photocopies en couleurs ou en baissant le chauffage l’hiver que je vais y arriver», maugrée-t-il.
Depuis quelques années, Dominic Guévin estime que l’éducation n’est plus autant traitée comme une priorité pour le gouvernement de la CAQ. «Au Collège Saint-Bernard, nous avons traversé bien des tempêtes, mais il est de notre devoir de dénoncer une mesure qui affaiblit les moyens d’agir des écoles.»
Le Collège Saint-Bernard est l’un des plus gros organismes à but non lucratif de Drummondville, selon M. Guévin. «Notre mission est d’offrir un encadrement de qualité, non de générer des profits. Une compression de cette ampleur fragilise notre équilibre budgétaire à court, moyen et long terme et pourrait entraîner des conséquences concrètes», s’indigne-t-il.
Pour sa part, toujours à l’émission Tout un matin, Bernard Drainville a reconnu l’ampleur de la tâche à accomplir pour les établissements scolaires publics et privés. «C’est vrai qu’il y a un effort qui est demandé et je ne sous-estime pas l’impact que cela va avoir. Il n’y a pas de gras [à couper], mais il faut travailler autrement», réitère-t-il.